Homélie du 26 mars 2024, pour la messe chrismale - L'Eglise Catholique à Reims et dans les Ardennes

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Publié le 29 mars 2024

Homélie du 26 mars 2024, pour la messe chrismale

Homélie pour la messe chrismale, le mardi 26 mars 2024, en la cathédrale Notre-Dame de Reims

Qu’est-ce que l’Église, frères et sœurs, cette réalité sans laquelle nous n’imaginons pas être chrétiens et qui, pourtant, parfois, nous pèse ou nous étonne ou nous fatigue, voire nous dégoûte ? Qui tout à la fois nous tient unis à Jésus le Seigneur et nous en tient ou en tient d’autres écartés ? Elle est, nous le savons bien, le peuple que nous formons, de sorte qu’en la désignant, que ce soit pour l’honorer ou pour la mépriser, nous nous désignons nous-mêmes, et elle est aussi beaucoup plus que la somme de nous tous, une réalité voulue par Dieu dès le commencement de la Création, une longue tradition qui nous porte, qui nous engendre, qui nous fortifie, et l’espérance de la vie éternelle. Quand nous l’évoquons, dans notre pays, nous pensons à une vieille dame fatiguée, aux forces diminuées, et pourtant nous la savons faite des richesses de tous les peuples et de l’aventure spirituelle de l’humanité entière. Elle a été puissante, elle nous semble ne plus l’être ; elle était pour beaucoup le cadre inévitable de la vie en ce qu’elle a de plus important, en ce qu’elle unit le plus intime et le plus collectif ; elle est devenue une réalité à options, à laquelle chacune ou chacun se rattache selon la mesure qu’il veut bien se donner ou dont beaucoup se détachent, d’un coup ou par morceaux sans qu’elle puisse les retenir. Elle est pourtant ce vers quoi tendent les catéchumènes qui expriment le désir de lui appartenir, d’en faire leur maison ; elle est aussi une réalité qui ne cesse d’interroger ceux qui la croisent.

Ce soir, frères et sœurs, réunis en notre cathédrale pour la messe dite « messe chrismale », nous expérimentons que nous sommes l’Église ou que nous sommes d’Église. Les prêtres et les diacres du diocèse sont rassemblés, presque au complet, ce qui nous permet de penser aux absents, malades ou empêchés ; les religieuses et religieux, les personnes consacrées de notre diocèse, sont là, au moins à travers des représentantes et des représentants ; les différents Espaces missionnaires qui organisent notre territoire et les paroisses sont présents, au moins à travers les prêtres, les diacres et quelques laïcs, membres ou non des Équipes pastorales, des conseils d’animation missionnaire ou des conseils locaux d’animation ; les baptisés et confirmés sont là aussi, le cœur gonflé, et sans doute êtes-vous là aussi, catéchumènes qui serez baptisés dans la nuit de Pâques ou qui vous préparez encore pour l’être l’année prochaine, peut-être surpris de ce que vous voyez et entendez, attentifs aux gestes qui vont ponctuer cette célébration.

Lorsque l’Église locale est rassemblée autour de l’évêque, prêtres, diacres, religieuses et religieux, personnes consacrées, laïcs baptisés et confirmés, mariés ou non, alors l’Église du Christ se donne à voir et à sentir comme jamais. Nous vivons cela, ce soir.

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Or, que nous est-il donné d’entendre ? Une promesse. Une annonce. Non pas une constitution, un règlement, un code de loi, une charte, non pas un document qui constitue un peuple, une collectivité, pas même un programme de travail commun, une stratégie à suivre ensemble. Une personne se présente, une personne qui n’est aucun de nous et grâce à qui et pour qui et par qui nous sommes là. Une personne qui est en elle-même une bonne nouvelle, un évangile. Nous l’avons entendue s’exprimer deux fois, et je veux le faire entendre une troisième fois, parce que nous ne nous lassons pas de l’entendre se présenter à nous : « L’Esprit du Seigneur est sur moi parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction. Il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, annoncer aux captifs leur libération, et aux aveugles qu’ils retrouveront la vue, remettre en liberté les opprimés, annoncer une année favorable accordée par le Seigneur. »

Quelqu’un s’est dressé au milieu de l’humanité, quelqu’un a parlé pour oser dire : « L’Esprit du Seigneur est sur moi » et l’Église est l’ensemble de celles et de ceux qui entendent cette présentation avec joie, l’ensemble de celles et de ceux qui vibrent à cette parole. Non pas une institution qui nous enserre de tous côtés et nous porte comme des enfants, mais le rassemblement de celles et ceux en qui cette parole suscite de la joie, de l’espérance, à qui cette parole fait relever la tête et redonne ou donne davantage goût de vivre, entrain à agir, désir de construire. Non pas d’abord une structure, mais un frémissement, un tressaillement, pour reprendre le mot du pape François à Marseille fin septembre.

A qui s’adresse cette parole, à qui est-elle destinée ? Cela est dit clairement : aux pauvres, aux captifs, aux aveugles, aux opprimés. Frères et sœurs, l’Église n’est pas le rassemblement de ceux et celles qui pensent bien, elle n’est pas le club de celles et ceux qui assument la tradition de leur pays, la longue histoire des siècles. Elle est avant tout un rassemblement de pauvres qui ont reçu une bonne nouvelle, de captifs qui ont goûté à quelque chose qui ressemble à une libération, d’aveugles qui ont découvert et continuent à découvrir ce que c’est que voir, d’opprimés qui expérimentent la liberté. Mieux encore, si nous écoutons maintenant le livre de l’Apocalypse : elle est composée de pécheurs délivrés de leurs péchés. Disons-le autrement : ce n’est pas en tant que nous sommes riches et bien nourris et bien instruits et intelligents ni en tant que nous faisons le bien et que nous méritons l’estime de tous que nous sommes l’Église ou que nous sommes d’Église, mais en tant que l’auto-proclamation de Jésus, et donc sa parole et son action et sa présence, dévoile en nous une pauvreté dont nous croyons qu’il nous tire ou à laquelle il donne un sens, une captivité dont il nous fait sortir, une cécité que sa lumière corrige, une dépendance dont nous apprenons à nous débarrasser pour dépendre de lui seulement. Ce n’est pas en tant que nous sommes des justes, des gens bien ou des gens de bien, que nous sommes d’Église mais en tant que nous consentons à être délivrés de nos péchés par son sang, son sang à lui.

Que vaut cet ensemble que nous formons ? Que pèse ce peuple que nous constituons ? Un drôle de ramassis, même à l’échelle du monde. Une étrange caravane de pèlerins trop différents pour aller au terme de leur route, diffractés par trop d’intérêts ou d’attentes divergentes. Qu’est-ce que tout cela face aux pouvoirs concentrés des États, face aux prestiges de la culture et du commerce désormais intimement mêlés, face aux puissances économiques dont les fatalités semblent mener le monde ?  Bien peu de choses, et nous l’éprouvons tous les jours dans notre monde sécularisé. Qu’est-ce que cela face aux agitations de la nature et à la capacité des êtres humains de s’entretuer ? Peu de choses, presque rien.

Et pourtant, non. Car c’est la force de celui qui a passé par la mort et qui a surgi dans la Résurrection, c’est la puissance du « premier-né des morts, du prince des rois de la terre » qui nous tire, les uns et les autres, de nos médiocrités, de nos esclavages, de nos déterminations et qui nous établit, nous l’avons entendu, comme « un royaume et des prêtres pour son Dieu et Père. » C’est l’Esprit qu’il a gagné par sa Passion et sa Résurrection la puissance d’insérer dans nos libertés les plus profondes qui fait que, pauvres, nous pouvons enrichir les autres, que, captifs, nous trouvons la liberté de choisir un meilleur que beaucoup ont renoncé à viser ; qu’aveugles, nous voyons la beauté et la bonté et du cosmos et des autres qui nous entourent ; qu’opprimés, nous trouvons la force de donner un peu ou beaucoup de nous-mêmes à qui le demande.

J’ai noté cette semaine dans un journal une citation éclairante d’un auteur assez connu, Zygmunt Bauman : « Il s’agit de faire du monde dans lequel nous devons vivre un monde meilleur qu’il n’était ou qu’il n’est ; et lorsque cela s’avère impossible, alors il s’agit au moins de nous améliorer au sein de ce monde », ce qu’il commentait encore : « Nous ne quitterons pas le monde en le laissant aller comme il va à la condition de ne pas nous aller comme nous allons. » Il n’était pas théologien mais sociologue, pas chrétien mais juif, de ce peuple qui a longtemps médité la prophétie d’Isaïe en son chapitre 61. Nous, chrétiens, osons croire que Jésus, le Christ, le Messie, l’oint d’Israël pour toutes les nations, rend vrai ce qui est exprimé ainsi. En lui, Jésus, nous puisons la force ; de lui, Jésus, nous recevons la force, de nous transformer en allant vers le meilleur.

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 Les huiles que nous allons maintenant bénir et consacrer au milieu de vous et pour vous signifient les dons formidables du Seigneur Jésus. L’huile des malades annonce et promet que, même dans la faiblesse du corps et de l’âme, nous pourrons faire de nos vies une offrande agréable à Dieu, en faisant passer la foi, l’espérance et la charité en notre état de malade même ; l’huile des catéchumènes annonce et promet que nous pourrons nous dégager du péché et de ses habitudes et trouver la liberté de choisir le vrai ; le saint-chrême, lui, annonce et promet que notre intelligence, notre volonté, notre mémoire ne sont pas seulement là pour nous permettre de survivre ici-bas le moins mal possible, mais pour voir et servir et choisir la gloire de Dieu. Ce que nous faisons de ces dons que nous recevons peut paraître peu de choses aux yeux du monde ; chaque acte pourtant est un fruit du Seigneur descendu dans la mort et tiré par le Père, vivant et vainqueur. Tous ne savent pas le voir, mais heureux ceux et celles qui le reconnaissent ! L’huile, nous le savons, assouplit les muscles et fluidifie les articulations, même les plus mécaniques, elle rend efficaces les rouages. Nous ne sommes pas l’Église de Jésus lorsque nous nous durcissons sur ce que nous pensons être ni lorsque nous nous heurtons les uns contre les autres. Nous sommes son Église lorsque nous nous accordons avec souplesse, lorsque nous nous faisons de la place les uns aux autres, lorsque nous nous aidons à progresser, lorsque nous nous encourageons à répondre à l’appel du Seigneur à la sainteté, lorsque nous laissons la charité passer en nous.

C’est pour cela, frères et sœurs, que je suis ici, au milieu de vous, envoyé après beaucoup d’autres, dans l’élan de l’envoi des apôtres par Jésus. C’est pour cela que je me tiens là, devant l’autel, avec Mgr Vetö et avec les prêtres du diocèse, mes collaborateurs, pour vous servir. Avec Mgr Vetö, ils étendront les mains, en même temps que moi, pour consacrer le saint- chrême. Pour que la force du Christ, mort et ressuscité, écrasé dans le pressoir de la Passion et ressuscité d’entre les morts, vous rejoigne, non pas depuis le temps lointain de ses années de Palestine, mais « aujourd’hui », depuis la Résurrection où il est à jamais, pour qu’aujourd’hui sa parole vous atteigne ; qu’aujourd’hui l’Esprit qui reposait sur lui pénètre votre esprit ; pour que de pauvres, vous soyez riches de la richesse de Dieu ; de captifs, vous soyez libres dans l’Esprit de Dieu, d’aveugles vous soyez éclairés par la lumière de Dieu ; d’opprimés, vous deveniez libres de la liberté de Dieu qui veut la vie et la joie et la paix, de raides ou de raidis vous deveniez souples et engageants. C’est pourquoi aussi il y a au milieu de vous les diacres. Eux n’étendront pas les mains, ils ne se joindront pas à la prière que nous prononcerons pour vous et pour eux. Mais ils me rappellent et ils nous rappellent à tous que l’Église n’est pas achevée tant que les pauvres, les captifs, les aveugles, les opprimés n’ont pas reçu la bonne nouvelle de Jésus le Messie, que l’Église ne peut être quitte de sa mission tant que tous ceux pour qui elle est faite n’y ont pas trouvé leur place, ne s’y sentent pas chez eux, que nous tous qui sommes dans l’Église et qui sommes l’Église aussi en un sens nous ne pouvons jouir pleinement des biens qui nous sont donnés tant qu’il reste des êtres humains empêchés d’y avoir part par  la maladie, l’emprisonnement, la pauvreté ou la précarité, mais surtout par le mépris que nous pourrions avoir pour eux ou par la peur que nous pourrions leur inspirer.

En cette année 2024, l’Église catholique célèbre la restauration du diaconat comme un degré stable et permanent du sacrement de l’ordre. Je veux dire ce soir ma grande gratitude aux diacres d’hier et d’aujourd’hui, aux quelques-uns déjà décédés et à leurs épouses dont certaines vivent parmi nous encore, à ceux qui se tiennent ici accompagnés de leur épouse et à ceux qui n’ont pu venir, mon immense gratitude. Je les confie à votre prière et, spécialement, à la prière des religieux et religieuses, moniales ou apostoliques, vierges consacrées et laïques consacrées de notre diocèse. Je vous confie à tous les deux candidats au diaconat qui m’ont écrit leur lettre et à qui je vais répondre en ces jours. Ils seront ordonnés le 23 juin prochain en notre cathédrale. Il a été fortement rappelé aux évêques réunis en assemblée plénière que la restauration du diaconat n’avait pas été voulue pour suppléer un quelconque manque de prêtres mais pour rendre visible l’extension du ministère épiscopal, qui ne se réalise pas entièrement par la célébration des sacrements et la prédication, mais qui doit sans cesse garder au cœur celles et ceux qui sont loin du centre de l’Église et qu’il faut aider à le rejoindre et qu’il faut rendre présents au cœur même de l’Église. Ce cœur, nous allons le célébrer dans un instant. C’est l’acte eucharistique du Seigneur Jésus.

Qu’est-ce donc que l’Église, frères et sœurs. C’est nous et c’est beaucoup plus que nous. C’est nous tous en tant que nous sommes transformés par l’Esprit-Saint de Dieu. C’est tout ce que cette cathédrale en sa splendeur évoque et promet. Croyons-le, ce soir et demain : « Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Écriture que vous venez d’entendre »,

                                                                                                                                       Amen.


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