Homélie pour la neuvaine de Saint Remi et remise du pallium - L'Eglise Catholique à Reims et dans les Ardennes

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Publié le 10 octobre 2019

Homélie pour la neuvaine de Saint Remi et remise du pallium

Le 6 octobre, au terme d’une journée de pèlerinage dans les rues de Reims, la traditionnelle messe de la Saint Remi a rassemblé une foule très nombreuse. Cette messe était un peu particulière cette année, car en plus d’être la messe de clôture de la neuvaine à Saint Remi, le Cardinal André Vingt-Trois a imposé son pallium à Mgr Eric de Moulins-Beaufort. Voici l’homélie que l’archevêque de Reims a prononcé lors de cette grande occasion.

« Je suis le chemin, la vérité, la vie ».

 Oui, Seigneur Jésus, tu es « le chemin, la vérité, la vie ». J’ai proclamé cela, au début de cette célébration, en professant le symbole de la foi, devant vous, cardinal Vingt-Trois, délégué ce soir par le successeur de Pierre, tête du collège des évêques, et devant vous, frères, évêques de cette Province ecclésiastique. Je veux le redire maintenant, dans cette homélie, en réponse à l’évangile proclamé, devant vous, prêtres et diacres au service de ce diocèse, devant vous tous, frères et sœurs, rassemblés en cette basilique, et tous ceux qui s’unissent à notre célébration par les ondes ou par la pensée et la prière : « Oui, Seigneur Jésus, tu es le chemin, la vérité et la vie ». Je le fais en votre nom à tous et au nom de tous ceux qui, dans cette région de Reims et des Ardennes, veulent vivre du Nom de Jésus et en faveur aussi de ceux qui ne le connaissent pas encore ou ne le connaissent plus mais que le Seigneur appelle, sans qu’ils le sachent encore, à avancer à sa suite.

Saint Remi, au Vème siècle, a porté haut et fort cette proclamation, à la fois comme le secret de sa prière et de sa vie : « Oui, tu es, Seigneur Jésus, mort et ressuscité pour nous, le chemin, la vérité et la vie », et comme la bonne nouvelle qu’il a fait entendre à beaucoup en son temps : « Oui, il y a un chemin, un chemin qui ne trompe pas et qui conduit à la vie ». A mon tour, ô saint Remi, je veux, à ta suite, répondre cela au Christ notre Seigneur, par toute ma vie, mes pensées et mes actes et ce qui habite mon cœur, et moi aussi, je veux faire entendre cela à tous dans cette région : « Il est, lui, Jésus de Nazareth, le chemin, la vérité et la vie » ! Je veux le faire avec tous ceux qui me sont donnés ici comme des frères et des sœurs à servir. Ils me précèdent et ils m’entraînent. Vous me précédez et vous m’entraînez sur ce chemin que notre vie terrestre nous donne de parcourir, dans cette vérité de chacun et de tous que nous ne pouvons atteindre qu’ensemble, vers la vie en plénitude que nous recevons de Dieu et de tous les autres.

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Aujourd’hui, autant que jadis, peut-être davantage encore, les êtres humains ont besoin d’entendre cela.

Jésus est la vie, parce que lui seul prend nos existences terrestres avec ce qu’elles ont de réjouissant et aussi avec leurs échecs et même avec ce qu’elles ont d’effrayant ou de répugnant parfois, pour les tirer vers la vie pour toujours. Dans sa Passion, il a consenti, une fois pour toutes, à prendre sur lui tout le mal qui peut sortir du cœur des hommes pour le dépasser par la puissance de son pardon et le don de l’Esprit-Saint.

Il est la vérité, parce que lui, le Saint, peut mettre à nu ce qui, en nous, est porteur de mort. Si facilement, nous nous excusons de nos médiocrités et de nos faiblesses, nous les mettons sur le compte des conditionnements ou des circonstances, nous en déguisons les effets de mort sous des mots qui nous rassurent. Jésus, lui, nous permet de regarder ces abîmes sans nous leurrer, parce que lui nous assure aussi que notre vérité la plus profonde n’est pas dans nos ténèbres intérieures. Lui nous assure qu’il est possible toujours, quoi que nous ayons fait, de revenir à celui ou celle que nous sommes dans le dessein de Dieu. Mieux encore, il est la vérité, lui, parce qu’il vit jusqu’au bout le don de lui-même et parce que ce don, scellé sur la croix et célébré en chaque Eucharistie, dévoile l’intimité même du Dieu vivant

Il est le chemin par conséquent, parce qu’en lui, il devient clair que l’accomplissement de l’humanité ne se trouve pas dans l’accumulation des biens, dans l’exercice du pouvoir, dans l’édification d’un confort suffisant, protégé des atteintes du temps et des autres, mais dans le don de soi, dans le service des autres, dans la joie paradoxale d’avoir à recevoir pour pouvoir donner ce que l’on voudrait garder à soi. En lui apparaît que la vie terrestre peut être une marche joyeuse et libre, exigeante et forte, vers le Dieu vivant.

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Saint Remi a su faire entendre cela à Clovis. Le roi des Francs pouvait penser qu’il réalisait ses rêves à la pointe de son épée et par son génie politique. Devenu jeune le chef de son clan, il a, avec détermination, assuré sa domination sur l’ensemble des Gaules et rien ni personne ne semblait pouvoir l’arrêter. Pourquoi se serait-il intéressé à Jésus crucifié plutôt qu’à ses dieux de la guerre et de la mort ? Pourquoi se serait-il laissé toucher par cet exemple de don de soi et cet appel à la pauvreté, alors qu’il rendait ses guerriers capables de s’approprier des terres dont la richesse dépassait leurs rêves ? Or, l’inattendu s’est produit. Le chef guerrier a senti qu’une autre vie était possible que l’excitation de la violence et de la conquête et qu’elle était meilleure. Clovis n’est pas devenu pour autant un homme de paix ; jusqu’à la fin il a usé de la violence et de la ruse pour arriver à ses fins ou éliminer des dangers potentiels, mais il avait su comprendre, notamment devant le tombeau de saint Martin, qu’il y avait une autre richesse bien plus réjouissante, une autre manière de déployer ses énergies bien plus profitable, une autre espérance pour les êtres humains beaucoup plus sûre et durable. Clovis a pu voir cela en Remi mais aussi dans les chrétiens qui l’entouraient.

Pourquoi notre temps aurait-il besoin du Christ Jésus ? Nos sociétés s’efforcent d’être des sociétés de l’égalité et de la liberté, d’où la violence est exclue. Elles s’efforcent de soulager les manques de leurs membres. Elles déploient des prodiges d’intelligence et d’habilité pour produire de l’abondance. Elles cherchent à vivre ensemble des gens différents, sans leur imposer un modèle mais en essayant de laisser chacun aller sur son chemin. C’est leur grandeur, et nous nous en réjouissons. Mais, ce faisant, nos sociétés imaginent sans cesse des objets nouveaux et des constructions juridiques inédites en persuadant les êtres humains qu’ils en recevront la vie en plénitude. La vie n’est plus cherchée dans la conquête mais dans la jouissance ; la vérité n’est plus dans la mise en lumière de ce qui habite le cœur mais dans les sentiments et les désirs. Le chemin n’est pas celui du renoncement à soi mais celui de l’épanouissement personnel. Et cela semble fonctionner.

Cela fonctionne si l’on ne regarde pas l’épuisement de notre planète et la prédation que nos sociétés y exercent chaque année ; cela fonctionne si l’on ne s’inquiète pas de la fragilité des rapports humains, de la rapidité avec laquelle on renonce à s’aimer après s’être fait les plus belles promesses ; cela fonctionne si l’on se sent pas la méfiance qui se glisse dans les relations parce que chacun se trouve entraîné à craindre que l’autre, même l’autre aimé ou à aimer, pourrait devenir une menace pour sa liberté ou pour son bien-être.

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Frères et sœurs, vous êtes venus ici en pèlerinage auprès de saint Remi pour recevoir de son intercession une force renouvelée afin de vivre du Christ au milieu de notre monde. J’ai pour ma part marché aujourd’hui à travers la ville de Reims, de l’église Saint-Nicaise à la cathédrale, de la cathédrale à Saint-Sixte, de Saint-Sixte à Saint-Remi, pour m’imprégner en ce jour du chemin des fondateurs de notre diocèse : ils sont venus jusqu’ici pour offrir à tous le chemin du Christ, pour faire briller la vérité du Christ, pour partager à tous la vie dans le Christ, c’est-à-dire la vie qui fait de tous des porteurs de vie pour les autres. J’ai été entouré en ce pèlerinage par beaucoup d’entre vous qui se sont joints à notre marche au fur et à mesure de son avancée ou qui nous ont suivi par la radio RCF. Tous, je les remercie. J’ai rencontré au long de ce chemin des frères et des sœurs qu’accompagnent au long des jours les équipes des Conférences Saint-Vincent-de-Paul, du Secours catholique ou du Sappel.

Ils ont bien voulu venir partager ce chemin avec moi en ce jour. Ils m’ont fortifié parce qu’ils représentent ceux et celles pour qui le Seigneur est venu en priorité, ceux et celles qui ne trouvent pas ici-bas le cadre où ils pourraient s’épanouir pleinement, ceux et celles qui subissent en premier les duretés cachées de notre monde, ceux et celles que nos sociétés ne parviennent pas à rejoindre pleinement, si généreuses soient les intentions ou qui ne s’en laissent pas rejoindre facilement. Le Christ Jésus n’apporte pas directement de solutions aux problèmes économiques ou sociaux de notre temps. Mais, nous l’avons entendu, il dit à ses disciples : « Celui qui croit en moi fera les mêmes œuvres que moi. Il en fera même de plus grandes, puisque je pars vers le Père. » Nous ne pouvons nous contenter d’aucun état du monde quel qu’il soit ni d’aucun état de l’Église. Toujours, nous devons, nous disciples de Jésus, viser les « œuvres plus grandes » que le Seigneur nous rend possibles et auxquelles il nous appelle.

Tous, frères et sœurs, permettez-moi de vous le dire, nous qui avons la grâce de pouvoir dire au Seigneur Jésus : « Tu es le chemin, la vérité, la vie », nous avons le devoir d’avancer plus avant sur son chemin, de nous laisser illuminer davantage par sa vérité, de nous soutenir dans l’espérance de la vie. Nous permettrons alors à ceux qui nous entourent d’apercevoir au moins que la vie peut être plus belle et intense et réjouissante qu’ils ne l’imaginent, que la vérité peut ne pas écraser la créativité mais être lumière et force, et qu’un accès au chemin qui mène à la vie en plénitude est ouvert devant tout trajet humain, même ceux qui seraient marqués par le pire. Cela suppose de nous une conversion toujours à reprendre et cela suppose de l’Église une réforme toujours en chantier. En tout cas, nous, disciples de Jésus, nous ne devons pas être de ceux qui se laissent bouleverser par les changements du monde : « Que votre cœur ne soit pas bouleversé », exhorte le Seigneur Jésus. Notre monde est plus compliqué que celui dans lequel le Seigneur Jésus a vécu. Entendons avec foi que nous pouvons faire des œuvres plus grandes que le Seigneur et prenons au sérieux ce qu’il promet : « Tout ce que vous demanderez en mon nom, je le ferai, afin que le Père soit glorifié dans le Fils ».

Que demandons-nous au nom du Seigneur ? Que voulons-nous, ce soir, demander ensemble au nom du Seigneur Jésus ? La richesse, la sécurité, la santé ? Pourquoi pas, mais demander au nom du Seigneur, c’est plutôt autre chose. C’est demander que la vie terrestre de chacun puisse le rendre disponible pour la vie en plénitude, pour toujours. Nous sommes, au milieu du monde, des témoins que la vie humaine est faite pour une relation de confiance et de joie avec Dieu, dans l’abondance comme dans le manque, que la grandeur de l’être humain réside non seulement dans ce qu’il acquiert mais plus encore dans ce à quoi il renonce pour le bien des autres, qu’il peut y avoir dans le cœur des êtres humains des richesses dont le partage procure des jouissances qui rendent insignifiants les plaisirs immédiats des sens. Certains choix de nos sociétés nous inquiètent ou nous attristent. Quelques-uns qui auraient pu être là aujourd’hui ont choisi d’aller marcher dans Paris. Quoi qu’il arrive, notre mission demeure, et elle est belle : faire entendre en ce monde que le chemin, la vérité et la vie sont venus jusqu’à nous pour rejoindre chacune et chacun. Par delà ce qui nous inquiète, nous aurons à manifester l’aventure de l’amour conjugal dans lequel les époux s’engagent sans réserve, l’aventure d’une vie familiale fondée sur l’accueil de la surprise qu’est toujours l’autre, l’aventure d’une vie sociale fondée non sur la recherche de la fortune ou du bien-être mais sur le service du bien commun. Nous aurons à manifester que la vie de l’humanité n’est pas seulement dans les droits conquis parce qu’elle est, plus réellement, nourrie par le partage des bienfaits reçus et accueillis, si humbles soient-ils. Quelque forme qu’ait pu prendre l’ordre social jadis ou naguère et quelque forme qu’il pourra prendre demain, manifester la vie en plénitude, obéir à la vérité, marcher sur le chemin qui fait sortir de soi-même, ce sera toujours non pas transgresser les lois mais outrepasser la loi par l’amour. Toujours le monde aura besoin que quelques-uns s’y risquent.

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Le pallium qui m’a été imposé en ce jour et que je porterai désormais sur mes épaules signifie le lien avec le successeur de Pierre, celui dont la charge unique est de dire à tous et au nom de tous : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ». En Orient, le pallium symbolise la brebis perdue que l’évêque doit aller chercher au nom du Christ., le fardeau redoutable d’avoir à garder dans le Christ ou à ramener au Christ ceux et celles qui sont tentés d’aller chercher tous seuls l’herbe plus verte et l’eau plus claire ou qui rêvent de nourritures plus capiteuses et de boissons plus excitantes. Les évêques de la Province et moi recevons en ce soir la mission de progresser dans l’unité intérieure pour être toujours davantage fidèles au Christ Seigneur. Mais le symbole vaut pour nous tous, disciples du Christ. Nous ne pouvons le connaître qu’accompagnés et stimulés et parfois tirés en avant les uns par les autres et par certains qui ne marchent pas encore avec nous. Nous ne pouvons vivre de la vérité du Christ qu’en reconnaissant nos incapacités et en recevant l’aide et les appels que d’autres, prêtres ou laïcs, hommes ou femmes, et même des non-chrétiens peuvent nous apporter car il nous faut au long de notre vie nous laisser davantage transformer par l’Esprit-Saint du Seigneur et reconnaître nos limites pour espérer en sortir. Nous sommes et serons des vivants dans le Christ Jésus dans la mesure où nous nous laisserons surprendre par les œuvres qui se feront par les membres du Corps du Christ, dans l’unité de la foi et de la charité.

Alors, frères et sœurs, entendons joyeusement ce soir l’appel de saint Paul qui fut celui de saint Remi et de tous les évêques successivement : « Que le Seigneur vous donne, entre vous et à l’égard de tous les hommes, un amour de plus en plus intense et débordant, comme celui que nous avons pour vous… Faites donc de nouveaux progrès, nous vous le demandons, oui, nous vous en prions dans le Seigneur Jésus »

                                                                            Amen


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