Homélie pour le 7ème dimanche du Temps ordinaire, année A, le 23 février 2020, en l’église Notre-Dame de Neuvizy - L'Eglise Catholique à Reims et dans les Ardennes

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Publié le 3 mars 2020

Homélie pour le 7ème dimanche du Temps ordinaire, année A, le 23 février 2020, en l’église Notre-Dame de Neuvizy

Comment entendons-nous ces paroles du Seigneur ? Elles constituent la musique de fond du christianisme, ce par quoi beaucoup qui ne le connaissent que peu le caractériseront volontiers : « Aimez vos ennemis ». Certains s’en émerveillent, d’autres s’en étonnent, beaucoup répètent cela incrédules, ne croyant même pas que les chrétiens puissent en vivre sérieusement. Nous, frères et sœurs, comment les entendons-nous ? Pensons-nous, plus ou moins secrètement, que ces paroles sont belles mais irréalistes, qu’elles seraient désirables mais qu’elles sont aussi dangereuses ? Un adulte raisonnable ne doit-il pas se garder de ses ennemis ? Ne doit-il pas réclamer son dû et protéger ses biens contre les tentatives d’accaparement des autres ? Facilement, nous nous défendons de la force de ces paroles en constatant qu’elles valent peut-être pour des individus spéciaux mais certainement pas pour des pays ou des États ? Comment, à partir de ces paroles, justifier les guerres et comment, pourtant accepter qu’un pays en envahisse un autre sans que le premier se défende ? N’en est-il pas de même pour la protection de nos droits et de nos intérêts ?

Pourtant, quelqu’un a prononcé ces paroles et ces paroles ont imprégné la conscience mondiale. Qui peut absolument faire comme si elles n’existaient pas ? Qui peut en vouloir à ses ennemis, à ceux qui lui ont fait du mal sans entendre monter en lui la mémoire de ces paroles, sans se savoir, bon gré ou mal gré, appelé à surmonter son attitude première, à regarder plus haut et plus loin, à se préparer à la vie éternelle ? Notre époque, cependant, se méfie des prétentions à la perfection : « Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait », dit le Seigneur Jésus, mais nous, aussitôt, nous avons envie de répondre que la perfection n’existe pas ici-bas, que la perfection en question est un idéal qui peut devenir destructeur parce qu’il est inaccessible, qu’il vaut mieux s’en tenir à la justice, qu’être juste ne serait déjà pas si mal. D’ailleurs, l’actualité, depuis trois ou quatre ans, nous oblige à constater que l’Église, tout en prêchant cette perfection, a abrité en son sein des comportements ignobles, que certains de ses prêtres qui devaient être des porteurs de la vie de Dieu ont commis des abus affreux et que ses responsables, ses évêques, n’ont pas su et parfois peut-être pas voulu y mettre fin comme il aurait fallu. La perfection prêchée a servi de prétexte pour échapper à la justice des hommes, alors que cette justice, toute imparfaite qu’elle soit, aurait été meilleure pour la vie des victimes que toute prétention à la dépasser.

Il n’en reste pas moins que ces paroles, lorsque nous les entendons, éveillent en nous un désir. Elles font se lever l’idée d’un monde, d’une humanité, plus belle, plus vivante, plus porteuse de vie, à laquelle nous ne pouvons trop vite renoncer sous peine de nous résigner à n’être que des animaux à peine supérieurs. Deux choses retiennent notre attention. D’abord, celui qui parle, Jésus. Lui qui prononce de telles paroles en a vécu jusqu’au bout et cela l’a conduit à la mort mais aussi à la résurrection c’est-à-dire à la puissance de vivre non pour lui seulement mais en rendant la vie aux autres et en répandant son Esprit-Saint dans les cœurs les plus endurcis. Ensuite, la manière dont il parle : Jésus n’établit pas une loi. Il n’excuse pas le mal et il ne contraint pas au pardon. Il n’encourage personne à vouloir prendre chez autrui plus qu’il ne doit ; il invite celui qui est sollicité à réfléchir s’il n’y pas une autre attitude possible qu’un rejet brutal. En fait, frères et sœurs, en parlant ainsi, Jésus s’adresse à des Juifs, à des membres du peuple de l’Alliance avec Dieu. Il s’adresse à des gens simples, des agriculteurs et des artisans des bords du lac, ni à des docteurs de la loi ni à des prêtres du Temple, mais à des gens qui néanmoins s’efforcent de vivre, autant qu’ils le peuvent, dans la fidélité à l’alliance avec Dieu. En disant : « Vous donc, soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait », il reprend la formule du livre du Lévitique : « Vous donc, soyez saints car moi je suis saint ». Jésus invite à ne pas vivre la sainteté seulement lorsque l’on est dans le Temple, ou lorsque l’on est en pèlerinage vers Jérusalem. Il appelle à vivre toujours comme des membres du peuple de l’Alliance, chacun responsable de cette Alliance qui fait vivre le peuple. Il nous appelle à nous regarder les uns les autres, selon de ce que dit saint Paul, comme des temples du Seigneur que nous devons nous garder de profaner. Jésus ne cherche pas à nous dire : « Faites ceci ou faites cela ». Il ouvre devant nous un champ immense, remis à la délicatesse de notre cœur, à notre intelligence de la relation avec les autres, et surtout il nous donne son Esprit de sainteté, il se donne lui-même pour être notre nourriture pour un tel labeur.

Alors, avant de nous interroger pour savoir si ces paroles du Seigneur sont applicables aux États, si elles sont transposables aux relations à l’intérieur d’une entreprise ou face à l’administration de l’État ou dans toute autre situation, acceptons de nous poser quelques questions simples. Mes paroles respectent-elles toujours le temple de Dieu qu’est autrui ? M’arrive-t-il ou ne m’arrive-t-il pas, dans la colère ou dans la fatigue, de laisser échapper un mot mauvais, un jugement ? M’arrive-t-il ou ne m’arrive-t-il pas de chercher à humilier tel autre ou de lui faire sentir ce que je juge être sa médiocrité ? M’arrive-t-il ou ne m’arrive-t-il pas d’éviter de rencontrer telle personne parce que je crains le temps qu’elle va me prendre, tant elle a besoin de parler ? Parfois, je peux avoir raison de ne pas lui laisser penser que j’ai du temps pour elle, et parfois je me protège exagérément. A partir de là, nous pouvons comprendre l’enjeu des « fraternités de proximité » que le projet diocésain nous encourage à constituer partout. Que chacune et chacun d’entre nous apprenne à écouter les autres et ose se confier à la fraternité des autres ; que chacune et chacun apprenne à retrouver quelques autres non sur la base d’abord de la sympathie ou de l’amitié mais sur la base avant tout de la foi commune, du désir de vivre à partir des paroles de Jésus et du don de son Esprit-Saint. Nous ne pouvons être certains d’aimer tous nos ennemis, et beaucoup d’entre nous diront qu’ils ne se connaissent pas d’ennemis et qu’ils ne sont les ennemis de personne, et cela est vrai. Tant mieux, d’ailleurs ! Mais beaucoup change si nous courons le risque de nous rapprocher, de tâcher de prier, de réfléchir et d’agir ensemble. Nous nous ferons du bien, mais parfois nous nous décevrons, parfois nous nous agacerons. Dans nos relations fraternelles, en paroisse, en famille, avec nos amis, il nous faut parfois consentir le « un peu plus » ou le « davantage » auquel le Seigneur nous appelle. Osons ne pas nous contenter de relations de stricte justice. Un jour, nous donnons davantage, nous faisons un peu plus, et ce jour-là nous recevons la joie, en gage avant-coureur de la joie éternelle. C’est la promesse du Seigneur en ce dimanche,

                                                                                                             Amen.
Mgr Éric de Moulins-Beaufort


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