Homélie du 28 mars 2024, pour la messe en mémoire de la Cène du Seigneur - L'Eglise Catholique à Reims et dans les Ardennes

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Publié le 29 mars 2024

Homélie du 28 mars 2024, pour la messe en mémoire de la Cène du Seigneur

Homélie pour la messe en mémoire de la Cène du Seigneur, le 28 mars 2024, Jeudi-Saint, en la cathédrale Notre-Dame de Reims

L’Église a un centre, elle un cœur. L’Eucharistie est son centre, son cœur. Non pas d’abord l’Eucharistie comme un objet, mais plutôt l’Eucharistie comme une célébration dont le pain consacré – ce que nous appelons un peu trop facilement les hosties ou, de meilleure manière, le Saint-Sacrement – est non seulement le rappel mais la présence et l’action continuées. Comme d’un cœur, de là partent toutes les actions de l’Église, et là elles y reviennent.

 Sans l’Eucharistie, l’Église ne serait, en reprenant le mot du pape François, qu’une ONG de plus, une ONG parmi beaucoup d’autres. Grâce à l’Eucharistie, elle est, selon le mot de Bossuet, « Jésus-Christ continué », le Corps du Christ Jésus aujourd’hui présent et actif dans l’histoire de l’humanité. L’Église accompagne cette histoire et elle y participe, elle en est traversée, elle y est façonnée, triturée, elle y souffre et elle y grandit, elle y est dépouillée parfois et elle y apprend, mais elle la traverse et en est traversée, sans cesser d’être ce qu’elle est, son cœur en elle toujours battant. « Chaque fois, nous a dit saint Paul, que vous mangez ce pain et buvez à cette coupe, vous proclamez la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne. » Si nous voulions prendre une métaphore maritime, nous pourrions dire que l’Église est souvent secouée sur la mer de l’histoire mais qu’elle se trouve lestée par sa quille qu’est l’Eucharistie, et que grâce à celle-ci, elle traverse toutes sortes de tempêtes et aussi les moments de calme plat, sa quille la gardant égale à elle-même.

L’Eucharistie est le geste de Jésus au soir de son dernier repas, le geste qu’il fit en faveur de ses disciples. Si ce n’était pas exactement un repas pascal, Jésus a tenu à le vivre dans l’ambiance de la veillée juive de Pâques, de la mémoire de la sortie d’Égypte. L’Eucharistie accomplit, elle réalise pleinement, ce que promettait le repas pris à la hâte par les Hébreux au moment de fuir l’Égypte. Il n’y a plus besoin d’agneau, tout juste d’un peu de pain et d’un peu de vin et quelques gouttes d’eau, car tout désormais est repris dans l’acte de Jésus et de Jésus seul. Lui, nous l’avons entendu, rompt le pain et le donne en disant : « Ceci est mon corps, qui est pour vous » et fait circuler la coupe de vin en disant : « Cette coupe est la nouvelle alliance en mon sang. Chaque fois que vous en boirez, faites cela en mémoire de moi. »

Le centre de l’Eglise, son cœur, c’est donc, frères et sœurs, la mémoire de Jésus, une mémoire qui ne s’use pas avec le temps parce que, sans cesse, à tout moment, Jésus, dans son Eucharistie, est là, nous donnant son corps et versant son sang pour nous, nous donnant son corps en nourriture et son sang en boisson.  Tous les actes de l’Église n’ont de sens que s’ils font mémoire des actes de Jésus, que s’ils les prolongent et manifestent qu’ils viennent de cet acte où, déjà, le Sauveur a tout récapitulé, ils n’ont leur pleine valeur que s’ils nous ramènent vers l’Eucharistie, c’est-à-dire vers Lui, Jésus, présent et agissant.

En ce soir, réunis en mémoire de la Cène du Seigneur, du dernier repas de Jésus, pour nous cette année quelques jours après la Pâque juive, nous réalisons avec plus d’intensité qu’un dimanche ou en semaine que toute Eucharistie nous rend contemporains du geste de Jésus. Lui vient à nous pour nous tendre le pain qui est son corps livré et le vin qui est son sang versé. Sommes-nous là pour les recevoir ?

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 En ce soir, la liturgie de l’Église, depuis fort longtemps, fait entendre le récit de Jésus lavant les pieds de ses disciples. L’évangile selon saint Jean, vous le savez, ne raconte pas l’institution de l’Eucharistie. Mais il nous donne d’approcher un peu de l’intelligence du geste de Jésus livrant son corps et son sang au cœur du mystère pascal. Que fait Jésus, en effet, en livrant son corps et son sang dans le pain rompu et le vin partagé, et en nous demandant de le faire en mémoire de lui ? Il ne se contente pas de nous demander de refaire un geste religieux ou rituel. En lavant les pieds de ses disciples et en les essuyant avec un linge accroché à sa ceinture, il nous donne de comprendre un peu ce qu’il va faire en mourant sur la croix.

Il ne s’agit plus de sortir d’Égypte, mais il s’agit bien de passer de l’esclavage vers la liberté. Non plus de l’esclavage des idoles, des forces politiques, économiques, culturelles, cela est censé être acquis depuis l’Alliance au Sinaï. Jésus donne ses disciples les uns aux autres malgré tout ce qui les différencie, comme des frères et des sœurs à aimer, comme des compagnons avec qui apprendre à devenir un. En lui et par lui, nous sommes rapprochés comme par aucune autre force au monde. Ni les liens de famille, ni l’appartenance ethnique ou nationale, ne nous unissent à un degré tel de profondeur et de vérité, et surtout aucun autre lien ne nous tient ensemble, ne nous relie les uns aux autres, aussi fortement tout en nous permettant de devenir pleinement nous-mêmes. Ce faisant, il nous rend vulnérables les uns aux autres.

C’est pourquoi il lave les pieds de ses disciples et il les invite à faire de même. C’est pourquoi, dans chaque Eucharistie, il nous tend son corps et son sang en nourriture et boisson et nous invite à nous laver les pieds les uns aux autres.  Dans un pays chaud, où l’on marche nu-pied ou en sandales, les pieds sont la partie du corps que l’on salit forcément en marchant. Les Pères de l’Église y ont compris que Jésus pardonnait en quelque sorte par avance à ses apôtres les péchés de vanité ou d’orgueil qu’ils commettraient en apportant l’Évangile, les piqures d’amour-propre dont ils seraient forcément atteints. Notre époque comprend peut-être mieux le tragique possible dans les relations humaines. Elles cachent plus de violence qu’il n’y paraît au premier regard, et certaines attitudes, certaines paroles, certains gestes, auxquels leur auteur n’attache pas beaucoup d’importance, peuvent blesser beaucoup et durablement. Nous avons découvert cela dans l’Église et nous devons y être attentifs à tous les niveaux. L’intensité de la relation que le Seigneur crée entre ses disciples, l’ouverture mutuelle dans laquelle il nous place, exige de nous une délicatesse, une attention, un respect qui va bien au-delà de la civilité sociale. Selon le mot du grand théologien suisse Hans Urs von Balthasar, nous devons toujours garder mémoire que tout chrétien et, à vrai dire, tout être humain, est pour moi « un frère pour lequel Jésus est mort. »

Laver les pieds d’un autre peut paraître un geste humiliant, c’est en tout cas un geste qui suppose de l’humilité : l’humilité de se mettre aux pieds d’un autre et de lui rendre ce service, l’humilité d’accepter que l’on nous rende ce service, que j’ai besoin qu’un autre me lave les pieds. Chaque fois que nous célébrons l’Eucharistie, nous faisons mémoire de cet acte-là de Jésus, qui se met aux pieds de chacun de nous et qui nous lave les pieds pour que nous devenions capables de laver ceux des autres, cherchant avec toute l’ardeur et la délicatesse de notre intelligence, à nous faire leurs serviteurs. Il ne s’agit plus qu’un peuple sorte d’Égypte et échappe à l’esclavage et à la mort ; il s’agit que tous les humains sortent de leur orgueil, de leur vanité, de leur auto-satisfaction, et même de ces maigres assurances que nous cherchons trop souvent à nous procurer pour valoir aux yeux des autres ou à nos propres yeux. Face à l’Eucharistie de Jésus, frères et sœurs, nous découvrons que nous ne sommes pas d’Église en tant que nous consommons l’Eucharistie mais en tant que nous recevons de ce que Jésus nous donne de quoi nous servir mutuellement et fraternellement.

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L’Église a un centre, elle a un cœur, d’où tout d’elle part ou devrait partir et vers quoi d’elle doit revenir. Ce centre, ce cœur, n’est pas une chose, un objet ; c’est le Seigneur Jésus en son acte le plus intense, qui récapitule et donne sens à tous ces actes. C’est le Seigneur Jésus obéissant au Père en nous aimant jusqu’au bout, comme nous le dit, avec douceur et avec persévérance, l’évangéliste. C’est le Seigneur Jésus cloué par nous sur la croix mais se mettant ainsi, de tout son cœur, aux genoux de chacune et de chacun de nous, pour que nous consentions à ce qu’il nous apporte et pour que nous apprenions à l’imiter. Nous allons, comme chaque dimanche, comme chaque jour, poursuivre notre célébration, l’ensemble des gestes, des paroles, des chants qui nous permettent de nous associer aussi exactement que possible à l’acte de Jésus au soir de sa Passion, qui nous permettent d’être aussi contemporains que possible à ce geste si simple et si inouï du pain rompu qui est son corps livré pour notre nourriture et notre force et de la coupe de vin offerte qui est son sang versé pour notre purification et notre joie. Auparavant, nous allons revivre le geste du lavement des pieds : nous contemplons l’exemple qu’il nous donne, nous recevons le commandement qu’il nous laisse : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés ». En son centre, en son cœur, l’Église en est la mémoire vive, jusqu’à ce qu’il vienne,

                                                                                                                 Amen.


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