Homélie pour l'ordination au diaconat permanent d'Alexandre Lapie et Guillaume Pennaforte - L'Eglise Catholique à Reims et dans les Ardennes

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Publié le 28 juin 2021

Homélie pour l’ordination au diaconat permanent d’Alexandre Lapie et Guillaume Pennaforte

Homélie pour le 13ème dimanche du Temps ordinaire, année B, le 27 juin 2021, en la cathédrale Notre-Dame de Reims, ordination au diaconat permanent d’Alexandre Lapie et Guillaume Pennaforte.

Saint Paul a lancé une collecte auprès des Églises qu’il a fondées dans les villes grecques pour soutenir l’Église de Jérusalem, confrontée à la disette, en manque de nourriture. Très vite, il se rend compte qu’un tel geste qui était d’abord de solidarité a une portée spirituelle : en venant en aide aux Apôtres et à la communauté de Jérusalem, les Grecs devenus chrétiens reconnaissent qu’ils sont en dette à l’égard de l’Israël qui a reçu Jésus comme le Messie et qui accepte de partager les richesses du Messie à tous les peuples et, réciproquement, l’Église de Jérusalem, en acceptant le produit de la collecte, reconnaîtra comme des sœurs les Églises fondées à partir des païens. Peut-être est-ce ou devrait-ce être une caractéristique de notre vie de chrétiens : les gestes les plus humains possèdent une portée spirituelle que la vie dans le Christ ou sous la conduite de son Esprit dévoile et fait grandir ; les gestes les plus humains s’inscrivent ou nous inscrivent dans l’œuvre de Dieu avec les êtres humains. En tout acte humain se prépare ou se défait la communion de chacun avec Dieu et, en lui, avec tous. Rien de ce que nous vivons d’humain ne peut laisser Dieu indifférent et tout de ce qu’il nous est donné de vivre peut être reçu comme nous ouvrant ou nous fermant à l’approche de Dieu.

C’est pourquoi saint Paul, voulant encourager les Corinthiens dans leur générosité, ose une formule étonnante : « Vous connaissez en effet le don généreux de notre Seigneur Jésus Christ : lui qui est riche, il s’est fait pauvre à cause de vous pour que vous deveniez riches par sa pauvreté. » Entendons bien : non pas pour que sa richesse partagée, distribuée, vous rende riches, mais « pour que vous deveniez riches par sa pauvreté. » L’abaissement de Jésus, l’appauvrissement de Jésus, la vulnérabilité de Jésus, voilà ce qui le fait capable de nous rendre riches. Nous découvrons cela, il me semble, dans le récit de l’évangile selon saint Marc qui a été proclamé en ce dimanche. Si nous n’avions lu que ce qui concerne la fille de Jaïre, l’enfant encore toute jeune dont le père supplie Jésus, nous pourrions avoir l’impression d’une marche triomphale de Jésus : le père l’implore, il se rend vers la jeune fille malade, on la croit morte, il la relève en lui prenant la main. Mais le geste de la dame âgée qui le touche par derrière nous dévoile une autre réalité : alors que la femme ressent dans son corps qu’elle est guérie de son mal, Jésus, lui, « se rendit compte qu’une force était sortie de lui » et il interroge : « Qui a touché mes vêtements ? » La guérison de la femme se paie en quelque sorte d’une perte en Jésus, et c’est là l’indication sans doute que le relèvement de la jeune fille, sa résurrection, si vous voulez, n’est pas non plus indolore pour lui.

Souvent, Jésus paraît accomplir des guérisons que nous qualifions de miraculeuse par une parole, un geste à peine esquissé. En réalité, il y faut l’engagement de tout son être, et déjà l’abaissement inouï qu’il a consenti en venant dans notre chair et encore celui de sa mort, « et la mort de la croix », celui de toute sa Passion, pour que la puissance de Dieu puisse venir nous rejoindre dans nos morts à nous et dans notre mort finale et nous tirer vers la vie en plénitude. Jésus ne fait pas des miracles comme on cueille des fleurs en chemin ni comme une organisation distribue des médicaments. En chacun, il donne de lui-même, il se donne, et il le fait de toute sa générosité infinie. En chaque rencontre qui aboutit à une guérison, lui se met en risque, lui accepte de tout livrer de lui-même pour que la puissance du Père puisse s’exercer en nous par l’Esprit-Saint. Comprenons aussi cela, frères et sœurs, de ce qui se passe en chaque Messe, en chaque sacrement. Lorsque nous entendons la Parole de Dieu proclamée, nous n’écoutons pas une parole du passé, tirée d’un vieux livre : Jésus nous fait une promesse aujourd’hui, Jésus nous fait une confidence à ce moment-là, Jésus nous livre quelque chose de lui en nous parlant : l’accueillons-nous comme une parole qui nous est confiée ? Lorsque nous décidons de communier sacramentellement, nous ne recevons pas une chose même bénéfique : chaque fois, lui vient à nous comme il est entré dans Jérusalem, monté sur un ânon et déjà, lorsque nous participons au sacrifice de la Messe, lui nous fait témoins de l’acte de son dépouillement pour nous, de son appauvrissement consenti afin que nous vivions pleinement. Savons-nous le voir et le recevoir, nous émerveiller de ce qu’il fait pour nous, là, chaque fois à neuf comme il le fit une fois pour toutes ?

Sur le chemin qui le conduit vers la maison de Jaïre, le geste de la dame âgée et l’insistance de Jésus pour savoir qui l’a touché retardent celui qui s’en va au secours d’une toute jeune fille au bord de la mort. Mais, par là, un réconfort est offert à Jaïre : celui qu’il est allé chercher a eu un effet bénéfique pour la femme qui perdait son sang, et une indication lui est donnée qui sera précieuse quelques instants plus tard : Jésus ne veut qu’une chose mais il la veut vraiment : la foi. « Ma fille, ta foi t’a sauvée. Va en paix et sois guérie de ton mal ». Lorsque les gens de sa maison viennent prévenir Jaïre que sa fille est morte, Jésus lui dit, nous l’avons entendu : « Ne crains pas, crois seulement. » En chaque geste, chaque miracle, Jésus se donne ; chaque guérison engage déjà sa Passion tout entière, et l’horrible souffrance d’être comme abandonné du Père, mais il le fait volontiers pour nous, pour nous tous. De nous, il n’attend qu’une chose : que nous croyions. Non pas que nous croyions ceci ou cela, mais que nous ayons foi que Dieu, le Dieu vivant, le Dieu créateur, veut que nous soyons des vivants qui portent la vie. Lui, Jésus, ne craint pas de s’appauvrir pour nous, parce qu’il se reçoit incessamment du Père. Lui veut que nous soyons riches, et il consent volontiers à se dépouiller en nous donnant non pas ce qu’il a mais ce qu’il est, non pas ce qu’il fait mais ce que le Père lui donne d’être.

Frères et sœurs, les évangiles synoptiques : Matthieu, Marc et Luc, nous rapportent tous trois les guérisons emboîtées de la dame âgée qui perdait son sang et de la jeune fille que son père redoutait de voir mourir encore enfant. L’évangile selon saint Marc qui est le plus bref des évangiles est celui qui les raconte le plus longuement, avec le plus de détails. Pour saint Marc, il y a beaucoup à méditer et à comprendre. Ce que nous avons dit suffit, je crois, pour éclairer le moment que nous vivons.

Nous avons besoin de Jésus pour croire dans le Père. Nous avons besoin de Jésus pour croire que Dieu est le Père qui nous veut vivants et porteurs de vie. Le livre de la Sagesse d’Israël l’avait affirmé avec force et courage : « Dieu n’a pas fait la mort, il ne se réjouit pas de voir mourir les êtres vivants » et même, contre toute apparence : « La puissance de la Mort ne règne pas sur la terre, car la justice est immortelle. » Mais la vie est âpre parfois, les coups du sort cruels ; la maladie, la mort, la violence, l’injustice, frappent à l’aveugle. Nous avons besoin de Jésus, de son engagement avec nous, de la proximité qu’il consent et de sa Passion, de sa mort et de sa Résurrection, pour croire en la bonté indéfectible du Père, pour croire que tout être vient d’une bonté qui ne se reprend pas et que tous nous pouvons être des relais de cette bonté originelle, pour croire que la bonté de Dieu l’emporte à travers l’histoire, qu’elle y travaille sans cesse, et nous accompagne en vue de nous combler en plénitude. Jésus vient à nous avec sa pauvreté consentie ; il subit comme nous la violence et la mort, il n’en est pas vainqueur en les supprimant mais en allant comme Fils jusqu’au bout pour être manifesté comme Fils bien-aimé par la Résurrection. Il ne suffit pas de croire en la vie car elle peut être injuste, il ne suffit pas de croire à des valeurs parce qu’elles sont mouvantes et changeantes et se dévaluent vite parfois, il nous est donné et demandé de croire en Jésus qui s’approche de nous et se laisse approcher jusque dans sa mort.

C’est pourquoi nous avons besoin de ministres ordonnés. Évêques, prêtres et diacres, d’une certaine façon, n’ont d’autre tâche que de rendre palpable la venue de Jésus, celui qui s’engage envers nous avec tout son être. A nous, ministres ordonnés, configurés à lui, Jésus confie les gages de son engagement : sa Parole, son Corps et son Sang. La parole est peu de choses, mais donner sa parole est grand et exigeant. Le diacre, proclamant la Parole de Dieu de manière sacramentelle, donne au peuple chrétien d’entendre la voix de Jésus, d’entendre la promesse de Jésus : « Ta foi t’a sauvée. Va en paix et sois guérie de ton mal » ainsi que son appel : « Ne crains pas, crois seulement. » Le corps livré comme pain eucharistique, le sang versé comme vin du sacrifice sont peu de choses face aux malheurs de ce monde, mais ils signent l’engagement total, définitif, du Fils bien-aimé, qui se remet au Père tout en se donnant à nous. Le diacre qui ne célèbre pas l’Eucharistie mais la distribue en ministre ordinaire se fait le garant que ce pain-là est le pain de la vie, le pain qui rend vivant pour toujours, que ce vin-là est le vin des noces éternelles, celui-là même que nous boirons dans la vie en plénitude et dont il nous est donné de goûter dès aujourd’hui. Vous, chers frères diacres, qui ne présidez pas le sacrifice de la Messe mais y participez devant les fidèles et avec eux, et aidez à son accomplissement, vous êtes les témoins et les garants et les prophètes aussi de ce que Jésus, se livrant pour nous et se donnant à nous, veut faire de bon et de beau en chaque liberté qui l’accueille en vérité.

Alexandre et Guillaume, vous qui vous tenez devant l’autel pour être ordonnés diacres permanents pour le service du Christ et de son Église, à bien des égards, il peut être dit de vous que « vous avez tout en abondance », non pas tant l’argent auquel Dieu ne prête que peu d’attention, mais les talents, le sens de vos responsabilités d’homme, l’amour de votre épouse et de vos enfants, l’estime de beaucoup qui vous connaissent et dont un certain nombre vous entourent en ce jour. L’un et l’autre, dans des domaines très différents, vous contribuez à l’activité économique de notre pays et à sa vie sociale, de manière efficace, inventive, généreuse, moins en vous cherchant vous-mêmes qu’en étant attentifs aux besoins et aux attentes des autres. En répondant à l’appel de l’Église, en y reconnaissant un appel du Seigneur Jésus, que le Père a consacré et envoyé, vous choisissez d’agir désormais aussi avec les moyens pauvres de Jésus, avec cette pauvreté qu’il a choisie pour faire de tous les humains des riches pour l’éternité. Vous acceptez de porter sa Parole, de distribuer son Eucharistie, de vous porter garants devant les autres de leur richesse, de leur vérité, de leur bienfaisance. Vous savez bien que le Christ Jésus ne guérit pas toutes les femmes qui perdent leur sang ni toutes les petites filles qui ne parviennent pas à vivre au-delà de l’enfance, ni toutes les maladies ou les handicaps qui accablent les humains. Mais vous acceptez de vous tenir avec l’évêque et les prêtres pour encourager chacun et chacune à se tourner vers Jésus, à lui présenter ses besoins, ses angoisses, à s’approcher de lui, fût-ce par derrière, à oser recourir à lui, parce que, en vérité, il est venu et il vient pour que les humains soient vivants et porteurs de vie. Aucune maladie, aucune injustice, aucun handicap, aucune souffrance, et non plus aucune joie, et la mort non plus, ne peuvent priver totalement tel être humain d’être un vivant et un porteur de vie pour l’éternité. Comme ministres du baptême, vous permettrez à des enfants d’entrer dans la vie du Christ Jésus et de se laisser conduire intérieurement par le Saint-Esprit, non de façon anonyme mais en le nommant de tout leur cœur. Diacres permanents, époux et pères de famille, vous pourrez être les témoins et les garants et aussi les prophètes de l’approfondissement et de l’affinement que la grâce du Christ et l’amitié de Jésus et pour Jésus peuvent opérer dans l’âme ou le cœur d’un enfant, d’un adolescent, d’un jeune adulte et dans les activités d’un homme adulte et responsable. Comme assistants et ministres associés du mariage, vous introduirez des jeunes gens dans l’amour du Christ pour son Église, permettant à ce qui les pousse et les lie l’un à l’autre de prendre sa pleine dimension, par-delà leurs pauvretés et leurs peurs. Diacres permanents, époux et pères de famille, vous pourrez être les témoins et les garants et les prophètes des ressources que le sacrement offre aux époux pour qu’ils s’entraident au long des joies et des épreuves de la vie à parvenir à la paternité et à la maternité en esprit et en vérité, dans leur vie familiale mais aussi professionnelle et sociale.

Le récit que nous méditons en ce jour peut encore nous inspirer : Jaïre, le chef de la synagogue, ose s’adresser directement à Jésus et lui exposer ce qu’il attend de lui : « Viens lui imposer les mains pour qu’elle soit sauvée et qu’elle vive », tandis que la femme qui a des pertes de sang, n’envisage même pas de le regarder face à face. Le diacre, au cœur de l’Église, participant du sacrement de l’ordre, doit être attentif à celles et ceux qui s’approchent par derrière non pour les chasser bien sûr mais pour les rassurer et les encourager afin qu’ils puissent s’adresser à Jésus et par lui à son Père sans être « craintifs et tout tremblants », afin que Jésus lui-même puisse avoir la joie de les regarder dans les yeux et de les appeler : « Mon enfant, mon frère ou ma sœur ».

Ayant relevé la jeune fille, « Jésus leur ordonna fermement » de ne pas raconter ce qui s’était passé, « puis il leur dit de la faire manger. » Jésus ne peut s’empêcher de faire le bien qu’il peut faire, mais il lui faut aller jusqu’au bout de sa mission, jusqu’à la Passion, la croix, le tombeau, la mort partagée avec nous, pour être ressuscité et nous entraîner dans sa gloire. Le diacre, comme ministre ordonné, rappelle cela à tous : que notre vie humaine se trouve prise, abritée, renouvelée, dans la pauvreté de Jésus ; configuré non au Christ Tête mais au Christ serviteur, il rappelle à tous, y compris aux prêtres et à l’évêque, mais à l’Église entière aussi, que les humbles besoins quotidiens des humains ont une portée spirituelle. Insérés dans la vie professionnelle, mariés et pères de famille, et pourtant associés par le Seigneur à ceux à qui il confie ses biens si pauvres et si pléniers, vous aiderez l’Église à vivre autant qu’il est possible ce que l’Écriture garde en mémoire : « Celui qui en avait ramassé beaucoup n’eut rien de trop, celui qui en avait ramassé peu ne manqua de rien ».

Un mot encore. Les Pères de l’Église ont vu dans la femme âgée perdant son sang le peuple d’Israël épuisé par sa longue histoire avec Dieu, et dans la jeune fille anémiée et ressuscitée, les peuples païens appelés à la vie, l’une rajeunie donc par le Christ ressuscité répandant son Esprit, l’autre par le Christ Seigneur élevé dans la gloire et attirant tout à lui, devenant capable peu à peu non de soumettre le monde mais de l’ouvrir à la vie pour toujours. En ce jour, frères et sœurs, par cette ordination qui s’ajoute à celles des années précédentes et à celle de Maxime Labesse, il est donné à notre Église particulière de Reims et des Ardennes, la portion d’humanité que nous sommes, réunie et constituée par le Christ ressuscité, consciente de sa fatigue et de la faiblesse de ses forces, de constater que Dieu, le Dieu vivant, ne cesse pas de lui donner d’engendrer des fils et des filles et de susciter certains qui serviront leurs frères et leurs sœurs dans le nom de Jésus Cette promesse de jeunesse, nous la recevons avec joie comme le psalmiste : « Tu as changé mon deuil en une danse, mes habits funèbres en parure de joie. ». Nous la chantons avec cœur, en faveur et à la place de l’humanité entière qui doute si facilement de sa capacité à porter la vie et qui, en nos temps tout particulièrement, s’inquiète pour la jeunesse en se demandant si elle saura vivre par delà l’enfance. En faveur de nos sœurs et de nos frères en humanité, osons croire et louer : « Que mon cœur ne se taise pas, qu’il soit en fête pour toi, et que sans fin, Seigneur, mon Dieu, je te rende grâce ! » ,                                                

Amen.

+ Eric de Moulins-Beaufort


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