Homélie pour le dimanche de la sainte Famille - L'Eglise Catholique à Reims et dans les Ardennes

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Publié le 28 décembre 2020

Homélie pour le dimanche de la sainte Famille

Homélie pour le dimanche de la sainte Famille, année B, le 27 décembre 2020, en l’abbatiale Sainte-Marie de Saint-Pierre-sur-Dives.

Peut-être l’avez-vous noté, frères et sœurs : le pape François a ouvert le 8 décembre dernier une année « Saint Joseph » qui courra jusqu’au 8 décembre 2021. Au surlendemain de Noël, alors que la liturgie nous fait contempler la sainte Famille formée par Joseph, Marie et Jésus, je vous propose de la regarder à partir du moins connu de ses membres.

Au sein de la sainte Famille, Joseph nous rappelle qu’aucun être humain ne vient de rien ni de personne. Tout être humain a une ascendance. Tout être humain vient d’une histoire qui le précède. L’évangile selon saint Matthieu comme l’évangile selon saint Luc nous donnent une généalogie de Jésus. Elles sont différentes mais l’une et l’autre passent par Joseph et non par Marie. La généalogie de Matthieu descend d’Abraham à David, de David à Joseph, celle de Luc remonte de Joseph à David, de David à Abraham puis encore jusqu’à Adam. Jésus est le fils de Marie, nous le savons bien, il n’a pas été engendré par Joseph, il a été élevé par lui. Il a voulu que cette éducation ne soit pas seulement un lien extérieur, un simple tutorat : il a voulu recevoir l’humanité et de Marie et de Joseph. Nous l’avons entendu : saint Luc, en son évangile, n’hésite pas à parler du « père » et de la « mère » de l’enfant qui s’étonnaient de ce qu’on disait de lui. Il peut se faire qu’un enfant grandisse élevé par sa seule mère, éventuellement même sans savoir de quel homme il a été engendré, les duretés de la vie l’impose parfois, mais il est assurément meilleur qu’un enfant grandisse porté par deux parents et hérite à travers eux, non pas d’une mais de deux lignées à travers l’humanité. En tout cas, il en va ainsi de Jésus. Il a été engendré par bien plus grand que Joseph et que Marie, il ne tient pas d’eux son existence, mais en revanche, il se relie à l’histoire de l’humanité à travers sa mère qui lui transmet la condition humaine et aussi à travers son père éducateur et c’est par lui qu’il s’inscrit dans l’histoire particulière d’Israël. Grâce à Joseph, Jésus n’est pas simplement un individu humain remplaçable par des milliards d’autres ; il est un fils de David, un descendant d’Abraham, il est même le descendant promis à Abraham.

L’histoire dont nous héritons n’est pas seulement une histoire physiologique, une histoire de gènes, elle est une histoire de foi déjà en ce sens partagé par tous qu’elle est l’histoire de la confiance que de générations en générations des hommes et des femmes se sont faite, et c’est alors une bénédiction, ou ne se sont pas faite, et c’est alors une tristesse, en se faisant mutuellement devenir mères ou pères. Jésus n’est pas à strictement parler le fils charnel de Joseph, mais par Joseph il est inséré dans l’histoire de la confiance que des générations en Israël ont faite à la promesse de Dieu. Il nous révèle ainsi que nous tous et chacun de nous n’appartient pas à l’humanité seulement par sa nature humaine, par ses gènes, mais par l’histoire de don, d’accueil, de réception, de don de soi, de consentement, qui fait que l’histoire humaine est une histoire spirituelle. Chacun de nous en hérite et chacun de nous la prolonge et, à sa manière, la fait aboutir un peu plus loin, vers la vie ou vers la mort.

Dans les redoutables décisions que nos sociétés prennent en matière de bioéthique, nous devrions nous méditer toujours ces faits de l’histoire de Jésus car ils éclairent notre condition humaine. Joseph assume sa responsabilité de père ; il consent à mettre sa confiance en Marie et, par là, il inclut dans l’histoire de son peuple l’enfant qu’elle porte, il le fait entrer donc dans une humanité qualifiée, pas seulement par sa mère dont il est sorti et qui ne peut le renier, mais aussi par lui qui accepte, en vrai père, de prendre cet enfant sous sa protection, de créer pour lui autant qu’il en sera capable un espace de paix propice à sa croissance, à son devenir-homme. Dans quelle histoire inscrivons-nous nos enfants et petits-enfants ? Dans quelle histoire spirituelle ? Comment les aidons-nous à percevoir que l’humanité n’est pas faite de travail et de loisir, mais de choix où chacun engage sa liberté et surtout de confiance donnée et reçue, méritée ou gagnée ou réitérée après un échec ?

Le récit de l’évangile de ce jour est celui de la présentation de l’enfant au Temple. 40 jours après la naissance d’un premier-né, il fallait, en Israël, le racheter par une offrande, par le sacrifice, c’est-à-dire la mise à mort d’un animal, au minimum de deux petites colombes. Pourquoi en allait-il ainsi ? Pour se souvenir des premiers-nés des Égyptiens. Israël doit la vie à la mort de tous ceux-là qui fut le seul moyen d’obtenir que Pharaon laisse partir Israël qu’il voulait réduire en esclavage au bénéfice de ses grands travaux. Quoi qu’il en soit de l’histoire des historiens, ce récit nous dit une chose capitale : l’existence de tout être humain, du moindre d’entre nous, est une victoire sur les forces de mort, de guerre, de haine, de destruction. C’est pourquoi il y a des rites. Ce n’est pas pour rien que Joseph est appelé le « père » de Jésus dans l’accomplissement d’un rite. Il assume sa mission. Avec Marie, ensemble, ils inscrivent l’enfant reçu dans l’action de Dieu qui conduit son peuple vers la vie et la liberté. Il ne prétend pas façonner l’enfant selon son projet. S’il lui transmet tout ce qu’il a à lui transmettre, s’il le fait hériter de tout ce qu’il peut lui partager, il ne cherche pas à en faire son successeur, venu pour le remplacer. Par le rite, il le reconnaît fils de Dieu, fruit de l’œuvre de Dieu à travers l’histoire avant d’être son propre effet. Les croyants ont la chance, aujourd’hui comme hier, d’accompagner la croissance de leurs enfants par des rites grâce auxquels ces enfants peuvent devenir celui ou celle que Dieu veut et non pas seulement ce que leurs parents ou la société ou les forces économiques et culturelles qui dominent le monde souhaitent le faire devenir. Comment font ceux et celles qui ont renoncé à avoir des rites, à introduire leurs enfants dans ce qui est plus grand qu’eux et qui peut les dilater intérieurement ? Comment nous, savons-nous goûter les rites qui rythment nos existences ? Noël, chaque année, est un de ces rites, non pas seulement comme on le répète à l’envi une fête de famille, mais plus réellement, plus sagement, la célébration du grand don que Dieu nous fait et par lequel nous nous découvrons donnés les uns aux autres.

Enfin, frères et sœurs, Joseph consent à ce que sa vie n’aboutisse pas comme il l’aurait pensé. Marie non plus sans doute. Elle consent à ce que Dieu a prévu pour elle et pour quoi il lui demande sa coopération. Mais Joseph, lui, accepte d’être ce qu’il est tout autrement qu’il l’aurait voulu : il est et il n’est pas l’époux de Marie, il est et il n’est pas le père de Jésus. Il consent à donner tout ce qu’il est et à ne rien posséder. Il ne possède pas Marie, il possède encore moins Jésus, mais il donne à Jésus tout ce qu’il a à donner à un fils et il donne à Marie tout ce qu’il a à offrir à son épouse.

C’est pourquoi la liturgie nous a fait entendre un passage de l’épître aux Hébreux faisant l’éloge de la foi d’Abraham et de Sara. Eux sont partis sans savoir où ils allaient et en eux est dévoilé pour nous que la vie humaine est une marche vers ce que nous ne connaissons pas et ne pouvons posséder, seulement recevoir comme un don purement gracieux ; eux, dans ce que nous appelons le sacrifice d’Isaac, ont consenti à ce que leur enfant puisse être à Dieu avant d’être le soutien de leur vieillesse. Joseph est emporté par le consentement de Marie dans ce qu’il n’a plus à choisir mais à quoi il lui faut consentir, ou alors tout perdre. Il apprend à faire confiance qu’il deviendra davantage lui-même, l’époux de Marie et le père de son enfant et encore le charpentier de Nazareth et de ses environs en acceptant le chemin paradoxal que Dieu lui impose et que Marie lui apprend.

Que cherchons-nous dans notre vie de famille ? De quoi nous rassurer sur nous-mêmes ? Un lieu où exercer sans trop de concurrence notre besoin de commander ? Ou bien acceptons-nous d’être conduits par notre épouse, par notre époux, par nos enfants, par les contraintes qu’imposent la vie de famille et le choix de l’unité de la famille ou de son bien, à tirer de nous-mêmes des réserves de patience, de persévérance, de renoncement à l’immédiat, de confiance dans les autres, d’espérance et encore de pardon à demander et de pardon à donner, de renouvellement à préparer, dont nous ne nous soupçonnions pas capables ?

Frères et sœurs, on dit beaucoup que la famille traditionnelle est menacée. Certains s’en désolent, d’autres s’en réjouissent. La vérité est que la famille selon le Christ est une aventure toujours à reprendre. Elle est un chemin, chaque fois singulier, non pas de reproduction des générations mais de renouvellement de l’humanité. Que saint Joseph nous accompagne pour qu’à son exemple nous sachions vivre notre vie familiale, quelle que soit notre position : comme parents ou grands-parents, comme fils ou filles, comme frères et sœurs, comme oncles et tantes, neveux et nièces, en entrant dans l’histoire de Dieu avec nous et toute l’humanité. Alors, à l’instar de saint Joseph, nous aiderons le Christ à grandir dans notre humanité,

Amen.

+ Eric de Moulins-Beaufort


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