Homélie pour le 60ème anniversaire de la réconciliation franco-allemande - L'Eglise Catholique à Reims et dans les Ardennes

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Homélie pour le 60ème anniversaire de la réconciliation franco-allemande

par Mgr Georgens, évêque auxiliaire de Spire (Speyer)

Un jour d’hiver, un homme pieux rencontra un enfant affamé et grelottant dans son vêtement si peu épais. Il se fâcha et s’adressa à Dieu : « Comment peux-tu permettre cela ? Pourquoi laisses-tu faire ? » Sa récrimination resta à ce moment-là sans réponse. Mais dans la nuit, en songe, il entendit soudain ceci : « j’étais bien là puisque je t’ai créé ».

Les religions du monde le reconnaissent : Dieu ne contourne pas l’homme. Dieu veut des compagnons d’amour (Duns Scotus). Il fait participer les hommes à son œuvre.

Tout devient parfaitement explicite avec la Parabole du Bon Samaritain (Luc 10,25-37) : voici un évènement extrêmement tendu et chargé d’un fort courant émotionnel. Jésus avait déjà passablement agacé quelques personnes qui se prenaient pour des spécialistes du savoir religieux et de la dévotion. Sans cesse, dans ses dires, il prenait des positions qui remettaient en question ce qui, pour certains, était établi une fois pour toutes. Alors l’un d’entre eux voulut mettre Jésus à l’épreuve. Il lui demanda hypocritement: « Maître, que dois-je faire pour gagner la Vie éternelle ? » Comme si lui, en docteur de la loi, ne le savait pas ! En connaisseur de la loi, il savait très exactement, ce qui est demandé pour plaire à Dieu.

Mais Jésus n’a pas sa langue dans sa poche : il retourne la question : Que dit la loi ? Le docteur de la loi qui, par sa profession, examine l’Ecriture, doit le savoir. Sa réponse ne se fait pas attendre : Aimer Dieu et son prochain comme soi-même. C’est ainsi que Jésus, et plus tard les premiers Chrétiens, conçoivent la loi juive. Pas besoin de connaissances spéciales pour donner cette réponse. C’est l’évidence même.

Le docteur de la loi reprend encore et continue par cette nouvelle question : Mais qui est mon prochain? Jésus ne se laisse pas entraîner dans un débat académique. Il n’offre au docteur de la loi aucune définition abstraite de la notion de prochain. Jésus répond à la question à l’aide d’une parabole qui présente le comportement exemplaire d’un Samaritain.

Un homme tomba entre les mains de bandits, fut roué de coups. Incapable de s’en sortir, il est à la merci de l’aide de quelqu’un. Un prêtre et un lévite passent par là. Ce sont des personnes, qui par leur fonction, devraient savoir comment se comporter et agir : pas question de laisser l’agressé au sol, il faut le secourir. Pourtant tous deux passent leur chemin. Puis arrive un habitant de Samarie, c’est-à-dire un étranger et de surcroît très mal vu à l’époque en Israël. On reprochait aux Samaritains d’être peu respectueux des pratiques religieuses juives. Et que fait-il ? Il s’arrête, prodigue les premiers soins au blessé, le conduit à l’auberge proche, règle la note et promet de prendre en charge les éventuelles dépenses supplémentaires.

Lequel des trois a été le prochain ? Le docteur de la loi répond promptement : celui qui a fait preuve de miséricorde. Jésus a en effet retourné la question. Il ne s’agit plus de chercher qui est mon prochain, mais plutôt de reconnaître qui a, par son comportement, pratiqué l’amour du prochain. En somme, cela revient à dire : « la réponse est en toi et dépend de toi. Si tu ouvres les yeux, tu découvriras beaucoup de personnes qui ont besoin de ton aide : des malades, des isolés, des déprimés, des pauvres, des personnes de ton entourage, de ta famille, peut-être des personnes dans des pays lointains et dans d’autres parties du monde ». En toute situation je peux devenir le prochain de quelqu’un. Autrement dit, on ne choisit pas son prochain. Une chose est certaine : la miséricorde est primordiale. C’est la règle d’or de cette parabole.

Soixante ans se sont écoulés depuis que le président français le général de Gaulle et le chancelier allemand Konrad Adenauer se sont serré la main ici dans la cathédrale de Reims afin de sceller la réconciliation franco-allemande.

Leur participation à la messe pontificale à la cathédrale de Reims le 8 juillet 1962 fut d’une importance hautement symbolique. Les représentants des deux peuples ennemis se sont retrouvés là, côte à côte. La cathédrale gothique, cœur monumental de la ville-martyr, porte encore les stigmates de la guerre. La cérémonie sacrée…les sons triomphants de l’orgue…il était difficile de rester insensible.

Dans son sermon, Mgr Marty, archevêque de Reims s’est adressé au président de la République française et au chancelier allemand : « La cathédrale est heureuse de vous accueillir ensemble. Elle vous accueille avec le sourire de son Ange (…) La Champagne a toujours été un carrefour des peuples. En deçà des Ardennes, des hommes très différents se sont rencontrés, se sont affrontés, se sont battus, n’ont pas réussi à se détruire. Pourquoi ne se rencontreraient-ils pas aujourd’hui et demain pour se connaître, pour se respecter, pour s’estimer, pour s’aimer, pour s’aider ? Notre prière, ce matin, voudrait autour de vous, Monsieur le Président, Monsieur le Chancelier, apporter l’assurance d’un travail commun pour la paix. » Fin de citation.

En effet, le 8 juillet 1962 fut un pas important sur le chemin de la réconciliation entre nos deux peuples, portés par l’Esprit de l’Evangile. Le commandement chrétien de l’amour du prochain et de la charité, la réconciliation et la paix font de chaque homme notre prochain. Sur cette base reposent non seulement les relations humaines mais aussi l’amitié entre les peuples et les nations en Europe et dans le monde. Les chrétiens peuvent remercier pour tant d’années de paix en Europe depuis la Deuxième Guerre Mondiale. Il reste des lieux où la violence ou des conflits peuvent surgir : actuellement en Ukraine. L’œuvre de réconciliation en Europe est encore inachevée. L’immensité des tâches à accomplir ne diminue en rien l’immensité des tâches accomplies. L’action de grâce embrasse tout, remémore le passé et espère en un avenir illuminé par Dieu, Celui qui est, qui était et qui vient. Amen.

Photo de Michel Pourny


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