Homélie du 30 mars 2024, pour la Vigile pascale - L'Eglise Catholique à Reims et dans les Ardennes

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Publié le 2 avril 2024

Homélie du 30 mars 2024, pour la Vigile pascale

Homélie pour la Vigile pascale, le 30 mars 2024, en la cathédrale Notre-Dame de Reims

« Qui nous roulera la pierre pour dégager l’entrée du tombeau ? » Frères et sœurs, chacun des évangélistes a sa manière de nous raconter le matin de Pâques, le fait de la Résurrection, et les quatre évangélistes se sont peu souciés d’accorder leurs récits. Tant mieux pour nous qui bénéficions ainsi de regards variés sur cet événement et de manières diverses d’approcher de ce mystère, de cette grande réalité. Elle est en fait La Réalité.

« Qui nous roulera la pierre pour dégager l’entrée du tombeau ? » Saint Marc est donc celui des quatre qui prête attention à l’impossibilité pour les femmes de rouler la « très grande pierre » qui avait été placée devant le tombeau. Nous comprenons bien leur inquiétude, alors qu’elles sont parties, pleines de cœur, avec les aromates qu’elles ont pris la peine d’acheter pour prendre soin du corps mort de Jésus. Nous les rejoignons car, facilement, nous approchons ainsi de Pâques. Ces dernières années, toutes nos fêtes pascales se sont déroulées dans un contexte d’inquiétudes, de troubles sociaux, d’angoisse climatique, d’épidémie, et même de guerres plus ou moins proches. Celles-ci n’y dérogent pas. Pour beaucoup parmi vous, sans doute, ces inquiétudes prennent la forme concrète de la maladie grave, la vôtre ou celle d’un proche, d’un drame familial ou d’une relation abîmée ou blessée, d’une personne en difficulté dans son travail ou ses perspectives d’avenir, que sais-je ? « Qui nous roulera la pierre pour dégager l’entrée du tombeau ? », cette question est la nôtre aussi en ce soir.

Ce matin-là, là-bas, cette pierre-là était enlevée. Les femmes, Marie Madeleine, Marie, mère de Jacques, et Salomé, ont pu entrer dans le tombeau. C’est que le tombeau dont il s’agit est un tombeau de riche : une grotte creusée dans la roche, formant une chambre funéraire avec un banquette creusée sur laquelle le cadavre était allongé, recouvert d’un drap, lui-même serré par des bandelettes. « En entrant dans le tombeau », nous dit saint Marc. Le tombeau, pour elles, n’est pas fermé, elles entrent donc, il faut qu’elles y entrent. Elles viennent apporter leurs soins au corps mort de Jésus, celui sur qui s’est concentré ce que le monde comporte de violence, de cruauté, d’injustice, de peurs, celui en qui s’est concentré à leurs yeux ce que le monde peut compter de malheur. Notons-le, frères et sœurs, reconnaissons-le : dans l’histoire, ce sont souvent les femmes qui rattrapent, un peu, les brutalités du monde. Les soins apportés aux morts ne changent rien au tragique de l’histoire ; pourtant, ils expriment une autre face de l’humanité, ils témoignent d’une autre humanité, qui n’est pas faite que des violents et des forces aveugles et anonymes des États, des mécanismes économiques, des mouvements des foules.

Ce matin-là, il a fallu que les femmes entrent, qu’elles aillent jusqu’au bout de leur détermination d’honorer le corps de celui qui avait porté leurs espoirs et leur espérance pour Israël. Mais, nous le savons, nous l’avons entendu, elles ne trouvent ni Jésus mort, ni Jésus vivant : « Elles virent, assis à droite, un jeune homme vêtu de blanc. » Dimanche dernier, jour des Rameaux, lorsque nous avons entendu proclamer la Passion selon saint Marc, nous avions pu noter que l’évangéliste mentionnait, dans le jardin, au moment où Jésus a été arrêté, un jeune homme n’ayant qu’un drap pour vêtement, que les gardes voulurent saisir, lui aussi, et qui s’enfuit, tout nu. Il était comme l’indice que l’histoire n’était pas finie, que tout ne s’arrêtait pas avec cette arrestation et la mise à mort qui allait fatalement suivre, que tout ne se réduisait pas aux puissances et à la mort qui paraissaient s’emparer de Jésus. Est-ce lui ou un autre qui est là, nous ne le savons pas. Là où les autres évangélistes évoquent un ou des anges ou deux hommes en vêtements éblouissants, saint Marc se contente d’« un jeune homme vêtu de blanc ». Un « jeune homme », la promesse d’une humanité nouvelle.

Mais, là, frères et sœurs, il faut dire que la liturgie nous trompe. Car elle nous laisse avec l’incroyable nouvelle que proclame ce jeune homme : « Ne soyez pas effrayées ! Vous cherchez Jésus de Nazareth, le Crucifié ? Il est ressuscité : il n’est pas ici. Voici l’endroit où on l’avait déposé » et sur l’ordre qu’il donne aux femmes : « Et maintenant, allez dire à ses disciples et à Pierre : ‘’Il vous précède en Galilée. Là vous le verrez, comme il vous l’a dit », mais elle nous prive de la suite : « Elles sortirent et s’enfuirent du tombeau, parce qu’elles étaient toutes tremblantes et hors d’elles-mêmes. Elles ne dirent rien à personne, car elles avaient peur. » « Elles ne dirent rien à personne ! La liturgie nous prive de cela ce soir, mais elle ne se trompe pas et nous trompe pas, puisque nous sommes là ! Quelqu’un a parlé, quelque chose a fait que les femmes sont sorties de leur silence et de leur peur. L’évangile selon saint Marc rapporte ensuite, mais sur un tout autre ton, d’une autre manière, une série d’apparition de Jésus lui-même, ressuscité, à Marie Madeleine et aux disciples. C’est que la Résurrection ne se raconte pas à fleur d’histoire. Que le tombeau ait été vide, ce matin-là, les yeux de chair suffisent à le voir, l’histoire humaine des humains ne peut le nier, elle doit le constater.  Mais que Jésus soit ressuscité des morts, qu’il ne soit pas ici mais vivant, cela, c’est tout autre chose. Cela ouvre une autre histoire, une autre réalité. Cela veut dire que tout de ce qui est de l’être humain n’est pas capté par nos sens et nos capacités de réflexion. Cela veut dire que nous ne sommes pas seuls, abandonnés à nous-mêmes, dans une histoire qui ne concernerait que nous et les autres êtres soumis à nos pouvoirs. Mais pour voir cela, pour le comprendre, pour le dire, il faut une autre naissance, un autre principe de vie, il faut un renouvellement complet de notre existence. Il ne faut pas rester fixés sur le tombeau, il faut accepter d’aller en Galilée. A cause de cela, les femmes sont bouleversées, « toutes tremblantes et hors d’elles-mêmes ».

Et pourtant, le jeune homme, dans le tombeau, s’exprime sous le mode de l’évidence : « Vous cherchez Jésus de Nazareth, le Crucifié ? Il est ressuscité, il n’est pas ici » et même : « Il vous précède en Galilée. Là vous le verrez, comme il vous l’a dit. » Que Jésus meure et qu’il ressuscite, c’est une surprise, c’est inattendu et inouï, cela relève du jamais vu et du jamais entendu, du jamais dit, donc, et cependant, le jeune homme en atteste : cela est annoncé depuis l’origine, cela est dans la logique depuis l’origine. C’est La Réalité, plus forte, plus vraie que le réel que nous saisissons facilement.

Nous l’avons vérifié ce soir, frères et sœurs, en parcourant ensemble les saintes Écritures. Dès les premières pages de la Bible, le récit de la création nous montre que l’être humain et toutes choses avec lui, autour de lui, en lui, sont faits par la volonté bonne de Dieu, que l’être humain est voulu comme partenaire d’une alliance, qu’il a part, et les autres êtres avec lui chacun à sa manière, à l’être même de Dieu, lui qui est façonné à son image et à sa ressemblance. Il n’est pas créé pour se dissoudre sous les coups de boutoir de la mort et du mal mais pour grandir vers plus grand que lui-même ; le temps n’est pas sous le signe d’un épuisement et d’une usure inévitables, mais il est une préparation et une image de l’éternité, de la vie pour toujours. Le récit de la sortie d’Égypte confirme cela puisque le peuple de Dieu est arraché à la mort et à la privation de liberté, à main forte et à bras étendu ; Dieu intervient, juste à temps, au moment où les ennemis croient triompher, pour ouvrir une possibilité de vie nouvelle. Isaïe et Ezéchiel, les deux grands prophètes, unissent leur voix pour en assurer, eux qui, à des moments où le peuple d’Israël se comporte comme tous les autres, pas mieux qu’eux, cédant à l’attraction de l’injustice et de l’idolâtrie, osent annoncer une alliance éternelle qui sera ouverte à tous les peuples et proclament que tout changement de vie d’une personne ou d’un peuple permet à Dieu d’ouvrir une vie nouvelle à tous les autres.

Ce soir, frères et sœurs, le « jeune homme vêtu de blanc » s’adresse à nous en Émilie et Léane. D’une manière ou d’une autre, la pierre très grande du tombeau a été dégagée pour elles. Le Seigneur ressuscité est venu à leur rencontre et il a éveillé en elles le fond le plus vrai de leur être. Devant nous, au milieu de nous et, en un sens, pour nous, elles vont être unies à Jésus par une mort qui ressemble à la sienne, pour naître à nouveau, à neuf, « par une résurrection qui ressemblera à la sienne » ; devant nous, au milieu de nous et, en un sens, pour nous, « l’homme ancien qui est en elles » va être « fixé à la croix avec Jésus », pour qu’elles ne soient plus « esclaves du péché » et avec nous « mènent une vie nouvelle, comme le Christ qui, par la toute-puissance du Père, est ressuscité d’entre les morts. » En les regardant, en les contemplant dans un instant, vêtues de blanc et tenant leur cierge à la main, nous entendrons le « jeune homme », si vivant dans le tombeau, nous dire : « Il vous précède en Galilée. Là, vous le verrez, comme il vous l’a dit. »

« Qui nous roulera la pierre pour dégager l’entrée du tombeau ? » Frères et sœurs, cette question peut peser lourdement sur certains de nous et sur beaucoup d’êtres humains. Mais, là-bas, ce matin-là, « on » avait « roulé la pierre qui était pourtant très grande » et, depuis lors, c’est dans le vaste monde, c’est dans la vaste et complexe histoire du monde, dans la Galilée des nations, qu’il nous est possible de voir le Ressuscité et de nous laisser transformer par lui. L’histoire du monde poursuit son cours, avec ses splendeurs, ses grandeurs, ses prestiges, ses violences, ses cruautés, ses duretés, mais une autre humanité s’est levé et agit, une autre histoire s’édifie : non pas par le fracas des armes mais par le soin apporté, sans compter, à qui en a besoin ; non pas par les productions économiques mais par le partage vécu sans attendre de retour ; non pas par les drames qui excitent la curiosité et l’envie, mais par le respect et l’attention et l’admiration mutuelle et l’amitié, vécus fidèlement, contre vents et marées, dans des couples ou dans les relations sociales ; non pas par la conquête, la prédation, l’accaparement, mais par le renoncement librement consenti pour un bien plus grand ; non pas par la soumission aux idoles qui fascinent et obligent et rendent l’existence excitante, mais par l’obéissance à Celui grâce à qui nous pouvons nous dire : « Pensez que vous êtes morts au péché, mais vivants pour Dieu en Jésus-Christ ». « Ressuscité des morts, le Christ ne meurt plus : la mort n’a plus de pouvoir sur lui », Alléluia !

                                                                                                                                                 Amen.


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