Homélie pour le 7ème dimanche de Pâques - L'Eglise Catholique à Reims et dans les Ardennes

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Publié le 30 mai 2022

Homélie pour le 7ème dimanche de Pâques

Homélie pour le 7ème dimanche de Pâques, année C, le 29 mai 2022, en la cathédrale Notre-Dame de Reims,

 fête de sainte Jeanne d’Arc

« Qu’ils deviennent ainsi parfaitement un » : cette phrase de Jésus pourrait, frères et sœurs, représenter un idéal pour l’humanité, un but à atteindre. Une manière d’exprimer ce que l’on peut appeler « le problème humain », le grand défi que l’humanité est pour elle-même est en effet de réaliser le contraste entre l’immense diversité des humains et le besoin d’unité qui nous habite. Comment être un, comment être « parfaitement un », alors que nous sommes si nombreux et si divers ? Comment faire converger la multiplicité des idées, des besoins, des intérêts, comment organiser leur foisonnement pour que tous contribuent au bien de la totalité ?  

Il nous faut remarquer que le Seigneur Jésus ne prononce pas cette phrase comme l’énoncé d’un programme, c’est une prière qu’il adresse à Celui qu’il appelle « Père », « Père saint », « Père juste ». « L’unité parfaite » que Jésus demande, il ne l’attend pas d’une construction politique ou sociale, ni d’une réalisation culturelle. Cette « unité parfaite » existe déjà, elle est celle qui existe entre le Père et lui : « Que tous soient un, comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi. Qu’ils soient un en nous eux aussi, pour que le monde croie que tu m’as envoyé. » Chercher « l’unité parfaite » sur le plan politique ou économique ou culturel, pourrait paraître rationnel, mais serait vite effrayant : cela signifierait l’écrasement de toute diversité, la réduction au même, cela supposerait inévitablement une certaine forme de contrainte par la force ou par la persuasion, afin d’obtenir le parfait alignement de tous sur la ligne fixée par ceux ou celles à qui cette tâche reviendrait. Une certaine critique de la globalisation à l’échelle mondiale où nos sociétés sont engagées vient de la perception de ce risque finalement déshumanisant. Jésus prie, il demande que l’unité vivante qui lie, qui unit le Père et le Fils, qui le fait, lui, le Fils bien aimé, un avec le Père à jamais sans que jamais l’un devienne l’autre, puisse être l’apanage des humains, mais non pas pris en masse, mais un par un, une par une, personne par personne, à mesure que chacun ou chacune pourra croire que le Père a envoyé le Fils et que le Fils venu partager notre condition, jusqu’à la mort, ne vise que la gloire du Père.

En fait, frères et sœurs, la prière de Jésus au terme de son dernier repas avec ses disciples avant son arrestation et sa mort, avant sa résurrection aussi, ouvre aux humains que nous sommes une espérance formidable : l’espérance que notre nombre et notre diversité puissent émerger vers une « unité parfaite » dont le moteur ne soit pas la domination de quelques-uns sur tous les autres, ne soit pas la réduction de tous à une seule manière d’être et de vivre et de penser, mais soit la force mystérieuse de l’amour : « Je leur ai fait connaître ton nom, dit Jésus, et je le ferai connaître, pour que l’amour dont tu m’as aimé soit en eux, et que moi aussi, je sois en eux. » Seulement, qu’est-ce que l’amour ? Qu’est-ce qu’aimer ? A grands traits, nous pouvons repérer l’amour comme désir passionné, qui veut prendre et posséder, mais l’amour dont parle Jésus et qu’il incarne est autre : aimer, c’est accepter de se laisser affecter par l’autre, c’est désirer éprouver ce que l’autre éprouve, trouver sa joie dans sa joie et sa peine dans sa peine. A l’échelle de nos vies personnelles, j’aime lorsque je ressens comme important pour moi ce qui arrive à celle ou celui que j’aime ; à l’échelle des nations et du monde, de l’humanité entière, aimer, c’est accepter de considérer comme important et méritant une réaction ce que vivent et subissent les humains même les plus éloignés. C’est, à tout le moins, ne pas juger que ce qui se passe à l’autre bout de la planète ne me concerne pas, c’est consentir à m’en sentir affecté et même peut-être consentir à ma part de responsabilité. Cet amour-là, frères et sœurs, le politique ne peut le produire, même s’il peut en être le fruit et s’il est bon qu’il le soit ; les produits culturels, et même les grandes vedettes du cinéma ou de la chanson, ne peuvent le mettre dans nos cœurs, même s’il serait bon qu’ils le chantent et aident à le faire grandir ; les moyens puissants de l’économie ne peuvent jamais qu’uniformiser nos goûts et nos désirs les plus immédiats, même si le commerce est, en lui-même, déjà une promesse d’unité de l’humanité. Lui, Jésus, l’envoyé du Père, est venu et vient pour nous ouvrir à cet amour-là et pour en faire le moteur profond de nos vies.

Sainte Jeanne d’Arc incarne la nécessité de cet amour-là. Paysanne d’un pays de Lorraine aux marches de la France, elle se sent affectée par « la grande pitié du royaume de France », un royaume que son roi ne suffit plus à mobiliser, un royaume où nul ne sait plus ce qu’il faire, avec qui il doit agir pour vivre dans la justice et le droit et la paix. Paysanne des marches de la France, elle a compris qu’il n’était pas juste et qu’il ne pouvait plaire à Dieu que disparaisse, dépecée, une entité qui avait été construite lentement à travers les siècles et qui offrait un espace de vie commune, de fidélité partagée, d’amour civique à toutes sortes de peuples et de personnes. Elle a senti qu’une telle réalité ne pouvait être traitée comme un meuble de famille que l’on se partage dans un héritage, que la langue, l’histoire, le sentiment mystérieux d’appartenance réciproque qui avaient lié des morceaux géographiques et culturels différents ne pouvaient être considérés ni comme secondaires aux yeux des humains ni comme négligés dans le dessein de Dieu. Elle n’a pas été un chef politique, elle n’a pas été un chef de guerre ; elle s’est voulue, et c’est son mystère magnifique, une messagère très humble mais aussi très déterminée du Dieu vivant. Elle n’a pas fait de théorie politique ou juridique, elle n’a pas indiqué au roi comment il devait gouverner son royaume, quelles promesses il devait faire ; elle a rendu à tous la compréhension que l’unité qui existait entre eux, si fragile qu’elle soit, si peu rationnelle parfois, était belle et méritait d’être promue. Elle a appris à tous que cette unité-là n’appelait pas nécessairement la haine de l’adversaire mais au contraire exigeait de le respecter dans le combat lui-même, et de préparer un avenir qui puisse être d’amitié avec lui aussi.

Nous avons besoin de sainte Jeanne d’Arc aujourd’hui. Tout le monde glose sur notre société fracturée : qui nous donnera ou qui nous rendra le goût de former un seul peuple, une seule entité politique et économique et culturelle, non pas fermée aux autres, mais servant l’unité plus grande de l’humanité entière ? La guerre en Ukraine ébranle notre conviction endormie que la paix est acquise et que les rapports des nations ne peuvent plus être des rapports de puissance et de force : qui peut aider les Ukrainiens à résister comme ils le font sans entretenir haine et désir de revanche à l’égard de ceux qui les agressent ? Qui nous apprendra à construire des entités politiques et économiques fortes et qui respectent et font grandir leurs voisins ? Une idéologie s’est répandue dans le monde qui fait des ravages en Afrique et parfois en Asie et parfois des massacres chez nous, qui veut uniformiser le monde sous une certaine « loi de Dieu » : qui incarnera un modèle d’unité de l’humanité qui soit une unité de la liberté, de la justice, de l’amour, et non pas pour le coup une unité commandée par les intérêts de quelques-uns dont nous sommes ? Dans la crise écologique qui étreint l’humanité et la planète, qui nous aidera à nous laisser affecter en vérité par le sort de pays éloignés, plus directement et immédiatement menacés que notre douce France, au climat tempéré et à la géographie favorable ?

L’histoire de sainte Jeanne d’Arc nous prévient : l’unité de l’amour, de l’amour qui se laisse affecter, peut être douloureuse. Elle rencontre l’échec mais elle nous assure paradoxalement, dans la lumière de Jésus, que l’échec ne peut empêcher que l’amour l’emporte, ne peut empêcher le « Père juste » d’envoyer son Fils faire connaître son nom aux humains « pour que l’amour dont tu m’as aimé soit en eux et que moi aussi, je sois en eux. » Nous avons entendu le récit de la mort de saint Étienne, le premier des martyrs. Les autorités religieuses, et c’est un avertissement pour toutes les autorités religieuses surtout chrétiennes, ne peuvent supporter facilement que ce qui détermine la vie humaine ne soit pas les rites religieux mais l’amour réel vécu dans la liberté profonde. Le pouvoir politique romain a d’abord négligé la réalité nouvelle qui apparaissait au milieu des humains avec la proclamation de Jésus puis il s’en est inquiété : car le pouvoir politique n’aime pas que l’unité de l’humanité ne se fasse pas par lui seulement ni d’abord. Sainte Jeanne d’Arc, elle aussi, a été mise à mort, par la conjuration des forces politiques et religieuses. Elle gênait. Elle dérangeait, elle était témoin d’une dynamique de l’histoire qui échappe aux pouvoirs terrestres. Mais dans la lumière de Jésus, elle nous assure qu’au bout du compte rien ne peut empêcher la gloire de Dieu et la gloire de Dieu est d’avoir créé les humains si nombreux, si divers, si contrasté, pour que nous apprenions à aimer au point d’être un comme le Père est dans le Fils et le Fils dans le Père. 

Frères et sœurs, sur la façade occidentale de notre cathédrale, au nord et au sud, ont été représentées deux femmes agenouillées mais aussi tendues en avant, les moins jointes. On peut les interpréter comme l’on veut : on peut y voir la Synagogue et l’Église, peut-être plus précisément l’Église comme rassemblement final de l’humanité, venue des Juifs, et l’Église venue des païens, qui appelle : « Amen ! Viens, Seigneur Jésus ». Oui, frères et sœurs, que sainte Jeanne d’Arc renouvelle en nous le désir qui est celui du Dieu vivant, porté par le Seigneur Jésus : « Que tous soient un, comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi. »

                                                                  Amen.                                                


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