Homélie pour le 7ème dimanche du Temps ordinaire, le 19 février 2023, en l’église Saint-Maurice, à Reims - L'Eglise Catholique à Reims et dans les Ardennes

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Publié le 20 février 2023

Homélie pour le 7ème dimanche du Temps ordinaire, le 19 février 2023, en l’église Saint-Maurice, à Reims

Homélie pour le 7ème dimanche du Temps ordinaire, année A, le 19 février 2023, en l’église Saint-Maurice, à Reims, messe Ad Altum

Frères et sœurs, comment être un homme bien, une femme bien, un homme ou une femme de bien ? N’est-ce pas une question qui nous habite, nous les êtres humains, lorsque nous sommes adolescents ou jeunes adultes ? Comment être un homme ou une femme digne de ce nom ? Qu’est-ce que cela veut dire, comment nous les représentons-nous ?

Or, les paroles de Jésus commentant les préceptes de la loi juive, en fait, plutôt, commentant le commandement de l’amour du prochain, nous placent dans une sorte de déséquilibre. « Eh bien ! moi, je vous dis de ne pas riposter au méchant » ; « Eh bien ! moi, je vous dis : Aimez vos ennemis, et priez pour ceux qui vous persécutent. » Être un humain parfait, accompli, achevé, comme on voudra traduire le terme grec, ne consiste pas seulement à correspondre à un code, à un canon, mais à l’outrepasser. Ce qui fait la perfection, c’est d’aller un peu ou beaucoup au-delà de ce qu’une loi peut prescrire, non pour transgresser la loi mais pour aller un peu plus loin sur la ligne qu’elle indique. Il est juste et bon d’avoir des droits, de les défendre, de les faire respecter, de les réclamer même. Il est juste et bon de viser une certaine prospérité, une certaine tranquillité, une certaine sécurité. Il est juste et bon de recevoir et d’exercer des responsabilités, à commencer par celle de soi-même et celle de sa famille. Mais pour être un homme ou une femme digne de ce nom aux yeux de Jésus, pour être « parfaits », il convient de se risquer au-delà, dans le don de soi-même, un peu ou beaucoup, pour que d’autres vivent, dans le consentement à ce que la vie d’un autre mérite un renoncement de ma part. La « perfection », aux yeux de Jésus, l’achèvement, ne consiste pas à remplir un cadre pré-défini, mais à oser le « un peu plus », le « davantage », parce que c’est cela qui nous mettra sur la voie de la ressemblance avec le Dieu vivant.

Notons trois choses, frères et sœurs, pour tâcher de comprendre :

-Jésus ne dit pas « Fais ceci, ne fais pas cela ». Il nous appelle à réfléchir, il nous invite à oser, selon les circonstances. Un commentateur malicieux a pu faire remarquer que Jésus, lorsqu’il fut giflé (il le fut par un garde, lors de sa comparution devant le Grand-Prêtre), ne tendit pas l’autre joue mais interrogea l’homme, le renvoyant au sens de son action ;

-Jésus ne nous laisse pas nous glorifier à peu de frais : « Les publicains eux-mêmes n’en font-ils pas autant ? » ; « Les païens eux-mêmes n’en font-ils pas autant ? ». Il arrive que nous, chrétiens, présentions comme originalité chrétienne, ou vertu chrétienne, ou valeur chrétienne, ce qui peut bien être vécu par beaucoup d’autres dans le monde ;

-et puis, c’est Jésus qui dit : « Eh bien ! moi, je vous dis ». Les phrases qui nous font réfléchir : « ne pas riposter au méchant, aimez vos ennemis » ne sont pas des sentences abstraites. Elles sortent de la bouche de Jésus elles montent du fond de son être. Dans chaque situation déterminée, c’est face à lui que nous sommes invités à nous déterminer, face au retentissement dans notre mémoire spirituelle de ses paroles à lui, Jésus, lui qui s’apprête à livrer tout son être en notre faveur à tous et à sceller ce don dans son Eucharistie. Et plus encore : Jésus réfère tout au Père. La perfection, pour lui, ne consiste pas en une qualité dans laquelle nous pourrions nous contempler et nous auto-glorifier. Il s’agit de chercher à vivre comme des fils et des filles du Père qui est aux cieux et que, lui, Jésus nous présente comme « votre Père », notre Père à nous. Voyez comme cela change l’interprétation du monde. Le soleil qui se lève indifféremment pour les méchants et pour les bons, la pluie qui tombe indifféremment sur les justes et sur les injustes, peuvent être compris comme des preuves que le divin ne s’occupe pas des humains. Jésus, lui, y voit une marque de la bonté du Père et de sa patience : il donne du temps à tous pour qu’ils se convertissent, il ne cesse pas d’agir pour qu’ils se reprennent et transforment leur comportement et il appelle ceux et celles qui veulent être ses fils et ses filles à participer à sa patience et à sa persévérance. Le Dieu vivant, le vrai Dieu qui se dévoile à Israël et qui vient à nous en plénitude en Jésus ne réagit pas instant par instant au comportement des humains, il supporte d’être jugé impuissant et même inutile face au mal commis et à ses ravages, mais il ne se lasse pas de susciter du sein de l’humanité des hommes et des femmes porteurs d’espérance pour les autres, donnant du temps, même à leurs ennemis, même aux violents, pour qu’ils se transforment.

Aujourd’hui, une objection se lève fatalement dans nos esprits et nos cœurs. Faudrait-il encourager celles et ceux qui subissent violence et injustice à s’y résigner avec patience ? Faudrait-il que les victimes se plient à une loi du pardon automatique, ce qui revient à laisser libre-champ aux violents et aux abuseurs ? Il est important de relever que Jésus, ici, ne parle pas de pardonner à ceux ou celles qui font du mal mais de ne pas répondre à la violence par la violence et d’aimer ses ennemis et de prier pour eux. Manifester à quelqu’un le mal qu’il commet peut être aussi un acte d’amour. C’est faire confiance que l’autre a en lui des ressources morales, peut être atteint par la vérité et la justice, même s’il lui faut du temps pour cela. Aimer ne signifie pas tout tolérer, ni tout supporter, mais chercher la brèche par où manifester que la relation n’est pas rompue, que l’espérance de la fraternité demeure.

En fait, frères et sœurs, ce que Jésus nous propose n’est rien de moins que de mener notre vie directement en union avec Dieu le Père. Il s’est assis sur une colline au-dessus du lac de Tibériade parce qu’une grande foule le suivait et il a laissé ses disciples venir à lui. Il ne s’adresse pas à des puissants ni à des gens d’influence ni à des intellectuels patentés, il parle à la petite foule des gens ordinaires qui peuplaient les villages et les petites villes de la Galilée, de braves gens, pieux souvent, fervents parfois, qui tâchaient de survivre au mieux mais aussi de vivre au mieux, en dignes fils et filles du peuple d’Israël, le peuple choisi par Dieu comme partenaire de son Alliance. Chacune et chacune de celles-là ou de ceux-là, Jésus leur offre d’entrer dans l’Alliance immédiatement comme fils et filles du Père, entrant dans les intentions du Père, créateur de tous les humains et de toutes choses.

Saint Paul en tire les conséquences pour nous tous : « Ainsi il ne faut pas mettre sa fierté en tel ou tel homme. Car tout vous appartient, que ce soit Paul, Apollos, Pierre le monde, la vie, la mort, le présent, l’avenir : tout est à vous, mais vous, vous êtes au Christ, et le Christ est à Dieu ». Il n’y a pas de déclaration plus forte de la liberté humaine, mais non de la liberté comprise comme licence de vivre et agir selon ses passions et ses pulsions, mais de la liberté spirituelle, de la liberté de l’esprit incarné que nous sommes, capable en communion avec les autres de tout voir, de tout comprendre, et responsable de faire déboucher l’immense aventure de la vie dans la pleine gloire et bonté de Dieu. Baptisés et confirmés, nous ne sommes pas fils et filles de Dieu par l’intermédiaire de qui que ce soit, nous le sommes immédiatement, chacun par lui-même mais toujours avec les autres et pour les autres aussi, en vue de l’œuvre totale de Dieu. Dans nos actes les plus banals comme dans les décisions cruciales de nos existences se joue la destinée de l’humanité, son orientation vers Dieu et son œuvre et le pas de côté qu’elle fera. Chacun de nous, si humble ou modeste, qu’il soit, engage Dieu et engage le monde en ses actes. Cela ne doit pas nous paralyser, mais nous encourager au contraire à oser le « un peu plus », le « un peu davantage » dont le Dieu vivant nous rend plus capables que nous ne le savons et qu’il attend de nous sans nous le commander.

Alors, frères et sœurs, encore et toujours nous sommes appelés à un triple travail :

-maîtriser ce qui peut monter de notre cœur pour ne pas vivre sous la tyrannie de nos pulsions et de nos passions, ni de la colère, si légitime qu’elle puisse être parfois, ni de la haine surtout ou du désir de vengeance qui est bien autre chose que le sens de la justice ;

-nous dégager de ce qui nous enferme dans nos particularismes, y compris nos identités les plus chères, non pour les nier mais pour les situer à leur juste place ; ne reconnaître comme seigneur de mon âme, comme maître de ma liberté, que le Christ Jésus qui, lui, ne veut être que le Fils du Père ;

-peser mes décisions dans la lumière de ce même Christ et de l’œuvre de Dieu qui est œuvre de réconciliation, de communion, dans la lumière et la joie.

Ce travail-là peut faire de nous des femmes et des hommes de bien, aux yeux des humains peut-être, aux yeux de Dieu et de nos frères et sœurs pour l’éternité sans doute. « Vous donc, vous serez parfaits, comme votre Père céleste est parfait »,

                                                                                                                   Amen. 


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