Homélies de Mgr Eric de Moulins-Beaufort pour la Vigile pascale et pour Pâques - L'Eglise Catholique à Reims et dans les Ardennes

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Homélies de Mgr Eric de Moulins-Beaufort pour la Vigile pascale et pour Pâques

Homélie pour la vigile pascale

Homélie pour la Vigile pascale 2021, le dimanche 4 avril, en la cathédrale Notre-Dame de Reims, à l’aube (6h30), baptême de Mehdi et Leïla.

Vous souvenez-vous ? il y a huit jours, au dimanche des Rameaux, a été proclamée la Passion selon saint Marc. Au moment où Jésus est arrêté, saint Marc rapporte qu’un jeune homme qui dormait dans le jardin, alors qu’on tentait de l’arrêter lui aussi, s’est enfui tout nu laissant un drap blanc entre les mains des soldats. Des interprétations multiples de ce jeune homme ont été proposées. Il est à tout le moins un indice : dans un roman d’aventures, si quelqu’un réussit à échapper à l’arrestation, c’est que l’histoire n’est pas finie. Quelque chose peut reprendre. Or, ce matin, dans le tombeau, un jeune homme encore, vêtu de blanc. Les autres évangiles synoptiques parlent d’un ange ; Marc est plus prudent ou plus prosaïque. Mais ce jeune homme-là, –  est-il le même que l’autre, pas forcément -, porte une parole plus qu’humaine : « Ne soyez pas effrayées ! dit-il aux trois femmes. Vous cherchez Jésus de Nazareth, le Crucifié ? Il est ressuscité : il n’est pas ici. Voici l’endroit où on l’avait déposé. » Le découpage liturgique concentre notre attention sur le message dont le jeune homme est porteur ; si vous connaissez les évangiles ou si vous avez eu la curiosité de lire l’évangile lui-même, vous savez que la suite est surprenante : ces paroles entendues, que firent les femmes, aux dires de saint Marc ? Elles s’enfuirent, craintives et toutes tremblantes, et ne dirent rien à personne tant elles étaient effrayées !

Il a bien fallu qu’elles parlent puisque nous sommes là ! Mais ce que dit le jeune messager a de quoi impressionner. Il n’annonce pas un changement d’adresse : celui qui était là habiterait désormais en Galilée ! Non : dans des mots de tous les jours, ce qu’il profère bouleverse tout : « Il est ressuscité : il n’est pas ici ». Cela veut dire : « Il est, mais pas ici », il n’est plus ici, plus dans le tombeau qui est pourtant par excellence le lieu dont nul ne sort, et il est vivant comme nul ne l’est. « Voici l’endroit où on l’avait déposé. » Dès lors, tout est nouveau, tout est différent. La mort n’est plus le dernier mot de l’histoire des hommes. La fatalité des pouvoirs, la déception qu’entraîne toute promesse, la ruine de toute aventure parce que le mal ronge inéluctablement ce que nous entreprenons, rien de cela n’est plus la conclusion de l’aventure humaine. Le jeune homme vêtu de blanc est comme un nouveau premier homme, un Adam restauré. L’aventure humaine reçoit en ce matin-là un nouveau départ que rien ne pourra plus empêcher. Mais cela ne se comprend pas en un clin d’œil. Ce qu’annonce le jeune homme paraît simple, mais pour le recevoir, il faut tout un travail. Les femmes, ni les disciples, ne peuvent le recevoir d’un coup. Il faut se souvenir de ce qu’il avait dit. Toute l’histoire s’éclaire différemment, toute la trame de la vie des humains depuis le commencement peut se lire autrement. Le non-sens sur lequel la mort facilement appose son sceau n’est plus le plus certain.

Nous venons, frères et sœurs, de faire ce travail au long de cette Vigile. Le récit de la création n’est pas seulement la réponse à la question : pourquoi quelque chose plutôt que rien ; il est la promesse que notre existence est tout entière portée par la bonté de Dieu et que Dieu crée non pour la mort mais pour la vie. La sortie d’Israël d’Égypte n’est pas seulement un haut fait du passé ; le peuple juif dont nous avons l’audace dans le Christ de nous dire les frères et les sœurs le sait bien : il a célébré Pessah toute cette semaine, non seulement pour commémorer son origine mais pour se rendre disponible afin que Dieu le tire hors de lui-même un peu plus loin dans l’Alliance. L’histoire que nous appelons le sacrifice d’Abraham et que les juifs nomment la ligature d’Isaac ne nous rappelle pas seulement de manière un peu effrayante la radicalité de l’obéissance d’Abraham à Dieu ; elle nous montre que la foi est toujours foi en Dieu qui ressuscite les morts et elle annonce que le Fils lui-même s’offre pour faire de nous ses frères et ses sœurs. Enfin, le prophète Ezéchiel ne se contente pas de rendre poétique la fin de l’exil d’Israël à Babylone, il voit déjà l’humanité tirée du péché et rénovée intérieurement, depuis le plus intime des cœurs et des esprits. Voilà pourquoi nous avons chanté la gloire de Dieu et entendu saint Paul : car oui, vraiment, puisque Jésus n’est pas ici, à l’endroit où on l’avait déposé mort, puisque le tombeau est béant et habité non par un cadavre mais par un jeune homme, alors, oui, vraiment, « l’homme ancien qui est en nous a été fixé à la croix », et nous sommes morts au péché et « vivants pour Dieu en Jésus-Christ ».

En ce matin, le jeune homme vêtu de blanc du tombeau prend pour nous la double figure de Medhi et de Leïla. Ils ont compris que Jésus brisait les fatalités de l’histoire, ils ont été rejoints, précédés, par lui dans la Galilée de leur existence, ils ont compris que, lui, Jésus, les attendait et les espérait. Ils vivaient l’un et l’autre bien sûr, mais ils ont pressenti que l’existence humaine pouvait être plus belle, plus intense, plus large, qu’elle commençait en Dieu et s’achevait en lui, qu’elle portait la promesse de la fraternité de tous, et cela parce qu’il est venu, lui, Jésus, qu’il est allé jusqu’au bout de l’expérience humaine, lui le Crucifié, et qu’il a été tiré vers la vie en plénitude par le Père, parce que, par lui, les tombeaux sont faits pour devenir béants : « Vous cherchez Jésus de Nazareth, le Crucifié ? Il est ressuscité ! ». Si le tombeau n’est plus fermé par la lourde pierre, si nous pouvons y entrer, ce n’est pas pour y rester, c’est pour en repartir vite. Tout à l’heure, avec Mehdi et Leïla, nous sortirons de notre cathédrale, nous retrouverons le monde tel qu’il est, avec ses inquiétudes, son épidémie, ses tracas, ses douleurs, et pourtant nous le verrons différemment : non plus vide et silencieux, non pas seulement réveillé par le printemps, mais plein de la présence de Jésus : « Il vous précède en Galilée. Là vous le verrez, comme il l’avait dit ».

Souvenons-nous, frères et sœurs : les trois femmes : Marie-Madeleine, Marie et Salomé, sont venues au tombeau ce matin-là avec les parfums qu’elles avaient achetés pour embaumer le corps de Jésus. Mais ce corps-là avait déjà été oint de parfum, à la veille de la Passion, par la femme de Béthanie. Jésus n’a plus besoin qu’on l’embaume. Il est, lui, en lui-même, le Christ, le Messie, l’Oint du Seigneur. Lui fait descendre sur nous l’huile de son Esprit-Saint qui nous remplit de la douceur de sa bonté, de la force de sa sagesse, du réconfort de son conseil et cela afin que nous menions une vie nouvelle, non plus sous le pouvoir du péché mais dans la liberté de sa vie, Amen, Alléluia !

Homélie du jour de Pâques

Homélie pour le saint Jour de Pâques, en la cathédrale Notre-Dame de Reims, le 4 avril 2021, baptême de Chelsea et Yohnna.

On n’accède pas à la résurrection du premier coup, ni de plain pied. D’abord Marie Madeleine constate seulement que la pierre a été enlevée du tombeau. Elle en déduit qu’« on a enlevé le Seigneur de son tombeau » et qu’elle ne sait pas où on l’a déposé. Notez qu’elle ne dit pas : « On a enlevé le corps du Seigneur », mais bien : « On a enlevé le Seigneur ». Qui est ce « on » ? On ne le sait encore. Car il va se révéler vrai qu’on a enlevé le Seigneur, mais ce ne seront pas des soldats, des disciples, des méchants ou des amis. Le Père lui-même a enlevé son Fils, son Envoyé, du tombeau et il lui a donné pleine part avec lui. Avant de comprendre cela, Marie Madeleine trouve Pierre et l’autre disciple. Tout cela est représenté, frères et sœurs, sur la façade Ouest de notre cathédrale : Marie Madeleine qui s’interroge et se lamente, Pierre qui s’étonne et, sur le côté Sud, déjà, le disciple que le Seigneur aimait qui se tient prêt à courir. A jamais, ils sont là-haut pour nous, jouant ce premier matin de Pâques-là pour que nous aussi, nous puissions voir et croire.

Lorsqu’ils arrivent tous deux au tombeau, Pierre et l’autre disciple, vous l’avez entendu, vous le savez, ils ne croient pas tout de suite. De Pierre, saint Jean ne nous dit pas qu’il crût alors. De l’autre disciple, il nous fait comprendre qu’il a fallu deux temps : un premier constat et puis un second ; d’abord le tombeau vide avec les linges posés à plat ; puis le tombeau et les linges et le suaire et Pierre surtout dans le tombeau. Alors il comprend que tout a été préparé et annoncé depuis longtemps. Il n’y a pas eu un vol de cadavre, il n’y a pas eu non plus une disparition mystérieuse. Non, il s’est passé ce qui devait se passer, ce vers quoi toute l’aventure humaine tendait et tend encore, ce qui seul donne sens à tout ce que l’humanité et chaque être humain en elle vit et souffre, expérimente et supporte, projette et réussit ou échoue à construire. C’est pourquoi il est si difficile de croire en la Résurrection de Jésus. Il est si facile de voir le chaos de notre histoire humaine, il est si aisé de faire valoir l’absence de sens, le manque de direction et l’incohérence de signification de tout ce qui nous arrive, sauf à y voir la répétition du mal, l’échec des aspirations vraiment généreuses, le succès des calculs bien maîtrisés. Croire en la Résurrection de Jésus, c’est croire que le don désintéressé de soi, la recherche de la vérité, l’humble reconnaissance de ses fautes, la confiance dans le pardon, l’espérance de la communion de tous les humains, l’emportent et font la vérité, le sens et la cohérence de toute vie humaine, parce que Dieu perce tous les tombeaux où nous pouvons nous enfermer ou nous complaire.

Alors, frères et sœurs, nous tous ici rassemblés en ce matin de Pâques, nous sommes les uns pour les autres les témoins et les garants de la Résurrection de Jésus. Je le suis pour vous au nom de l’Église entière avec les prêtres et les diacres qui m’entourent, et vous l’êtes aussi pour nous et pour vous mutuellement. Car c’est en nous appuyant sur la foi les uns des autres que nous pouvons découvrir l’ampleur, la largeur, la profondeur, la force du Ressuscité. Avant tout, en effet, la Résurrection est Jésus en personne. Il n’est pas dans le tombeau parce que lui ne pouvait y rester, Lui n’avait pas d’accointance avec la mort. Lui a pu choisir de mourir pour nous tous, parce que Lui n’était en dette à cause du mal qu’il aurait commis, il n’avait pas eu besoin de faire du mal pour assurer son existence, il a pu faire de sa vie un don pur et simple. De lui, on a pu dire, et c’est Pierre qui le fait : « Il a passé en faisant le bien ». La formule peut paraître banale : en lui, elle est vraie, entièrement. Il n’a passé qu’en faisant le bien et il a fait tout le bien possible, préférant livrer sa vie comme vie que se commettre avec le mal et la mort. Lui a pu se remettre entièrement entre les mains du Père et lui a pu être tiré du tombeau tout entier, sans que rien de lui ne puisse’y rester.

La Résurrection de Jésus ne se constate pas comme un autre événement de ce monde. Elle ne se soumet pas au regard des gendarmes ni des journalistes ; elle échappe aux prises de notre intelligence rationnelle. Elle ne peut être comprise et acceptée que par quelqu’un qui accepte d’être transformé par elle. Ne peuvent voir et croire que ceux et celles qui sont prêts ou prêtes à accueillir en leur vie, en leur manière de voir la vie, l’avenir, les autres, eux-mêmes, à la lumière du fait de la Résurrection, ceux et celles qui sont prêts, qu’ils le sachent ou non, à ce qu’une telle nouvelle bouleverse leur vie. On ne parle pas de la résurrection et moins encore du Ressuscité comme on parle d’un succès politique ou sportif et comme on parle de l’épidémie. Rares sont ceux ou celles qui ont vu ou peuvent voir le virus : il faut un équipement exceptionnel et il faut avoir appris à interpréter les images de ce type, mais tout le monde peut parler du virus et le fait avec abondance. Nul n’a vu la Résurrection, le moment précis où elle a eu lieu. Rares sont ceux et celles qui ont vu le Ressuscité, ils sont quelques-unes et quelques-uns que nous connaissons par les évangiles, les Actes des Apôtres, les lettres de saint Paul par exemple. Ils sont, nous a dit saint Pierre, quelques « témoins que Dieu avait choisis d’avance », ceux qui ont mangé et bu avec Jésus après sa résurrection d’entre les morts.  Ces témoins sont privilégiés, certes oui, et tant mieux, parce que, grâce à eux, nous sommes là nous aussi. Mais nous sommes aussi de ces témoins en fait puisque nous nous réjouissons que « notre vie soit cachée avec le Christ en Dieu ». Notre secret le plus profond, notre vérité la plus réelle, nous ne les attendons que de lui : nous savons bien que notre vie n’est pas toute rayonnante de la Résurrection et pourtant, nous osons croire, c’est-à-dire savoir, que le plus vrai de nous est conservé par le Seigneur Jésus et qu’un jour nous « paraîtrons avec lui dans la gloire. »

Ce matin, nous recevons deux témoins du Ressuscité. Yohnna et Chelsea, au milieu de nous, vont recevoir le baptême. En elles, nous allons voir, une fois de plus, la puissance du Ressuscité s’exercer. De ces jeunes femmes qui ressemblent à beaucoup d’autres même si elles commencent à se savoir chacune unique, nous allons recevoir ce matin le témoignage comme hier ou ce matin, vingt-cinq autres qui ont été baptisés, avec des milliers dans le monde. Nos deux amies vont être plongées dans la mort du Christ pour avoir part à sa Résurrection. Elles choisissent cela, elles le demandent, parce qu’elles ont perçu que leurs vies, belles, intéressantes, pouvaient être transfigurées encore, par le don du Christ. Elles ont perçu qu’elles pouvaient vivre dès ici-bas en filles bien-aimées du Père, non pas en personnes parfaites donnant des leçons à tous, mais en personnes rendues capables de puiser la source de leurs actes et de leurs pensées dans la charité du Dieu Vivant, du Dieu Trinité, lui-même. Alors, frères et sœurs, regardons-nous ce matin comme des témoins du Ressuscité les uns pour les autres. Certains parmi nous courent plus vite, certains voient et croient de manière plus forte, plus directe. Tous, nous sommes au service les uns des autres et, par là, au service de l’humanité qui nous entoure. Car, même notre monde sophistiqué, suréquipé, a besoin d’entendre la bonne nouvelle que nous recevons ; car même nos contemporains dont la plupart ont une forme physique dont leurs ancêtres ne pensaient pas à rêver, mais dont certains sont malade à des tas de degrés, dont la plupart jouissent d’un confort et d’une sécurité sans précédents mais dont certains manquent du plus élémentaire ; dont la plupart ont le temps de se préoccuper d’eux-mêmes quand d’autres s’inquiètent pour demain, même ceux-là et celles-là qui nous entourent ont besoin d’entendre que « leur vie reste cachée avec le Christ en Dieu » parce qu’ils ne connaissent pas encore le meilleur d’eux-mêmes. N’ayons pas peur de le chanter par toute notre vie : « La vie a vaincu la mort, la croix a vaincu l’enfer, Christ est ressuscité, Alleluia ! Amen !


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