Homélie pour la Vigile Pascale - L'Eglise Catholique à Reims et dans les Ardennes

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Publié le 21 avril 2022

Homélie pour la Vigile Pascale

année C, le samedi 16 avril 2022, en l’église Saint-Jacques de Reims

On n’entre pas facilement dans la Résurrection, on n’y entre pas de plain-pied. Chaque évangéliste nous le dit à sa manière. Dimanche dernier, dimanche des Rameaux, nous avions entendu s’achever le récit de la Passion selon saint Luc : « Les femmes qui avaient accompagné Jésus depuis la Galilée suivirent Joseph (Joseph d’Arimathie). Elles regardèrent le tombeau pour voir comment le corps avait été placé. Puis elles s’en retournèrent et préparèrent aromates et parfums. Et, durant le sabbat, elles observèrent le repos prescrit. » En cette nuit, le récit se poursuit : « Le premier jour de la semaine, à la pointe de l’aurore, les femmes se rendirent au tombeau, portant les aromates qu’elles avaient préparés. » Elles ont bien regardé, ces femmes, comment Jésus était mis au tombeau, elles ont repéré les lieux, elles ont vu ce qui manquait aux soins de son corps mort. Elles ont occupé le repos du sabbat à préparer ce qu’il fallait pour que tout soit fait dans les règles. Celui qu’elles ont suivi depuis la Galilée, elles ne veulent pas l’abandonner, même dans son échec. Elles savent bien ce qu’il y a à faire pour que l’histoire, si triste, si décevante, s’achève au moins dignement. 

Seulement, les voilà confrontées à la grande rupture : le corps n’est pas là, lui n’est pas là. C’est une des caractéristiques du récit de saint Luc : en ce soir, pas de Jésus ni à voir ni à entendre, même pas un rendez-vous pour le voir plus tard. Seulement, l’absence du corps, et, apprenons-nous après le passage de Pierre, les linges qui sont là, « eux seuls », comme la trace, sur la pierre, qu’il y a bien eu là un cadavre déposé, ce dont nul ne peut douter, et certes pas les femmes qui avaient bien regardé.  Quelque chose leur est donné tout de même, à ces femmes : « deux hommes se tinrent devant elles en habit éblouissant », si éblouissant qu’elles ne peuvent les regarder en face et gardent leur visage incliné vers le sol. Deux hommes dont on ne sait pas rien que l’éclat et les paroles. Ils leur disent deux choses : « Pourquoi cherchez-vous le Vivant parmi les morts ? » et « Rappelez-vous ce qu’il vous a dit quand il était encore en Galilée ».

« Pourquoi cherchez-vous le Vivant parmi les morts ? » : l’essentiel est proclamé. Jésus est le Vivant. Il n’est pas un mort qui serait revenu à la vie, il est le Vivant que la mort ne peut retenir. Le lecteur ou l’auditeur de l’évangile selon saint Luc peut se souvenir de la forte affirmation de Jésus que le troisième évangéliste a retenue, au moment où les Sadducéens, qui refusaient l’idée de Résurrection, cherchaient à le piéger : « Le Seigneur, le Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac, Dieu de Jacob, […] n’est pas le Dieu des morts mais des vivants ». Deux hommes en habit éblouissant, deux vivants, qui témoignent pour Dieu devant nous qu’il ne sert à rien de chercher le Vivant parmi les morts. Jésus n’est pas un homme mortel que la mort a fini par engloutir. Il est Dieu vivant qui agit sans cesse pour que la vie triomphe de la mort. Il n’est pas devenu un corps mort à oindre pour ralentir la corruption. Il est le Messie, celui qui a reçu l’onction de l’Esprit-Saint en plénitude, au point de pouvoir oindre tous les autres.

« Rappelez-vous ce qu’il vous a dit quand il était encore en Galilée ». « Rappelez-vous », parce que lui, Jésus, le Vivant, n’a jamais cessé de le dire, dans ses annonces de la Passion, mais bien au-delà, dans toutes ses paroles, dans tous ses gestes, et parce que toutes les Écritures le disent, elles qui sont Parole du Dieu vivant : « Elles se rappelèrent, note saint Luc, les paroles qu’il avait dites ». Nous avons fait ce travail, nous-mêmes, ce soir, ensemble : nous avons découvert à nouveau que Dieu a créé tous les êtres et l’humain avec eux, homme et femme, non pour la guerre mais pour l’harmonie et la joie ; nous avons entendu raconter comment Dieu a choisi Abraham parmi tous les humains, non pour qu’il s’enorgueillisse en sa race mais pour que celle-ci devienne bénédiction pour toutes les nations ; nous avons comme vu Dieu tirer son peuple de la mort en Égypte et deviné qu’il a voulu et Israël et l’Égypte pour qu’ils soient frères et sœurs ; nous avons vibré avec Dieu qui éprouve si douloureusement comment le péché en nous et par nous dévie son œuvre la meilleure et contemplé son action pour que sa bien-aimée Jérusalem redevienne ville de justice et de respect et donc de paix ; nous avons reçu la promesse faite par Ézékiel que, lui, Dieu, veut transformer les cœurs de pierre en cœur de chair, non par un coup de baguette magique mais en affrontant les forces de mort qui nous traversent et nous submergent parfois. « Il faut que le Fils de l’homme soit livré aux mains des pécheurs, qu’il soit crucifié et que, le troisième jour, il ressuscite. »  Que Jésus ressuscite n’est pas qu’il y ait un mort de moins, c’est que toute la réalité avance sur un chemin nouveau et reçoive une cohérence nouvelle. Nous sommes les héritiers d’un grand travail qui a commencé en ce premier jour de la semaine, à la pointe de l’aurore. Les femmes ont-elles pu se souvenir de cela et de tout le reste, dans le temps qu’il leur a fallu pour retrouver les Onze et tous les autres ? Peut-être pas. Saint Luc nous rapporte que leurs propos ont paru « délirants » et que Pierre a vu ce qu’il y avait à voir : pas grand-chose, sinon des linges, et est rentré, sans rien comprendre.

Tout est donné pour entrer dans la Résurrection, tout est là, mais nous ne pouvons y entrer de plain-pied. Tout n’est encore que trace. Il manque l’essentiel. Car les femmes ne sont pas venues au tombeau ce matin-là pour recueillir un message, un enseignement, des valeurs, une herméneutique. Elles sont venues pour soigner le corps de Jésus, pour rencontrer Jésus. Peut-être est-ce pour cela que saint Luc insiste sur le groupe des femmes de ce matin-là, il en nomme trois et mentionne la présence d’autres en nombre indéterminé. Ces femmes sont là pour la rencontre et pour le soin mutuel. La rencontre va venir. Elle se préparait encore en ce petit matin de Pâques. Elle est venue, puisque nous sommes là. Car nous ne sommes pas ici seulement dans le souvenir de Jésus mais nous sommes ici parce que, comme le dit l’Apôtre, « par le baptême, nous avons été unis au Christ Jésus », unis à sa mort, qu’il a pour nous éprouvée et traversée dans tout son abîme, unis aussi à lui « par une résurrection qui ressemblera à la sienne ». Dans un instant, nous allons voir de nos yeux ce passage lorsque notre frère David va être baptisé devant nous, au milieu de nous. Il va être plongé dans la mort du Christ pour ressortir ayant part à sa Résurrection. Il se tiendra devant nous comme un homme en habit éblouissant, un vivant, qui nous dira : « Pourquoi cherchez-vous le Vivant parmi les morts ? » et « Rappelez-vous ce qu’il vous a dit ». 

Et nous, oserons-nous le croire ? Oserons-nous croire, croire pour de vrai, que « nous sommes morts au péché » et « vivants pour Dieu en Jésus-Christ » ? Oserons-nous croire, dix ans, vingt ans, cinquante ou quatre-dix ans après notre baptême, que nous ne sommes plus esclaves du péché et que la mort n’a plus de pouvoir pour nous ? Est-ce que, consciemment ou non, nous ne prenons pas ces propos pour délirants ? Est-ce que, consciemment ou non, nous ne cherchons pas à composer avec le péché et avec la mort ? Nous-mêmes, baptisés et confirmés, ne vivons pas toujours de plain-pied avec le Ressuscité, avec le Vivant, avec le Dieu des vivants, nous restons tout étonné et parfois embarrassés ou désemparés. Écoutons, en ce soir au moins, les saintes femmes en nous, les Marie-Madeleine, Jeanne et Marie, mère de Jacques et les autres. Écoutons ce qu’elles nous disent du Vivant et de ses paroles. Car il s’agit moins de recevoir et de transporter un message, une bonne parole, un enseignement, que d’accepter un fait : « elles ne trouvèrent pas le corps du Seigneur Jésus » et Pierre « vit les linges et eux seuls » et de recevoir une question : « Pourquoi cherchez-vous le Vivant parmi les morts ? » Où cherchons-nous le Seigneur, frères et sœurs, et où nous cherchons-nous nous-mêmes, nous qui sommes « morts au péché, mais vivants pour Dieu en Jésus-Christ » ? Lui, il est vraiment ressuscité, il est le vivant à jamais, Amen, Alléluia ! Le Pasteur Xavier Langlois et moi voulons vous le dire encore ensemble :

Marie de Magdala vint donc annoncer aux disciples : « Jai vu le Seigneur, et voilà ce quil ma dit. » Jean 20,18.

Ce que ces deniers mois nous ont rappelé sur le monde, c’est son incroyable fragilité. Pandémie ou guerre, tout peut basculer, soudainement, dans la mort ou la violence. Colosse aux pieds d’argile dirait le prophète Daniel, voilà l’état de notre monde tel qu’il se dévoile à nos yeux. Plus nous regardons notre monde, et comment pourrions-nous faire autrement, plus la peur nous envahit. Pourtant, en ce temps de Pâques nous déclarons avec Marie-Madeleine qu’il y a quelque chose à voir, quelque chose d’autre, quelqu’un d’autre à contempler. Dans ce monde qui n’est ni plus ni moins chaotique, un être se lève, le Christ, le ressuscité. 

Il faut le contempler, car en lui nous découvrons le vrai visage de l’humanité, celle que le Père a sauvée de la mort. L’avenir de l’humanité n’est pas de créer toujours plus de malheur mais de découvrir le vrai bonheur en Dieu. Le ressuscite nous rappelle que Dieu règne. Le père qui a ramené Jésus de la mort à la vie conduira de la même manière ce monde de la mort à la vie. Regarder le ressuscité, c’est contempler la volonté de Dieu qui ne manque jamais de se réaliser pour le salut de l’humanité. 

J’ai vu le Seigneur ! En ce temps de Pâques, puissions-nous le voir nous aussi et le contempler, non pas pour nous détourner du monde et nous en désintéresser, mais au contraire, pour nous souvenir que ce colosse aux pieds d’argile est gardé par une fidélité que seule la foi peut accueillir. La fidélité de celui qui a tout accompli, celui qui a accompli toute la volonté d’amour du Père. 

Au milieu du chaos il se lève, le ressuscité, pour nous redire que Dieu est amour. Puissions-nous le contempler pour grandir dans cette assurance et la partager au monde qui en a tant besoin. 


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