Homélie pour le 3ème dimanche de Pâques - L'Eglise Catholique à Reims et dans les Ardennes

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Publié le 27 avril 2020

Homélie pour le 3ème dimanche de Pâques

Voici l’homélie prononcée par Mgr Eric de Moulins-Beaufort, le dimanche 26 avril, en la chapelle du Monastère Sainte Claire de Cormontreuil.

Nous connaissons bien le chemin d’Emmaüs. Du moins, le pensons-nous, encore que, sans doute, chacune de vous, mes Sœurs, a fait un jour l’expérience de le découvrir comme jamais. Nous avançons avec les deux disciples qui quittent Jérusalem pleins de tristesse, et nous nous retrouvons parfois très vite dans la maison d’Emmaüs tandis que d’autres fois nous n’y parvenons jamais, ne nous lassant pas du chemin avec l’inconnu qui nous a rejoints, à moins qu’au contraire nous nous soyons perdus en route. Le chemin d’Emmaüs nous conduit au Ressuscité ou plutôt, est chemin d’Emmaüs tout chemin sur lequel le Ressuscité vient à nous et nous permet de le reconnaître et de l’accueillir pleinement. Il me semble que l’on pourrait dire que le chemin d’Emmaüs décrit l’itinéraire complet de nos vies vers la rencontre du Ressuscité et dans la lumière de sa venue à nous, tandis que saint Pierre, en ce dimanche, dans les Actes des Apôtres d’abord, dans son épître ensuite, nous offre deux raccourcis. Nous ne savons pas en effet comment celui qui a rejoint les deux marcheurs commente les Écritures, la Torah de Moïse, le Pentateuque, et les Prophètes. Il semble qu’il n’ait pas fini le parcours qu’il a entamé lorsqu’ils arrivent au village, tandis que Pierre, au jour de la Pentecôte, fonde tout sur un seul psaume, et dans son épître, des années plus tard, sur ce que nous pourrions appeler une dogmatique, en tout cas sur des affirmations de foi qui synthétisent une lecture entière des Écritures et de la vie des humains à la lumière de l’événement du Christ Jésus.

Nous le savons aussi : le chemin d’Emmaüs, nous le parcourons ensemble en chaque Messe. La liturgie pénitentielle nous fait quitter Jérusalem avec nos tristesses ; la liturgie de la Parole nous donne d’avancer parce que déjà le Verbe de Dieu, la Parole vivante de Dieu, vient à nous et nous aide à comprendre, par-delà ce qui nous en empêche ; la liturgie eucharistique nous conduit au pain rompu et donné et là nous reconnaissons le Seigneur en sa plénitude ; nous le recevons dans notre demeure la plus intérieure pour mieux partir vers les autres, et partir transformés, notons-le, transformés ou renouvelés, à la rencontre des autres dont nous aurons la joie de partager la joie. Le chemin d’Emmaüs ne se finit pas dans la maison autour de la table, mais à Jérusalem, gagnée à grande allure et où Cléophas et son compagnon ne viennent rien apprendre aux disciples mais augmenter leur joie de la leur. L’Eucharistie, et même la communion eucharistique dont il est tant question en ce moment, ne s’arrêtent pas à elles-mêmes, elles nous envoient vers les autres bénéficiaires de la même grâce aujourd’hui ou demain pour partager ce que nous avons reçu et recevoir ce qui leur a été donné.

Parfois, la liturgie de la Parole a pour nous la saveur de l’évidence.  Saint Pierre, au matin de la Pentecôte, s’en est fait le témoin : « Dieu l’a ressuscité en le délivrant des douleurs de la mort, car il n’était pas possible qu’elle le retienne en son pouvoir » et il cite le psaume de David qui ne peut s’appliquer au roi d’autrefois mais qui dit si bien ce qu’a vécu en vérité le seul Jésus. Celui ou celle qui est habité des Écritures d’Israël, celui ou celle qui écoute la promesse de Dieu et la prend au sérieux, ne peut douter que le Créateur nous a faits non pour que nous disparaissions dans les ténèbres de la mort mais pour que nous resplendissions dans la vie. Il est évident que cette promesse doit se réaliser et qu’elle ne peut le faire qu’en celui que Dieu a envoyé d’auprès de lui, celui qui est un avec lui sans être identique, celui qu’il peut envoyer et de qui il peut recevoir, celui à l’image et ressemblance de qui nous avons été faits. Parfois l’évidente cohérence des Ecritures, c’est-à-dire de la longue histoire de Dieu avec la descendance d’Abraham en qui il a voulu concentrer la destinée de l’humanité, nous saute aux yeux et nous la voyons glorieusement accomplie en Jésus. Parfois, nous sommes arrêtés par les méandres de l’histoire, inquiétés par ses lenteurs et ses reculs. L’Apôtre Pierre vient à notre secours et la liturgie aussi qui nous a fait chanter le Samedi Saint : « Tu ne peux m’abandonner à la mort ni laisser ton ami voir la corruption ». Au matin de la Pentecôte, l’Apôtre Pierre a osé proposer à la foule bigarrée attirée par le bruit violent sa manière à lui de comprendre, à travers Moïse et tous les prophètes, ce qui concerne Jésus et, en particulier, pourquoi il fallait que le Messie souffrît pour entrer dans la gloire. Un jour est venu où la liturgie de l’Église a eu l’audace de cette antienne, mise depuis à notre disposition pour que nous puissions parcourir plus facilement le chemin qui nous prépare à reconnaître le Seigneur lorsqu’il se donne pleinement à nous. Car ce qui a été vrai de Jésus : qu’il puisse dire au Père : « Tu ne peux m’abandonner à la mort ni laisser ton ami voir la corruption », l’a été pour le devenir pour nous, pour que chacune, chacun de nous puisse le dire et que ce soit vrai, à jamais.

Par son interprétation du Psaume 15, l’Apôtre saint Pierre nous offre depuis le matin de la Pentecôte un chemin accéléré ou raccourci vers l’Emmaüs où Jésus ressuscité pourra ou voudra se dévoiler à nous. Dans son épître, en quelques lignes, il concentre la totalité du chemin, par-delà même le dévoilement de Jésus dans le pain rompu et partagé. Il recueille le fruit de l’échange multiplié des disciples qui, au fil des semaines, des mois, des années, ont goûté la venue du Ressuscité à eux. Vous avez entendu, mes Sœurs, et peut-être médité ces phrases tellement pleines. Elles peuvent nous réjouir, nous faisant tressaillir de la joie que nous devinons être celle de Pierre lorsqu’il les écrit, ou bien elles peuvent nous paraître abstraites, inaccessibles, leur sens nous échappe, parce qu’elles sont tellement saturées que nous ne pouvons les saisir à partir de notre pauvre expérience compliquée et fracturée. « Vous le savez », – nous le savons. Donc, il nous faut prendre au sérieux le fait que nous savons- : « Ce n’est pas par des biens corruptibles, l’argent ou l’or, que vous avez été rachetés de la conduite superficielle héritée de vos pères, mais c’est par un sang précieux, celui d’un agneau sans défaut et sans tache, le Christ. Dès avant la fondation du monde, Dieu l’avait désigné d’avance et il l’a manifesté à la fin des temps à cause de vous. » Pierre ne se contente pas ici de retrouver Jésus comme il l’avait connu au bord du lac puis sur les routes de Galilée, de Phénicie, de Judée et même de Samarie ; il le contemple maintenant en Dieu avant la création du monde et nous ramenant à Dieu par-delà la fin des temps, annoncé, pressenti ou plutôt venant déjà à nous dès les premières lignes de la Genèse et traversant avec nous et pour nous l’histoire entière d’Israël avec Abraham et Isaac, avec la Pâque de la libération et jusqu’à la fin des temps, histoire complexe et compliquée où tout ce qui s’agite dans le cœur des hommes a été dévoilé, pour déboucher en celui-là que nous, les humains, avons mis à mort mais qui est ressuscité, vainqueur de la mort. En celui-là est établi à tout jamais que Dieu ne laisse pas l’innocence être bafouée, mieux encore : que l’innocence ou la faiblesse bafouées bouleverseront l’histoire et en renverseront les logiques trop évidentes, puisqu’il est prouvé pour toujours dans la mort et la résurrection de Jésus que Dieu « juge impartialement, chacun selon son œuvre », chacun dans la nudité de son être et la vérité de ses actes et non selon les conditions sociales, les succès terrestres, les forces ou les biens accumulés.

Oui, il fallait que le Messie souffrît pour entrer dans sa gloire, mais non pas pour le petit segment de la vie terrestre de Jésus, non pas même pour le long segment de l’histoire d’Israël, mais pour la totalité de l’histoire depuis la première volonté divine en passant par toute résistance ou dérobade montée dans le cœur d’un être humain. Toute la dogmatique de l’Église est contenue dans les quelques versets que nous avons entendus, les mystères de l’Incarnation et de la Rédemption y sont proclamés. L’Apôtre n’a pas compliqué la foi initiale, il ne l’a pas rendu plus sophistiquée pour impressionner des auditeurs grecs. Mais ayant parcouru maintes fois le chemin d’Emmaüs et étant revenu plein de joie, il recueille tout ce qu’il a compris et ce que lui ont partagé ceux et celles qu’il a retrouvés au terme de chacune de ses courses vers le cénacle où ils se trouvaient. Le Crucifié Ressuscité n’est pas un accident de l’histoire, il en est la clef ; il n’est pas un privilégié que Dieu aurait tiré de la mort pour en avoir sauvé au moins un, il est le Sauveur qui vient jusqu’à ce qu’il y a de plus abîmé en nous pour y répandre l’effet bénéfique de son sang. Il ne souffre pas pour compenser un châtiment impossible mais il a souffert et traversé la mort comme celui qui jusqu’au bout obéit au Père en nous choisissant pour ses frères et sœurs. En lui nous pouvons sortir de la conduite superficielle de nos pères, non parce que nous serions meilleurs qu’eux ou mieux disposés, mais parce qu’en le rencontrant, lui, ou en étant rencontrés par lui, nous sommes entrés dans un univers nouveau, où la mort ne triomphe pas, où la présence est toujours promesse d’une présence plus forte encore. Oui, « il nous apprend le chemin de la vie : devant sa face, débordement de joie ! A sa droite, éternité de délices ! » Qu’il vienne à nous sans cesse et nous, apprenons chaque jour ce qu’il veut nous dévoiler, partageons-le en actes et en paroles autant que nous le pouvons,

                                                                                                                    Amen.
+ Eric de Moulins-Beaufort


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