Homélie pour le 5ème dimanche de Pâques - L'Eglise Catholique à Reims et dans les Ardennes

Tous les articles

Publié le 11 mai 2020

Homélie pour le 5ème dimanche de Pâques

Homélie pour le 5ème dimanche de Pâques, année A, le 10 mai 2020, en la chapelle du Monastère Sainte-Claire de Cormontreuil

« Que votre cœur ne soit pas bouleversé » : puisque la liturgie nous donne d’entendre cette exhortation du Seigneur, prenons-la pour nous. Nous l’entendons souvent lors des obsèques et elle nous paraît alors correspondre aux sentiments de l’assemblée. Mais Jésus s’est adressé ainsi à ses disciples, certes avant son arrestation, mais moins parce qu’ils allaient le voir souffrir et mourir que parce qu’il leur annonçait son départ vers le Père. Or, nous avons toujours des motifs d’être bouleversés : en ce moment, l’épidémie frappe l’humanité, le confinement impose des restrictions de rencontre et de mouvement qui finissent par peser lourdement, le desserrement du confinement inquiète tout autant, et plus largement, un pays comme le nôtre se sait traversé de tensions sociales et notre Église, l’Église en France comme l’Église universelle comme notre Église particulière, se trouve plongée dans une phase de mise à nu de ses péchés ou de ceux de ses membres, de réduction de ses forces, de transformation de ses structures qui est inquiétante et déstabilisante pour beaucoup. L’Évangile de ce jour nous appelle à voir ce temps autrement : nous sommes bouleversés parce que Jésus part encore et toujours vers son Père et nous ne devrions pas l’être puisque c’est pour aller vers le Père qu’il nous laisse à nous-mêmes.

Notre cœur est bouleversé, plus peut-être que nous n’osons nous l’avouer à nous-mêmes, et nous ne devrions ou nous pourrions ne pas l’être si nous réalisions en vérité ce que veut dire pour Jésus, le Fils bien-aimé, « aller vers le Père ». Il part nous « préparer une place » dans la « maison du Père » où il y a de « nombreuses demeures » et il reviendra pour nous emmener avec lui. Son départ vers le Père est un vrai départ, mais il nous entraîne avec lui, bien plus que nous ne pouvons le sentir et même le savoir. Il part et il revient sans cesse, il part pour être encore davantage avec nous et pour nous permettre d’être beaucoup plus en lui. Nous le savons, mes Sœurs : parce qu’il est parti vers le Père, il n’est plus seulement cet homme qui passe sur les routes de Galilée, de Judée et de Samarie en faisant le bien, qui parle aux foules et qui guérit celles et ceux qui parviennent à s’approcher de lui ; il est désormais celui qui vient à chacun de nous, qui accompagne chaque course humaine, si embarrassée soit-elle, qui rejoint chaque liberté en ses méandres pour y apporter un peu ou beaucoup de sa lumière et de sa force. La place qu’il part nous préparer dans la maison du Père n’est pas un destin tout écrit, mais au contraire l’accomplissement dans l’éternité de notre aventure terrestre à chacun, de l’itinéraire que chacun de nous parcourt et que chacun de nous trace à mesure qu’il avance ou qu’il recule ou qu’il hésite et prend des chemins de traverse. Lui vient nous chercher, lui vient nous rejoindre, pour que notre chemin ne soit pas seulement un sentier hésitant dans le fond des vallées mais puisse être un haut chemin de crête face ou avec lui, le Fils qui entraîne tout son Corps vers le Père. Par lui, avec lui, en lui, les petits choix de la vie nous unissent au Père ou nous en détournent ; les événements de l’existence prennent tous la saveur de l’aventure spirituelle.

C’est pourquoi il est bon que nous entendions aussi l’exhortation de l’Apôtre Pierre : « Bien-aimés, approchez-vous de la pierre vivante rejetée par les hommes, mais choisie et précieuse devant Dieu. » là encore, il est question de chemin, il s’agit d’avancer, d’approcher, d’entrer dans « la construction de la demeure spirituelle ».  Là encore, il est question de s’unir, de se conjoindre pour édifier la maison de Dieu ou d’achopper et de trébucher, mais s’il en est question, c’est qu’il est possible toujours de se relever, d’avancer de nouveau, d’approcher un peu plus. Croire dans le Christ, vous le savez bien, mes Sœurs, au sens que prend ce verbe dans l’évangile selon saint Jean, n’est pas seulement savoir des choses sur lui. A la limite, le savoir n’est qu’une forme dégradée de ce que Jésus lui-même appelle « croire en Dieu » et « croire en moi ». Beaucoup plus que posséder un savoir et certainement pas moins que cela, « croire en Jésus » est mettre en lui sa confiance en sachant vraiment pourquoi il est digne que nous le suivions sans réserve, que nous recevions sa voix : parce qu’il est le Fils en qui le Père lui-même se donne. Il n’est pas un envoyé qui nous parlerait d’un autre seul vraiment grand et vivant et vivifiant qu’il ne ferait que nous désigner. En lui, le Père se donne tout entier parce que le Père sait que, dans le Fils, ce qu’il a à nous donner nous atteindra sans réserve, sera approché de nous sans déformation d’aucune sorte. Le dogme de l’Église nous permet de nous mettre vraiment face au Fils en qui le Père s’approche de nous et nous laisse approcher de lui, mais le dogme à lui seul ne nous procure pas ce chemin. Encore faut-il que nous nous y engagions en entrant dans les œuvres du Fils lui-même, c’est-à-dire en nous laissant purifier, dilater, approfondir, détacher de nos idées préconçues, de nos préjugés, de nos peurs, de nos angoisses, pour nous laisser conduire sur le haut chemin où nous rejoindrons non pas la place que nous sommes prêts à laisser à Dieu en nos vies mais la demeure que le Christ a préparée pour nous dans la maison de son Père, ce qui est tout autre chose.

Tant de motifs peuvent entraîner le cœur des humains à être bouleversé ! Le Nouveau Testament ne nous laisse pas d’illusion. La première communauté n’a pas tardé à être traversée de récriminations des uns contre les autres, en l’occurrence de ceux de langue grecque contre ceux de langue hébraïque. Le prétexte en est la distribution des parts aux veuves que l’Église soutient. Tout peut servir à se méfier, à se jalouser. Quelle fut la réponse des Apôtres ? Non pas l’instauration d’un juge de paix, mais l’appel à quelques hommes, sept cette fois-là, à s’engager davantage dans la suite du Christ et dans son service, sept qui acceptent que par eux désormais le Christ s’approche davantage de ses frères et de ses sœurs et à travers lui le Père. Les Apôtres ne résolvent pas le problème en encadrant davantage la communauté, mais en lui donnant plus de serviteurs et en dégageant pour eux une disponibilité plus grande pour la prière et le « service de la Parole », de manière à ce que la communauté corresponde un peu mieux à la fécondité de la Parole de Dieu. Saint Luc ne nous explique pas comment les parts ont été plus équitables. Il nous montre la communauté en croissance, croissant en nombre et croissant dans la marche de chacun sur le chemin qu’est Jésus. Le fruit en est exprimé en une formule saisissante : « Une grande foule de prêtres juifs parvenaient à l’obéissance de la foi ». Non pas l’obéissance de la loi qui eût été une multiplication de règles liturgiques ou de normes de pureté, mais l’obéissance de la foi qui est l’écoute vivante du Seigneur ressuscité qui vient vers nous, qui se rend présent au milieu de nous. Elle est le remède à la tentation des cœurs bouleversés.

 Vous le savez, mes Sœurs, et c’est bien ainsi que vous essayez de vivre ensemble. De l’extérieur, tout dans votre vie quotidienne paraît stable, bien normé, organisé pour toujours. Cela peut étonner, effrayer ou rassurer, selon les tempéraments et les expériences spirituelles. En réalité, chaque jour, vous vous laissez conduire sur le chemin qui chaque jour se découvre, parce que vous reconnaissez en ce que vous vivez, en ce que chacune de vous vit et en ce que vous vivez communautairement, un pas du Seigneur vers vous ou un pas qu’il vous appelle à faire vers lui. Ainsi, au cœur de l’Église, faites-vous des œuvres plus grandes que lui et vous nous donnez à tous l’espérance de nous tenir sur ce chemin-là malgré nos faiblesses, nos peurs et même nos fautes. Car vous tâchez de vivre chacune votre humanité la plus personnelle en communion les unes avec les autres, limitant vos activités à vos besoins essentiels et, cependant, accueillant quiconque vient frapper à votre porte, sans chercher à être dérangées de l’essentiel mais en acceptant tout dérangement comme une visite du Seigneur qui sans cesse nous appauvrit pour nous unir davantage au seul Père qui est la Plénitude. « Il y a si longtemps que je suis avec vous, et tu ne me connais pas, Philippe ! » SI longtemps ? Trois ans au mieux. Et nous, qui vivons de lui et en lui depuis notre baptême, qui nous nourrissons de lui dans sa Parole et son Eucharistie ? Si longtemps ? Mais c’est qu’il vient à nous depuis le commencement et qu’il nous laisse l’approcher beaucoup plus que nous ne le savons. Oui, osons le dire, osons le réaliser : nous le connaissons et, en lui, nous connaissons le Père, et rien, aucun événement, ne peut nous empêcher de le connaître encore davantage.

Amen


Partager

Notre site utilise des cookies pour vous offrir une expérience utilisateur de qualité et mesurer l'audience. En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies dans les conditions prévues par nos mentions légales.