Homélie pour le 6ème dimanche de Pâques - L'Eglise Catholique à Reims et dans les Ardennes

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Publié le 18 mai 2020

Homélie pour le 6ème dimanche de Pâques

Homélie prononcée par Mgr Eric de Moulins-Beaufort depuis la Maison diocésaine Saint Sixte de Reims, pour le 6ème dimanche de Pâques.

Une revue catholique a publié, il y a quelques jours, un portrait en plusieurs articles d’un prêtre de Paris, l’abbé Beauvais, sous la direction duquel j’ai fait ma profession de foi. Ce prêtre, vicaire de paroisse toute sa vie, consacré aux jeunes toute sa vie, avait appartenu à un réseau venant en aide aux aviateurs anglais abattus en France et avait été déporté à Buchenwald puis à Dachau. La moitié seulement des 1200 déportés partis en même temps que lui sont revenus. Un des articles rappelle qu’ayant trop souffert de l’emprisonnement, il ne disait jamais les « Dix commandements » mais toujours les « Dix Paroles sacrées », ce qui est la traduction du mot grec « Décalogue ». Pour lui, ‘’un commandement’’ ne peut sortir de la bouche de Dieu, sinon pour dire : ‘’Je vous donne un commandement nouveau : Aimez-vous les uns les autres’’ »[1]. Nous entendons cela en ce dimanche : « Si vous m’aimez, vous garderez mes commandements », mais nous comprenons bien que les commandements de Jésus sont les deux commandements de l’amour de Dieu et de l’amour du prochain dont les « Dix Paroles sacrées » disent le contenu et en qui les « Dix Paroles sacrées » trouvent justement ce qui les rend sacrées. Dieu n’est pas un gardien de camp qui hurle des ordres, il n’est même pas un chef d’armée ou un chef politique qui édicte des ordres ou des lois. L’évangéliste nous aide à le comprendre lorsqu’il reprend la formule de Jésus : « Vous garderez mes commandements » et encore : « Celui qui reçoit mes commandements et les garde ». Nous sentons bien qu’il dit quelque chose de neuf. Car la loi, nous la respectons. Le code de la route ou le code du travail ou les décrets sur le confinement et le déconfinement, nous sommes censés les respecter. Les commandements de Jésus, eux, nous sommes appelés à les garder, c’est-à-dire à les recevoir, à les aimer, à les abriter en nous, à leur donner chair dans notre manière d’agir et d’être. Les garder ne veut pas dire que nous les respections toujours mais que, si par malheur, nous y manquions, nous accepterions, nous aimerions même que ces commandements nous travaillent de l’intérieur, remuent notre conscience, aillent nous chercher dans notre oubli pour nous aider à revenir vers leur garde à partir de nous-mêmes.

Vous avez remarqué, frères et sœurs, le nom que Jésus donne au Saint-Esprit, à l’Esprit qu’il promet : le « Défenseur ». « Je prierai le Père et il vous donnera un autre Défenseur qui sera pour toujours avec vous ». Le Défenseur traduit le mot grec « Paraclet » qui signifie l’avocat et le consolateur. Nous avons besoin d’être consolés lorsque nous découvrons que nous ne parvenons pas bien à « garder » les commandements ; nous avons besoin d’un avocat, contre nous-mêmes déjà, lorsque nous ne sommes pas fiers de nous, lorsque nous doutons être à la hauteur de ce que le Seigneur attend de nous, de la « garde » de ses commandements. Trop souvent, le « monde » nous regarde comme des obsédés de la loi morale, vivant de manière étriquée entre des commandements que nous ne parvenons à respecter qu’en nous abstenant de vivre en liberté. Mais le « monde » s’arrange ainsi : il se donne des excuses pour ne pas « garder » les commandements, en faisant comme s’il s’agissait de respecter des préceptes. Trop souvent, sans doute, nous-mêmes participons encore du monde. Nous recevons la parole ou les paroles de Jésus comme un code moral, comme des règles à suivre, et nous nous mesurons les uns aux autres, pour repérer qui les respecte moins bien que nous de manière à nous excuser à ses dépens. En réalité, le Seigneur attend de nous une tout autre attitude.  L’Esprit-Saint nous est donné, qui est l’Esprit même qui a reposé sur Jésus et l’a guidé au long de sa vie, pour que nous connaissions de l’intérieur la volonté de Dieu comme la volonté du Père qui nous veut vivants et porteurs de vie. L’Esprit-Saint nous est donné pour que nous gardions les commandements, non pas en renonçant à vivre librement mais au contraire pour grandir dans la liberté de faire le bien et en grandissant dans cette liberté qui seule est libératrice. Jamais Dieu ne nous permet de faire du mal à quiconque, toujours il nous appelle au contraire à faire le bien en donnant de nous-mêmes et, s’il le faut, en nous donnant nous-mêmes. Parfois, ce que Jésus appelle « le monde » nous condamne : il nous reproche de vouloir priver les autres de leurs libertés, de préférer voir les autres souffrir plutôt que de les laisser se débarrasser de telle épreuve. Nous avons toujours à purifier nos intentions, à vérifier et à passer au crible les motivations profondes de nos pensées et de nos jugements. Mais nous ne voulons du mal à personne : nous croyons, nous osons croire, que nos frères et sœurs en humanité sont mieux capables qu’ils ne le savent de choisir le bien meilleur, de renoncer à ce qui apporte de la mort et de choisir ce qui est porteur de vie sans réserve et nous osons avancer sur ce chemin, en connaissant nos faiblesses, parce que nous savons que le Seigneur Jésus porte ce qu’il y a d’insuffisant en nous et que son Esprit-Saint nous assure que le peu que nous choisissons dans la direction du meilleur peut être transfiguré par Jésus en louange à la gloire du Père. Saint Pierre invite à une telle conduite : « Mieux vaudrait souffrir en faisant le bien, si c’était la volonté de Dieu, plutôt qu’en faisant le mal ». Car en souffrant pour avoir fait ou pour faire le bien, nous nous associons au Seigneur Jésus, « lui qui a souffert pour les péchés, une fois pour toutes, lui, le juste, pour les injustes, afin de nous introduire devant Dieu. »

Nous sommes impressionnés de voir les premiers disciples traverser villes et villages et faire des guérisons, par leur seul passage, comme Jésus en faisait. Nous sommes même un peu jaloux : que notre mission serait facilitée, et notre foi, avouons-le, aidée, si paralysés et boiteux étaient guéris sur notre passage et les possédés délivrés. Hélas, nous ne constatons guère cela. Mais le livre des Actes des Apôtres veut surtout nous faire comprendre que le grand don à partager est celui de l’Esprit-Saint. Le plus ultime, le plus décisif dans ce que Jésus est venu nous apporter est son Esprit de sainteté qui vient habiter en nous par lui, Jésus, pour que tout du Dieu vivant soit rapproché de nous et que nous sachions choisir et faire ce que Dieu veut « non par contrainte mais de bon cœur », pour la joie de porter la charité de Dieu en ce monde et nous sachions renoncer à une action, non par peur du châtiment mais pour la joie de recevoir de Dieu et autrement que nous ne l’aurions attendu ce que nous étions tentés de saisir par nous-mêmes. Toute la vie dans le Christ, grâce à l’Esprit-Saint, devient un mystère de présence : « En ce jour-là, vous reconnaîtrez que je suis en mon Père, que vous êtes en moi, et moi en vous ». La grandeur de l’être humain est là : non pas se débrouiller tout seul, non pas conquérir le monde pour l’amener à lui, non pas apporter au monde du nouveau, mais mieux encore : être habité par Jésus et habiter soi-même en Jésus, de sorte que notre condition limitée serve au bien de tous. Le psaume nous l’a fait chanter : « Venez, écoutez, vous tous qui craignez Dieu : je vous dirai ce qu’il a fait pour mon âme ». L’abbé Beauvais dont j’évoquais en commençant la mémoire, résumait tout en deux questions : « Qui donc est Dieu ? » et encore : « Qui donc es-tu, ô Homme ? » et, évoquant son action dans la Résistance et sa ténacité en déportation, il disait : « J’ai lutté pour l’honneur de l’homme. » Il avait reçu, à la prière de Jésus, l’autre Défenseur qui lui avait permis de faire le bon choix sans le regretter même dans l’horreur des camps, et qui lui a permis ensuite, dans le service des paroisses, de porter haut et fort ces deux questions. Car l’honneur de l’homme est d’être aimé de Dieu et de pouvoir aimer Dieu en retour, en gardant ses commandements, le double commandement de Jésus, celui qu’il a vécu en sa chair et dont il nous donne l’accomplissement suprême en son Eucharistie : « Ceci est mon corps, livré pour vous », « Ceci est mon sang, versé pour vous »,                                                                                                             Amen


[1] France-Catholique, n°3679, 1er mai 2020, p. 27.


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