Homélie du 17 novembre 2019 - L'Eglise Catholique à Reims et dans les Ardennes

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Publié le 17 novembre 2019

Homélie du 17 novembre 2019

Homélie pour le 33ème dimanche du Temps ordinaire, année C, journée mondiale des pauvres, 8ème centenaire de l’arrivée des Clarisses à Reims, le 17 novembre 2019, en la chapelle du monastère Sainte-Claire de Cormontreuil.

Chaque époque a des aspects de fin du monde. Chaque époque marque la fin d’un monde à tout le moins, et cette fin-là peut être tragique pour beaucoup de ceux et de celles qui en subissent les effets : « On se dressera nation contre nation, royaume contre royaume. Il y aura de grands tremblements de terre et, en divers lieux, des famines et des épidémies ; des phénomènes effrayants surviendront, et de grands signes venus du ciel. » Ces indications que donne le Seigneur Jésus ne sont pas rassurantes, mais elles nous empêchent à jamais de prétendre reconnaître le moment de la fin, le temps de la venue glorieuse du Fils de l’homme, car quel moment de l’histoire ne connaît pas à l’échelle du monde tout ou partie de ces événements ? Le plus important pour nous, frères et sœurs, est d’entendre l’appel du Seigneur : « Prenez garde de ne pas vous laisser égarer… Ne soyez pas terrifiés… »

L’époque de saint François et de sainte Claire était une époque de grands bouleversements sociaux. La féodalité perdait de sa force, la bourgeoisie des villes s’enrichissait et gagnait en pouvoir ; les pauvres, eux, n’étaient pas moins pauvres, ils l’étaient même souvent davantage. A Assise, une ville italienne parmi d’autres, le jeune François et la plus jeune encore Claire ont inventé un style de vie décalé qui est devenu un rayon de lumière pour tous, pour les nobles en voie de déclassement, pour les bourgeois enrichis, pour les pauvres laissés de côté par la croissance générale. Ni François, ni Claire n’avaient cherché un remède aux troubles sociaux, et pourtant l’un et l’autre, ensemble et en parallèle, ont allumé dans l’humanité une lampe qui ne finit pas de consoler et d’éclairer. « C’est moi qui vous donnerai un langage et une sagesse à laquelle tous vos adversaires ne pourront ni résister ni s’opposer. » Peut-être faut-il ne pas limiter cette promesse aux moments où les disciples de Jésus sont en prison. Dans les situations troublées de la vie des sociétés, le Seigneur inspire à quelques-uns des siens des comportements nouveaux qui portent de l’espérance pour tous, qui permettent de découvrir à la vie humaine une profondeur, une vérité et une solidité inattendues.

François et Claire d’Assise, sans mépris pour personne, même pas de leurs parents respectifs, si peu prêts à comprendre leur vocation, sans jugement aucun, dans la pleine liberté de l’âme habitée par le Christ, ont choisi la radicalité évangélique. Ils ne l’ont pas réduite à des valeurs, ils ont voulu suivre le Christ Jésus tel qu’il s’est manifesté à nous. Ils ont aimé les pauvres, mais ils ont fait mieux encore : ils ont aimé la pauvreté. Car on peut aimer les pauvres pour leur faire du bien, tandis que François et Claire ont choisi d’aimer la pauvreté comme condition de l’être humain. Ils ont choisi d’aimer être dépendants, vivre de ce qu’on voulait bien leur donner, sans mesurer ce dont il s’agissait. Au milieu d’un monde qui se construisait, qui acquérait les moyens de permettre à davantage de personnes de vivre confortablement, de bâtir une honnête aisance, ils ont choisi librement la pauvreté de Jésus, sûrs de viser ainsi une richesse qu’aucune habileté du corps ou de l’esprit, qu’aucune organisation sociale ne pouvait leur procurer. Ce faisant, ils ont exercé et ils exercent à jamais la critique la plus redoutable qui soit de tout système social, puisqu’ils ne prétendent pas compenser la pauvreté sociale par l’accès à la richesse mais montrer à tous que la vie en plénitude se trouve en apprenant la pauvreté.

Notre époque est une période d’immenses changements. Les causes en sont multiples. La dernière repérée peut-être, la plus globale assurément et la plus redoutable vraisemblablement, est la contrainte écologique. Inexorablement, notre planète avance vers son épuisement. Inéluctablement les sociétés humaines doivent changer de mode de vie, à commencer par nos sociétés occidentales. Vous, mes Sœurs, dans une ville comme la nôtre, vous êtes un rayon d’espérance. Alors que notre société reste une société de la surabondance, vous mettez devant les yeux de qui veut bien venir jusqu’à vous l’amour de la pauvreté. Si tout le monde avait votre empreinte carbone, le monde se porterait mieux, il envisagerait plus tranquillement l’avenir ! Mais, même ainsi : « Il faut que cela arrive d’abord, mais ce ne sera pas aussitôt la fin. » Le salut de nos sociétés humaines de la vie ne se trouvera pas dans des économies d’énergie, des règles, des précautions, des normes de fabrication ou de consommation, même si tout cela est évidemment utile et ne doit pas être négligé. Le secret de la vie vraiment humaine se trouve dans la conversion du cœur, dans l’acceptation intérieure de la pauvreté. Cette conversion suppose l’apprentissage de la joie qu’il y a à trouver dans le très peu que l’on reçoit la plénitude du donateur qui promet de se donner lui-même. Depuis 8 siècles, mes Sœurs, par-delà la grande interruption provoquée par la Révolution française et ses suites, vous portez dans notre ville ou à son bord comme aujourd’hui, le témoignage de la vérité de notre condition humaine. L’accumulation des biens ne résout pas grand-chose ; le confort, la sécurité, le raffinement de la culture sont d’heureuses réalités mais leur possession à elle seule ne procure pas la joie intérieure. La joie naît, humblement et fortement, de ce que l’on reçoit sans chercher à le prendre, de la fraternité avec tous cherchée et célébrée. Elle vient de la présence en ce monde du Seigneur Jésus, de la fraternité avec lui qu’il nous propose, de la perception de sa présence, si discrète, si puissante, qui nous entraîne toujours au-delà de ce que nous aurions pensé, qui nous donne les uns aux autres, pour que nous nous aimions.

L’Église célèbre aujourd’hui la journée mondiale des pauvres, voulue par le Saint-Père, le pape François. Cette journée ne nous invite pas à nous résigner à ce que nos sociétés produisent des pauvres. Au contraire. Elle nous appelle à travailler à la justice, à veiller, même collectivement, sur les effets pervers de nos constructions sociales. Mais elle nous invite surtout à accueillir les pauvres au cœur de l’Église et au cœur de la société, à apprendre à entendre leur voix, à recevoir ce qu’ils ont à donner. Il ne faut pas attendre que les pauvres soient devenus des riches pour se mettre à leur école. François et Claire, enfants de familles riches, ont dû apprendre à vivre dans la pauvreté. Ne pas jeter, ne pas gaspiller, se contenter de peu, mais surtout ne pas savoir de quoi demain sera fait, ne pas être sûr de ce que l’on pourra faire, accepter de dépendre des autres, ne pas pouvoir éliminer les contraintes parfois douloureuses de la vie terrestre… Nul ne peut prétendre vivre ainsi avec le cœur joyeux. Il nous faut une guérison, il nous faut une libération, il nous faut un frère, le Frère, qui vienne avec délicatesse et persévérance, nous ramener à l’essentiel, qui nous offre le temps et le moyen de nous dégager de ce qui nous rassure pour que nous puissions choisir ce qui suffit pour être des vivants. François et Claire avaient une vive conscience que Jésus avait vécu ainsi et que Dieu, le Dieu créateur, la source de toute vie, était ainsi. Sa totale richesse, il nous la donne dans le Fils cloué à la croix et dans le pain eucharistique, si dépouillé d’éclat et de saveur, et il n’a rien d’autre à nous donner que lui-même. Au jour de sa venue glorieuse, toute la Bible nous l’annonce, il n’y aura guère de manifestations prestigieuses à voir, mais sa présence seulement : « Le Soleil de justice se lèvera : il apportera la guérison dans son rayonnement ». Déjà, ici, sur les bords de notre ville, votre monastère donne à ceux et celles qui le veulent bien de se laisser toucher par la lumière de ce Soleil-là.

Alors, mes Sœurs, soyez-en sûres. Nous sommes heureux de rendre grâce avec vous pour votre présence. Nous, ici présents en ce jour, nous nous glissons dans la foule de tous ceux qui nous ont précédés depuis l’arrivée de sœur Marie de Braye pour trouver près de vous la lumière dont ils avaient besoin. Travaillez toujours, comme le recommande l’Apôtre, non tant pour vous nourrir que pour être toujours fidèles à l’élan qui a porté sainte Claire. Nous osons le reconnaître : nous avons besoin de vous. Nous, c’est-à-dire l’Église, c’est-à-dire notre société, c’est-à-dire chacune et chacun qui a pu ou qui pourra croiser votre route et voir, non pas les « belles pierres et les ex-voto » du Temple, mais la douce lumière du Créateur qui s’est fait notre frère en sa pauvreté reflétée dans vos visages et dans votre maison. Près de vous, nous pouvons espérer persévérer pour garder la vie, pour nous et pour tous les autres,

                                                                                               Amen.

+ Éric de Moulins-Beaufort

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