Homélie pour le 8ème dimanche du Temps ordinaire - L'Eglise Catholique à Reims et dans les Ardennes

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Publié le 1 mars 2022

Homélie pour le 8ème dimanche du Temps ordinaire

Homélie du 27 février 2022, en l’église Saint-Joseph de Reims, installation de la communauté du Sappel

Comment juger de la vie d’un homme ? Comment puis-je apprécier ce que vaut ou ce qu’a valu la vie de tel ou tel ? Et comment, surtout, puis-je apprécier la valeur de mon existence, la valeur des actes qui la composent ? Certains catholiques se plaignent que, nous prêtres, ne parlions guère du jugement de Dieu et certains aussi se moquent de ce que certaines célébrations d’obsèques tournent au procès en canonisation du défunt. Nous avons fortement intégré la parole : « Ne jugez pas et vous ne serez pas jugés » mais nous savons bien aussi que nous ne pouvons pas ne pas avoir un avis sur les autres et sur nous-mêmes, et nous sommes gênés lorsque nous avons à prendre des décisions à l’égard d’autrui qui exigent que nous posions un jugement : est-ce que je fais confiance à tel ou tel pour telle ou telle tâche ? Lorsque je suis étonné, voire déçu par le comportement de telle ou telle personne, que fais-je ? Quelles conclusions dois-je ou puis-je en tirer ? Parfois, nous aimerions pouvoir laisser le jugement à Dieu, mais il nous faut prendre des décisions concrètes ici-bas. A quoi donc le Seigneur nous appelle-t-il ?

Les paroles de Jésus qui ont été proclamées aujourd’hui dans la liturgie de la Parole sont des paroles de sagesse. Elles ne sont pas à prendre comme des consignes à appliquer, plutôt comme des sentences à méditer. Elles commencent par une interrogation un peu surprenante, un peu évidente : « Un aveugle peut-il guider un autre aveugle ? » La réponse paraît claire : « Oui, ils courent le risque de tomber ensemble dans un trou. » Mais quel rapport avec ce qui suit : « Le disciple n’est pas au-dessus du maître ; mais un fois bien formé, chacun sera comme son maître » ? Peut-être pouvons-nous comprendre la question ainsi : Qui m’aide à penser ? Qui m’aide à réfléchir à la conduite de ma vie ? Une telle question suppose une conviction : personne ne mène sa vie absolument seul, toujours nous avons besoin des autres, d’un autre au moins, non pas pour nous dire ce que nous devons faire mais pour nous aider à réfléchir à ce qui nous arrive, à ce qui se présente devant nous, à ce que nous avons à décider ou à choisir ? Avec qui est-ce que je mène ce travail ? d’où recevoir la lumière pour ne pas être deux aveugles ou davantage qui avancent ensemble sans rien voir ? Quels maîtres, c’est-à-dire quels conseillers, quels interlocuteurs est-ce que je choisis ? 

Or, aussitôt, Jésus met en garde ses disciples contre toute tentation de se présenter à leur tour comme de tels maîtres : « Qu’as-tu à regarder la paille dans l’œil de ton frère, alors que la poutre qui est dans ton œil à toi, tu ne la remarques pas ? » La paille, la poutre : est en cause l’œil, c’est-à-dire notre capacité de regarder et de comprendre. Avant de se poser en guide de nos frères ou de nos sœurs, il convient que chacun vérifie la qualité de son regard, plus précisément encore que chacun veille à soigner sa capacité de jugement des situations. Avant de prétendre avoir un avis sur ce que fait tel autre ou sur ce qu’il ou elle devrait faire, il convient que j’examine ma manière de regarder et de mesurer et d’évaluer ma propre vie, mes propres défis. Ce que je repère peut-être de faussé ou d’insuffisant chez tel autre m’appelle d’abord à vérifier ce qui en moi conditionne mon propre regard sur la réalité. Quelles colères, quels ressentiments, quelle confiance, quelle naïveté, quelle espérance ou quelles peurs m’habitent lorsque je réfléchis à mes actes ? Et puisque Jésus nous est présenté là comme un maître parlant à ses disciples, sa parole peut se traduire ainsi : comment le regardons-nous, lui ? Comment chacun de nous le contemple-t-il, lui, le Fils bien-aimé fait homme, qui marche vers la Passion et vers la Résurrection, pour apprécier ce que nous faisons, ce que nous vivons, ce que nous décidons ?

Saint Luc accroche ici des paroles de Jésus sur l’arbre et ses fruits. « Chaque arbre, dit-il, se reconnaît à son fruit. » Une telle parole peut nous paraître simpliste. Nous sommes familiers, nous autres, Occidentaux, de l’idée que les paroles, c’est-à-dire les paroles et les gestes, ce qui sort de nous, peuvent camoufler ce qui nous habite réellement. Nous sommes habitués à soupçonner l’extérieur d’un être humain de camoufler son intérieur mais aussi parfois à excuser des gestes ou des paroles comme étant maladroits malgré la bonne intention du cœur. Quelqu’un peut faire du bien mais avec de sombres desseins, quelqu’un peut blesser par une parole ou un geste mais malgré lui, par maladresse. Or, Jésus, lui, affirme sans nuance : « Ce que dit la bouche, c’est ce qui déborde du cœur ». La liturgie nous a fait entendre quelques versets de Ben Sira le Sage qui préparent cette pensée : « C’est le fruit qui manifeste la qualité de l’arbre ; ainsi la parole fait connaître les sentiments. Ne fais pas l’éloge de quelqu’un avant qu’il ait parlé, c’est alors qu’on pourra le juger ». Parler ne veut pas dire ici seulement émettre des mots, faire des discours. Un être humain parle aussi par ce qu’il fait, par ses gestes concrets. L’idée sous-jacente est que, tôt ou tard, ce qui habite vraiment le cœur finit par se dévoiler. C’est pourquoi on ne peut connaître tout à fait quelqu’un tant que sa vie n’et pas achevée, tant que la mort n’y a pas mis son sceau. C’est pourquoi aussi nous croyons en un jugement dernier : car ce n’est qu’à la fin de l’histoire que l’on pourra voir ce que nos actes contenaient réellement. Étions-nous mus par l’amour et le renoncement à soi ou par la recherche de nous-mêmes ? Avons-nous agi par amour de la vérité et du plus grand bien ou bien en fonction de nos intérêts immédiats ? Qu’est-il remonté de mon cœur dans tel ou tel de mes actes ? Ai-je agi par habitude, par conformisme, ou ai-je agi après un véritable jugement, en puisant dans le meilleur qui habite mon cœur ? 

Alors, frères et sœurs, il me semble que les paroles de Jésus, sous leur apparence de simplicité et même de schématisme, abritent une ambition immense et magnifique : que, en vérité, nos actes et nos paroles montent du plus profond de notre cœur et soit l’expression du meilleur qui est en nous. Lui, Jésus, s’offre comme maître, non pour nous juger, non pour nous dire : « Fais ceci, fais cela », mais pour purifier le fond de notre cœur, pour le remplir de son Esprit-Saint qui est Esprit d’adoration du Père et de don de soi pour ses frères et sœurs. Saint Paul annonce cela lorsqu’il évoque « le dernier jour », « quand cet être périssable aura revêtu ce qui est impérissable, quand cet être mortel aura revêtu l’immortalité » : il voit déjà l’aboutissement de l’œuvre de Dieu, lorsque ce que nous vivons sur cette terre, toujours marqué par la peur de manquer, par la défiance à l’égard des autres, par l’inquiétude du lendemain, achèvera par le don plénier du Père de se laisser absorber dans la charité divine et ne sera plus qu’amour, confiance et joie. Pour l’apôtre, le chemin de transformation aboutit, il réussit : « Rendons grâce à Dieu qui nous donne la victoire par notre Seigneur Jésus-Christ » et cela doit nous encourager à travailler, dès ici-bas, à nous laisser habiter par la lumière qui vient de la Résurrection, par la foi en la communion à venir, par l’espérance en la bonté du Père. 

En ce jour, frères et sœurs, nous installons avec une certaine solennité, ici en cette église Saint-Joseph et en ce quartier de Reims, la communauté du Sappel. Cette communauté est née à Reims il y a des années dans le quartier du Maroc et elle a porté de bons fruits. La communauté dans son ensemble a répondu à notre appel et fait le choix de renforcer sa présence à Reims en s’y implantant de manière plus décidée par l’envoi en mission de la famille Galloy et de Cécile. Avec vous, j’en rends grâce à Dieu. Une des lignes de conduite de l’Église pour qu’elle soit en vérité l’Église de Jésus, est l’option préférentielle pour les pauvres. L’Église le répète avec force au long des âges, et a renouvelé ce discours au concile Vatican II et avec les papes Paul VI, Jean-Paul Ier, Jean-Paul II, Benoît XVI et aujourd’hui François. Mais il nous reste à en vivre vraiment. Notre Église particulière de Reims et des Ardennes compte sur le Sappel pour l’aider à mieux en vivre en vérité : que leur expérience et ses fruits nous apprennent à donner en vérité place aux pauvres au cœur de notre communauté diocésaine, que notre discours ne soit pas que des mots mais se traduise en actes, en une posture globale qui exprime ce qui doit devenir le désir profond de notre cœur commun. Nous désirons être aidés pour avancer sur ce chemin, et l’être par des guides qui travaillent à enlever la poutre de leur œil. Nous recevons en ce jour de l’apôtre Paul un encouragement formidable : « Prenez une part toujours plus active à l’œuvre du Seigneur, car vous savez que, dans le Seigneur, la peine que vous vous donnez n’est pas perdue. » C’est que Dieu, en effet, sait voir, dans les réalisations toujours pauvres, mêlées, insuffisantes qui sont les nôtres, la vérité du désir de notre cœur et il s’engage à le faire aboutir : « La mort a été engloutie dans la victoire »,

Amen


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