Actualités du diocèse Homélies Publié le 27 mai 2024 Homélie du 26 mai 2024, pour les Fêtes Johanniques Homélie de Mgr Alexandre Joly, pour les Fêtes Johanniques, le dimanche 26 mai 2024, en la cathédrale Notre-Dame de Reims Reims résonne de joie pour les fêtes johanniques, se souvenant de l’événement glorieux del’arrivée du Dauphin accompagnée de la Pucelle d’Orléans pour le couronnement du nouveauRoi de France, Charles VII, le 17 juillet 1429. Ce temps de joie qui conduira à la libération duRoyaume de France se soldera toutefois par l’arrestation de Jeanne d’Arc à Compiègne et sonjugement à Rouen. Rouen dont Jeanne peut s’écrier, à la fin de son procès : « Ha ! Rouen,Rouen, seras-tu ma maison ? Rouen ! Rouen ! mourrai-je ici ? » En 2015, au sein même del’archevêché de Rouen, a été installé l’Historial Jeanne d’Arc. Cet Historial nous plonge dansl’histoire pour revivre le procès de réhabilitation de Jeanne d’Arc, ou plus précisément leprocès en 1456 qui en viendra à condamner le procès de Jeanne d’Arc de 1431, et annuler lacondamnation de la jeune pucelle d’Orléans. Après s’être plongé au XVe siècle, le visiteur estinvité à découvrir, dans les deux dernières salles, la destinée de Jeanne d’Arc dans l’histoire,la manière dont les uns et les autres ont réutilisé voire récupéré le personnage de Jeanned’Arc, souvent à dessein de conforter leurs propres conceptions. Cette récupération n’est pasl’apanage d’un parti mais a tenté les divers courants de l’échiquier politique, de gauche et dedroite. Il est étonnant de voir comment cette jeune fille du XVe siècle fascine les uns et les autres,jusqu’à la tentation de la récupération. Cette tentation ne se limite pas à l’époquecontemporaine, puisque Jeanne d’Arc a déjà été l’objet de groupes de pression au momentmême de son épopée de libération du Royaume, pression qui a conduit à son procès et à samort sur le bûcher en place de Rouen. Les Bourguignons, les Anglais, certains membres de lacour du Roi de France, ils vont se servir de Jeanne d’Arc pour faire pression et justifier leursoptions politiques. C’est d’autant plus paradoxal que Jeanne d’Arc a gardé une liberté étonnante, face à tous cesgroupes de pression, dans une simplicité lumineuse, refusant d’appartenir à un groupe depression pour ne dépendre que d’un seul, Dieu lui-même, ce qu’elle clamera tout au long deson procès. L’Église elle-même, ou plutôt certains hommes d’Église se sont battus autourd’elle, cherchant à mettre la main sur elle et se jouer de sa candeur, mais n’ont pas réussi àprendre sa liberté. Voire même, en s’acharnant sur elle, ils ont perdu leur propre liberté. AinsiMonseigneur Pierre Cauchon, évêque de Beauvais, en charge du procès puisque Jeanne avaitété arrêtée à Compiègne, a fini par chercher à sauver Jeanne de la mort, à travers larenonciation de Saint-Ouen qui n’était en réalité qu’une simple soumission lui demandant dereconnaître l’autorité de l’Église et de reprendre les vêtements féminins en échange de sa vie.Ne résistant pas à la pression des Anglais en colère contre ce jugement trop clément, il s’estempressé de réaliser un deuxième procès qui conduira à sa condamnation et Pierre Cauchonà renoncer à sa conscience et à sa propre liberté de jugement. Les efforts n’ont pas été minces pour piéger Jeanne d’Arc lors de son procès, faisant appel àdes documents détournés, des questions répétées sous des angles différents pour ladéstabiliser, jouant sur les mots et les expressions… Rien n’y fait, Jeanne est restée libre, fidèleà elle-même, jusqu’au bout, jusque sur le bûcher, jusque dans ses dernières paroles de pardonet de foi. « Je leur pardonne le mal qu’ils m’ont fait, Jésus, Jésus ! » Jeanne reste fidèle à sa décision de ne pas révéler ce qui n’appartenait qu’au Roi, ce que sesvoix lui ont demandé de ne transmettre qu’au Roi de France. Pourtant les juges n’ont pasmanqué d’imagination pour la contraindre à répondre : sa fidélité à Dieu l’empêchaitd’enfreindre cette réserve. « Des révélations à moi faites de par Dieu, je ne les ai dites nirévélées à personne, fors au seul Charles, mon Roi. Et je ne les révélerai, même si on devaitme couper la tête ! Car j’ai eu cet ordre par vision, j’entends par mon conseil secret, de ne rienrévéler à personne ». Jeanne s’est engagée de tout son être pour bouter les Anglais hors du Royaume de France etpermettre à Charles VII de régner sur le Royaume. C’est ce que lui ont intimé les voix qu’ellea entendues. Dieu aurait-il pris parti pour une nation en se servant de cette messagère deDomrémy ? Aurait-il fait le choix de la France contre l’Angleterre ? Le procès de Jeanne estéclairant à ce sujet : il lui est demandé si les voix l’ont intimé à haïr les Anglais. « Dieu hait-illes Anglais ? » lui demande Jean de La Fontaine. – « De l’amour ou haine que Dieu a pour lesAnglais, ou de ce que Dieu fera à leurs âmes, je n’en sais rien. Mais je sais qu’ils seront boutéshors de France, excepté ceux qui y mourront ; et que Dieu enverra victoire aux Français, etcontre les Anglais ». Ses derniers mots seront pour les Anglais d’une manière touchante, etnon sans une pointe d’humour : « Je demande pardon aux Anglais et aux Bourguignons, pource que j’en ai fait occire, et mis en fuite, et que je leur ai causé beaucoup de dommages ».L’Église a toujours eu la tentation de s’engager dans les réalités politiques de son temps, avecparfois le rêve d’établir une chrétienté où règnerait le droit de Dieu. Pourtant la liberté del’Église doit la conduire à respecter le commandement du Seigneur : « Rendez à César ce quiest à César, et à Dieu ce qui est à Dieu ». Lorsque l’Église joue le jeu politique, dans le rêved’une société parfaite, dans le rêve d’établir le droit de Dieu à l’intérieur du droit d’une nation,elle perd sa liberté jusqu’à ne plus être en mesure de révéler le vrai visage de Dieu. C’est cequi s’est passé malheureusement dans lors du procès de Jeanne d’Arc. Au lieu de défendreDieu, les hommes ont cherché à piéger Jeanne, jusqu’à prendre de simples fêtes rurales deDomrémy pour des rites païens ; au lieu de défendre le vrai visage de Dieu et le culte renduau vrai Dieu, ils ont prétendu condamner des rites païens et finalement sali le visage de Dieu,faisant le choix du mensonge au lieu d’être au service de la vérité. Se servant d’un procèsreligieux pour régler une question politique, les hommes ont perdu la vraie liberté de l’Église.Pourtant, le livre du Deutéronome nous rappelle que le Peuple de Dieu peut être témoin dela grandeur de Dieu dans sa vie : « Est-il un peuple qui ait entendu comme toi la voix de Dieuparlant du milieu du feu, et qui soit resté en vie ? Est-il un dieu qui ait entrepris de se choisirune nation, de venir la prendre au milieu d’une autre, à travers des épreuves, des signes, desprodiges et des combats, à main forte et à bras étendu, et par des exploits terrifiants ? » (Dt4, 33-34). Lorsqu’il salit le nom de Dieu en utilisant Dieu pour d’autres motifs, dans unecompromission pour les intérêts du monde, les intérêts d’un moment, fussent-ils religieux, lePeuple de Dieu fait le choix du mensonge, perd sa liberté et devient objet de scandale. Cettetentation est malheureusement de tout temps, nous pouvons le constater aujourd’hui encore.L’implication de Jeanne d’Arc n’était pas un choix politique mais la dénonciation de l’injustice.Au prix de tractations et de jeux politiques de la Cour royale, le roi Charles VI a abdiqué auprofit de l’envahisseur, trahissant le peuple qu’il avait vocation à servir. Le choix de Dieu etdonc le choix de Jeanne n’était pas la France face aux Anglais mais le respect de l’intégrité dela France et la juste place des Anglais dans leur territoire. Au fil de l’histoire, cette injusticetend à se reproduire dans d’autres contrées du monde. S’il est question de récupération politique du personnage de Jeanne d’Arc, il y a aussi larécupération religieuse. Là aussi, la liberté de Jeanne n’a pas failli. Alors qu’on cherche à lafaire prendre position sur les antipapes Clément VIII et Benoît XIV, Jeanne reste fidèle au papeet au mystère de l’Église. Elle qui n’a pas fait d’études de théologie, les juges cherchent à lamettre en difficulté en opposant l’Église dans la gloire et l’Église dite militante, en opposantl’Église dans sa réalisation finale qui serait parfaite et l’Église concrète avec son institution quine serait pas juste. On entend aujourd’hui encore le rêve d’une Église qui soit au-delà del’Église concrète, un amour pour l’Église qui n’est pas l’Église concrète que nousexpérimentons aujourd’hui ; il est de bon ton de dire du mal de l’Église ; ses membres peuventfaillir, l’Église concrète est l’oeuvre de Dieu et doit refléter Dieu. En lui suggérant de se méfierde l’Église militante, de faire face à l’Église et de s’opposer à elle, les juges veulent mettre endoute sa foi. Mais Jeanne reste fidèle à l’unité de l’Église, confiante en l’Église alors mêmequ’elle est l’objet d’un procès injuste de sa part. « M’est avis que c’est tout un de Notre-Seigneur et de l’Église, et qu’on n’en doit point faire de difficulté ». Elle n’est pas dupe de ce qui se joue autour d’elle. « Voulez-vous vous soumettre à l’Église ? »– « Qu’est-ce que l’Église ? Quant à ce qui est de vous, répond-elle à l’évêque, je ne veux pasme soumettre à votre jugement, parce que vous êtes mon ennemi capital ». Ou bien encore :« Je m’en attends à ma mère l’Église » – « Évêque, je meurs par vous ! »« Vous n’avez pas reçu un esprit qui fait de vous des esclaves et vous ramène à la peur ; maisvous avez reçu un Esprit qui fait de vous des fils ; et c’est en lui que nous crions “Abba”, c’està-dire Père ! » (Rm 8, 15). C’est la liberté des enfants de Dieu qui marque le coeur et l’être deJeanne d’Arc, et qui lui donne d’être libre jusqu’au bout. Dieu nous a créés pour la liberté, ets’il vient nous libérer, c’est bien pour nous rendre libres. Liberté à l’égard de toute pressionde la mentalité du moment, liberté à l’égard d’intérêts particuliers, fussent-ils creux d’uncourant de l’Église, liberté à l’égard des choix de la société, mais surtout la liberté intérieure,celle qui donne d’être fidèle à soi-même et finalement à Dieu. C’est cette liberté qui donne le droit de prendre la parole, de dénoncer l’injustice, de montrerle chemin du bien, d’alerter sur le chemin qui conduit à la mort, la mort de l’autre, ladestruction au sein de la société. Disciples du Christ, à l’image de la libre Jeanne d’Arc, que leSeigneur nous donne la grâce de la liberté intérieure, de la liberté politique, de l’audace de laparole en raison de la vérité et du témoignage. Alors on pourra entendre dire : mais qui est ceDieu, ce Jésus-Christ, qui conduit ses disciples à être à ce point libres ? Mais qui est ce Dieuqui accomplit des merveilles dans ce peuple ? +Alexandre JolyÉvêque de Troyes Homelie-pour-les-Fetes-Jeanne-dArc-le-26-mai-2024Télécharger Partager Imprimer