Homélie pour le 6ème dimanche du Temps Ordinaire - L'Eglise Catholique à Reims et dans les Ardennes

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Publié le 16 février 2021

Homélie pour le 6ème dimanche du Temps Ordinaire

Homélie de Mgr Eric de Moulins-Beaufort pour le 6ème dimanche du Temps Ordinaire, année B, le 14 février 2021, en l’abbaye de Saint-Thierry (Marne).

« Dieu qui veux habiter les cœurs droits et sincères, donne-nous de vivre selon ta grâce, alors tu pourras venir en nous pour y faire ta demeure ». Mes Sœurs, frères et sœurs, l’oraison d’ouverture de cette Messe exprime magnifiquement le mystère profond de la vie chrétienne. Dieu veut faire sa demeure en nous. C’est le sens même de votre vie monastique. Par là, vous vivez déjà du Royaume, vous tendez vers lui, vous donnez en vous à notre humanité sa vraie destination : la gloire de tout être humain est de devenir une demeure pour Dieu, la gloire de l’humanité est d’être tout entière habitée par Dieu, chacun étant alors un lieu d’hospitalité pour tous les autres. A cette fin, Dieu espère trouver des « cœurs droits et sincères ». Mais où les trouver dans notre humanité ? Qui peut oser se présenter devant Dieu comme tel : je suis, Seigneur, un cœur droit et sincère, digne que Tu y fasses ta demeure ?

La rencontre de Jésus avec le lépreux, que saint Marc rapporte pour nous, nous ouvre une espérance immense : il n’est aucun être humain que Jésus répugne à toucher. Un lépreux est en soi une humanité malade, avec laquelle il faut éviter tout contact direct. Facilement, il concentre en lui tout ce qui, chez un autre humain, inspire à un être humain de la peur, de la méfiance, de la répulsion. Le livre des Lévites qui organise la vie du peuple d’Israël afin qu’il puisse être, malgré tout ce qui en lui s’y oppose, la demeure de Dieu, le lieu où réside sa gloire, ordonne aux lépreux de se mettre à part. Il est intéressant de noter qu’il appartient aux lépreux de se signaler aux autres par leurs vêtements désordonnés et leur cri. Leur responsabilité est engagée, et c’est une forme de dignité : ils doivent veiller à ne pas contaminer les autres. Nous connaissons, en ce moment de crise sanitaire, une exigence similaire : ne pas contaminer autrui. Mais Jésus ne se satisfait pas de cette dignité maintenue malgré tout. « Jésus étendit la main, le toucha et lui dit : ‘’Je le veux, sois purifié’’. » Pour Jésus, aucun être humain n’est enfermé dans un destin. Même le lépreux le plus abîmé par la maladie, même le plus contagieux, reste à l’image et à la ressemblance de Dieu et est appelé à devenir sa demeure au milieu des autres humains, avec les autres humains. Il n’y a pas de maladie, il n’y a pas de condition sociale, qui puisse empêcher le Seigneur Jésus, le Fils bien-aimé du Père, de venir jusqu’à nous nous toucher, nous purifier, nous disposer à devenir la demeure de Dieu.

Mais, nous le savons bien, il faut dire plus encore. Le lépreux est le symbole de l’humanité pécheresse. Des siècles de christianisme nous ont appris à ne pas nous détourner d’un malade, à ne pas simplifier notre vie sociale en considérant les malades les plus atteints comme des parias. Mais qu’en est-il des pécheurs ? Qu’en est-il de ceux et celles qui font du mal, qui font le mal, qui abîment les autres, qui détruisent ou souillent ce que les autres tâchent de construire patiemment ? Nous, chrétiens, avons l’audace de proclamer qu’il est toujours temps pour un humain de dire : « Si tu le veux, tu peux me purifier ». Il est toujours temps de venir à Jésus pour lui demander cela. Il est toujours temps de regarder Jésus comme celui à qui il vaut la peine de dire cela. Jésus demande au lépreux purifié de ne rien dire à personne, sinon d’accomplir ce qui est prévu par la Loi, la Torah. Jésus n’est pas venu pour soigner les lépreux de tous genres, mais, en quelque sorte, il ne peut résister à un lépreux qui crie vers lui. Il est venu pour purifier les pécheurs, pour toucher les humains au plus intime afin que le pire des pécheurs puisse avoir une chance de revenir vers « un cœur droit et sincère ». Jésus demande à l’homme guéri d’accomplir ce qui est prescrit par la Torah : en son corps guéri, en sa chair régénérée, il sera le signe que Dieu agit pour les humains, pour les ramener à la vie ; il sera déjà une annonce du Ressuscité. Lui, Jésus, étendant la main et touchant le lépreux, il anticipe le rapprochement maximal auquel il se prépare, pour lequel il est venu, avec l’humanité habitée par le péché, qui se manque elle-même sans cesse à cause du péché, l’acte par lequel il prend sur lui nos péchés mais pour les anéantir par sa Résurrection.  

Mes Sœurs, frères et sœurs, vous le savez bien. Même notre petit péché signe notre appartenance à une humanité abîmée. Même nos petits péchés indiquent qu’il y a en nous des forces dangereuses, des complicités toujours tapies, prêtes à nous submerger, avec des forces de mort. Nous avons appris à les tenir à l’écart ou à nous tenir à distance. Nous nous exerçons à ne pas leur donner accès à l’intime de nos pensées, à les maintenir à la périphérie. Surtout, nous avons appris à contempler Jésus, à reconnaître en lui la sainteté de Dieu, c’est-à-dire la capacité de Dieu de s’approcher de nous pour nous faire purement du bien ; nous avons appris à reconnaître dans le moindre de ses gestes : « Jésus étendit la main, le toucha et dit », Dieu exprimant son amour pour nous, c’est-à-dire venant à nous pour se donner pour nous et à nous ; nous avons appris à reconnaître dans sa voix : « Je le veux, sois purifié », la tendresse de Dieu qui s’exprime pour nous depuis l’aube de la Création, depuis la parole originaire. C’est lui qu’il nous faut contempler, c’est de lui qu’il faut remplir nos regards, de ses paroles, de ses gestes qu’il faut tapisser nos cœurs, le lieu où se forment nos pensées et se décident nos actes. Car nos cœurs seront « droits et sincères », non pas parce que nous serons impeccables, mais parce que nous saurons reconnaître nos faiblesses, nos failles, qui peuvent se traduire par des actes qui abîment, non dans la délectation morose mais en les confiant au Seigneur qui approche, surtout en nous laissant habiter par Jésus qui s’approche de nous. Rappeler la loi, répéter les commandements, est toujours utile, mais ce qui nous guérit, ce qui nous libère, ce qui nous purifie et nous sauve, c’est Jésus venant à nous, contemplé, admiré, aimé. A lui, nous avons l’audace de demander : « Si tu le veux, tu peux me purifier », ce qui revient au même que : « Donne-nous de vivre selon ta grâce, fais de mon cœur un cœur droit et sincère. »

Jésus envoie l’homme guéri vers le prêtre, selon ce que prescrit le livre des Lévites : l’homme sera ainsi réintégré dans le peuple en qui Dieu a choisi de faire sa demeure parmi les hommes. Vous l’avez remarqué, mes Sœurs, frères et sœurs : dans la prière d’ouverture, nous lui avons demandé sa grâce, c’est-à-dire toute l’action du Christ Jésus, pour que nous en vivions, de sorte qu’il vienne faire en nous sa demeure. « En nous » : pas en moi seulement, puis en toi et en toi, par une addition. En nous : en chacun de nous pour que ce soit en tous, autant qu’il est possible, autant qu’il en est qui se joindront, un jour ou l’autre à cette prière ; en tous, et par conséquent en chacun. L’unique lépreux purifié annonce l’unique humanité, l’humanité totale, que le Seigneur vient travailler par sa grâce pour que le Dieu vivant puisse venir y faire sa demeure. Comment vérifier que nous vivons de la grâce de Dieu ? Saint Paul nous donne un critère efficace : « Ne soyez un obstacle pour personne, ni pour les Juifs, ni pour les païens, ni pour l’Église de Dieu. » Mes Sœurs, ce que vous vivez ici, dans votre vie commune, vous oblige à vivre cela pleinement, et vous savez vous le secret de cette manière de vivre. N’être un obstacle pour personne ne veut pas dire renoncer à vivre, renoncer à avoir une personnalité, se rendre insignifiant, cela veut dire au contraire que tout ce que vous faites, vous le faites « pour la gloire de Dieu ». Le secret de notre union fraternelle est notre recherche de la seule gloire de Dieu, dans les grands actes et dans les tout petits.

 Jésus s’approche du lépreux et le touche parce qu’en lui il s’approche de l’humanité une et il la touche pour que cette unité ne soit pas l’uniformité de la mort mais la vie vibrante des vivants unis dans la charité de Dieu, mais l’harmonie de la demeure de Dieu dont chaque pierre vivante contribue à la croissance. Que le Carême qui vient nous permette de regarder Jésus et d’oser lui demander : « Si tu le veux, tu peux me purifier » et, par lui et en lui, d’oser plus encore demander de tout notre être avec l’Église entière : « Dieu qui veux habiter les cœurs droits et sincères, donne-nous de vivre selon ta grâce. Alors tu pourras venir en nous pour y faire ta demeure. »                                                           

Amen.


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