"Trois mots m'ont toujours habité : l'appel, la vocation, la mission" - L'Eglise Catholique à Reims et dans les Ardennes

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Publié le 23 septembre 2019

« Trois mots m’ont toujours habité : l’appel, la vocation, la mission »

Jacques Jeanteur est élu et entrepreneur chrétien à Charleville-Mézières.

Comment avez-vous appréhendé cette façon d’être chrétien dans la société ?

Jacques Jeanteur

Jacques Jeanteur. Pour moi, ce fut d’abord un engagement politique, puisque pendant vingt-quatre ans, j’ai été un des élus (CDS) de la région Champagne-Ardennes. Ce fut d’ailleurs la condition de ma venue à Charleville pour reprendre le magasin familial : il fallait que mes frères acceptent que je puisse m’engager au service de la cité. Car j’étais Parisien ; aussitôt mes études (HEC) et mon mariage, avant même mon service militaire, j’étais venu dans l’entreprise familiale pendant une petite année, sans vraiment y trouver ma place. Je suis alors parti travailler pour Colgate-Palmolive, où j’étais heureux. Mais, en 1974, la question s’est posée de reprendre l’activité ou de vendre. Je suis donc revenu pour faire vivre et développer le magasin.

L’engagement politique a commencé quand ?

Dès le début, d’une certaine façon, avec Jacques Félix, puis surtout avec le sénateur Maurice Blin, sur la liste duquel je fus élu en 1986. C’est avec lui que je suis «entré en politique» ; pendant dix-huit ans, au conseil régional, j’ai assuré la vice-présidence de la commission pour la formation et l’apprentissage, Bernard Stasi en étant le président. Ce secteur m’intéressait d’autant plus que nous étions, au magasin, «maître d’apprentissage», et beaucoup d’apprentis sont venus se former chez nous. J’ai même été appelé, par Jean-Pierre Soissons, alors ministre du Travail, à la direction d’un comité afin de promouvoir la régionalisation pour ces questions d’apprentissage et de formation ; cet engagement me demandait une ou deux journées par semaine. Dans ce comité, il y avait des représentants des régions ainsi que des partenaires sociaux.

Que retenez-vous de ces années ?

J’ai beaucoup appris dans ces rencontres, ces projets, mais avoir un engagement politique est loin d’être facile. J’ai subi des violences, directes ou indirectes, surtout que je n’ai pas un caractère soumis. J’ai souvent été combattu, mais je n’ai pas voulu être sensible au pouvoir pour le pouvoir. J’espère avoir œuvré pour le bien commun. Depuis ma jeunesse, je vais régulièrement à l’abbaye de Ligugé, où vivait un cousin de mon père ; j’y allais pour demander conseil, afin de ne pas prendre une décision qui ne soit mûrement réfléchie.

Et comme chef d’entreprise ?

Quand j’ai repris le magasin, a été important pour moi le sentiment d’une «communauté de travail», ce qui s’était vérifié par le passé après les guerres, chaque fois qu’il a fallu reconstruire, relancer l’activité. Dans mon bureau, j’avais accroché deux devises : celle de mes études, «Apprendre à oser», complétée par celle des Entrepreneurs et dirigeants chrétiens (EDC), «Oser pour servir». Parler de communauté de travail a été mon moteur. Cela peut paraître à certains paternaliste, mais j’ai été heureux de pouvoir le vivre ainsi, et de donner un esprit à l’entreprise. Et pour les jeunes en formation, je souhaitais qu’ils puissent réfléchir à leur épanouissement et le permettre dans le monde du travail. J’ai repris une entreprise familiale, que je ne possédais pas en propre, avec la chance que ma famille ne demandait pas de loyer, bien que propriétaire. Et j’ai eu la joie de voir un de mes fils s’investir après moi dans le magasin, alors qu’il travaillait en Suisse.

Actuellement, vous êtes responsables de la Société Saint-Vincent-de-Paul (SSVP) à Charleville-Mézières.

Papa en faisait partie à Paris, et moi aussi dans ma jeunesse. Derrière cet engagement, il y a pour moi une écoute et une aide des autres. Mais en arrivant à Charleville, mes engagements ne m’ont pas permis de m’investir à ce niveau. Nous avions cependant gardé, dans la mesure du possible, cette attention aux plus pauvres : ma femme, Marianne, faisait du soutien scolaire à la Houillère, et elle continue auprès de familles en relation avec la Société Saint-Vincent-de-Paul (SSVP) ; nous avons servi de «sandwicherie», de boîte aux lettres pour des personnes qui «faisaient la route». Aujourd’hui, la SSVP a un vestiaire, avenue Saint-Julien, où deux fois par mois sont distribués aussi des colis alimentaires à soixante-dix familles. Nous avons aussi un créneau pour la distribution aux migrants, nous avons la vente de livres, grâce à des bénévoles, qui nous permet de collecter de l’argent. Le suivi des migrants s’est imposé à nous, et l’investissement auprès d’eux m’a permis de mieux connaître ce qu’ils pouvaient vivre, de travailler avec la Cimade. Nous avons accueilli quelque temps chez nous un jeune migrant, qui vient d’avoir «son» papier et va pouvoir commencer son apprentissage. En l’accompagnant, j’ai réalisé que, vivant sans argent, il avait perdu toutes ses relations ; il ne pouvait même pas payer un café à un ami ; pour d’autres, on s’aperçoit qu’ils n’ont pas de quoi se laver, faire la vaisselle, bref des besoins qui dépassent la nourriture et le vêtement. Nous nous posons la question de donner de l’argent de poche pour leur permettre de garder des relations, leur dignité. C’est dur de réaliser ce à côté de quoi nous passons, j’ai toujours un sentiment de culpabilité quand je m’en rends compte.

En conclusion ?

Trois mots m’ont toujours habité : l’appel, la vocation, la mission ; on est appelé à quelque chose, et l’on découvre dans cet appel ce pour quoi on est fait et l’on est invité à le mettre en œuvre. Et pour traduire l’engagement, je reprendrais volontiers les mots de Teilhard de Chardin : «Soyez le plus complètement vous-même» … pour donner aux autres.


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