Homélie pour le 5ème dimanche de Pâques, le 7 mai 2023, en l’église Sainte-Bernadette de Tinqueux - L'Eglise Catholique à Reims et dans les Ardennes

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Publié le 12 mai 2023

Homélie pour le 5ème dimanche de Pâques, le 7 mai 2023, en l’église Sainte-Bernadette de Tinqueux

Homélie pour le 5ème dimanche de Pâques, année A, le 7 mai 2023, en l’église Sainte-Bernadette de Tinqueux

« Seigneur, nous ne savons pas où tu vas », dit Thomas ; « Seigneur, montre-nous le Père et cela nous suffit », affirme Philippe. Mais où le Seigneur Jésus nous conduit-il ? Et qu’est-ce qui peut nous amener, nous les humains, à dire : « Cela me suffit » ? Si nous étions sûrs que Jésus nous conduise vers une vie prospère, sécurisée, préservée de tout ce qui peut recevoir le nom de « malheur », notre vie chrétienne et notre mission comme Église seraient faciles. Nous serions fiers de l’annoncer à tous et d’apporter la preuve de ce que nous recevrions de lui, et alors nous pourrions dire : « Cela nous suffit ». Mais, nous le savons bien, Jésus nous conduit vers tout autre chose, vers une réalité plus grande, plus belle, plus forte, plus essentielle aussi que tous les états de « bonheur », mais une réalité difficile à saisir, délicate à décrire, qui échappe à nos prises et à nos définitions, vers laquelle il nous faut nous ramener sans cesse.

Dans les réponses que Jésus apporte à ses apôtres, Thomas et Philippe, il est question de chemin et donc de progrès, de but encore à atteindre, de croissance sans doute et il est question en même temps de but déjà donné, de plénitude déjà accessible : « Pour aller où je vais, vous savez le chemin » ; «  vous connaîtrez aussi le Père », tout d’abord, mais aussitôt : « dès maintenant vous le connaissez et vous l’avez vu » et même : « Il y a si longtemps que je suis avec vous et tu ne me connais pas, Philippe ? » et encore : « Je suis dans le Père et le Père est en moi ». Celui qui se présente comme le chemin porte en lui déjà le but à atteindre, et en cela, sans doute, il est la vérité. Il est le chemin qui ne ment pas, qui ne trompe pas, puisqu’en lui, le but vers lequel tout tend, tous tendent, se donne déjà, se laisse rejoindre, s’anticipe dans le don de soi. C’est que Jésus ne vient pas pour nous mettre en possession d’un royaume de paix déjà construire, de justice à consommer, de richesses à accaparer. Il nous conduit vers un bien que l’on ne possède que si l’on reconnait l’avoir reçu et que dans la mesure où l’on est prêt à le partager, sans rien s’en réserver a priori. Il nous entraîne vers une plénitude qui n’existe que si nous renonçons à la posséder et si nous acceptons de ne l’avoir qu’en la partageant. Il nous ouvre un chemin en courant lui-même le risque de tout perdre et en s’en remettant sans reste à la puissance et à la bonté du Père, tandis que lui-même sait qu’il est qui il est par la générosité sans limite du Père. Il nous mène à un accomplissement de soi qui ne consiste pas à réaliser tous ses désirs mais à accueillir une mission donnée par Celui qui seul connaît toute l’histoire et que nous ne pouvons réaliser qu’en nous laissant détacher de nombre de nos exigences premières.

A quoi nous conduit Jésus ? A être, en lui et par lui et avec lui, des fils et des filles du Père. A l’être en vérité, malgré tout ce qui en nous a partie prenante avec la mort et le refus et la sclérose et le rejet de Dieu et des autres, et le premier pas sur ce chemin est déjà de reconnaître notre lien avec le péché. Surtout, il s’agit de découvrir que nous ne sommes pas seuls à travailler dans l’histoire, que nous ne sommes faits pour nous enfermer en nous-mêmes, mais pour nous ouvrir à une présence plus haute, plus grande, à accueillir cette présence et à en être les relais. Le chemin sur lequel Jésus nous entraîne consiste à apprendre, pas à pas ou parfois à grands pas, que plus nous est donné en chaque moment que nous ne savons le voir du premier regard et que plus est à recevoir si nous apprenons à partager. Saint Pierre essaie de dire cette réalité lui aussi en parlant de sacerdoce et de demeure spirituelle. « Approchez-vous du Seigneur Jésus » : cela répond au chemin de saint Jean ; « Il est la pierre vivante, rejetée mais choisie et précieuse », « vous aussi, comme des pierres vivantes, entrez dans la construction de la demeure spirituelle, pour devenir le sacerdoce saint et présenter des sacrifices spirituels ». La vie humaine n’est pas faite que de conditionnements et de fatalité. Nous pouvons en faire une construction, une construction de chacun de nous mais en lien avec tous les autres, – c’est le sens de l’image des pierres vivantes qui se conjoignent ensemble- et cela suppose un ajustement de chacune et de chacun avec les autres. La construction de soi ne se réalise pas par la réclamation jalouse de ses droits mais dans la capacité à s’unir aux autres et à renforcer l’union entre les uns et les autres, à condition que tous tendent plus ou moins vers un même but. Dans cet édifice qui est le vrai temple, nous pouvons offrir des sacrifices spirituels, c’est-à-dire faire de nous-mêmes une offrande, non pour satisfaire une gourmandise ou une concupiscence de quelque dieu que ce soit, mais pour la joie du Dieu vivant, qui vient en nous, en Jésus et par le don de l’Esprit-Saint, pour nous apprendre à vivre dans la Trinité, de la Trinité, trinitairement.

Alors, frères et sœurs, revenons, avec l’évangile selon saint Jean, aux disciples. Ils étaient bouleversés en entendant les paroles de Jésus. La perspective devant eux était celle de la Passion, de l’arrestation de Jésus et de sa mise à mort, de l’échec complet de leurs rêves et de leurs espoirs. Mais Jésus n’est pas venu pour nourrir nos rêves, il n’est pas venu pour nous enivrer d’espoirs trompeurs. Nous-mêmes, en ce jour, nous pouvons aussi être bouleversés. Le monde dont nous sommes ne va pas très bien, les motifs d’inquiétude sont nombreux et la vie concrète de l’Église elle-même n’est pas seulement réjouissante. Plus que jamais nous sommes conscients des médiocrités et nous le sommes aussi des dangers que peut comporter la vie ecclésiale. Nous voyons s’affaiblir nos communautés et nos structures. Mais entendons le Seigneur : « Que votre cœur ne soit pas bouleversé : vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi. » Il ne nous a pas abandonné, il travaille pour nous conduire là où il est lui, là où il trouve, lui, sa vie et sa joie, sa plénitude, il ne cesse de nous approcher du Père, bien plus et bien mieux que nous ne pouvons le voir. Beaucoup autour de nous ne comprennent pas cette perspective, ils font profession de n’en pas vouloir. Elle leur paraît déconnectée du réel. Ils réalisent ce que l’apôtre Pierre décrit en commentant le psaume : la pierre rejetée par les bâtisseurs (c’est Jésus condamné par les chefs du peuple d’Israël) est devenue pour nous la pierre d’angle, celle sur laquelle s’appuie l’édifice à la construction duquel nous acceptons de travailler et pour les autres elle est devenue « une pierre d’achoppement, un rocher sur lequel on trébuche ». Nous ne les regardons pas avec mépris, ces autres-là, nous espérons que leur chute est le prélude à leur relèvement et notre sacerdoce se trouve renforcé : nous offrons nos vies, nous travaillons nos manières d’être et d’agir et nous persévérons dans l’espérance parce que nous nous unissons au Seigneur Jésus pour que, même ceux et celles qui ont achoppé puissent se relever, puissent être intégrés à nouveau et devenir des pierres plus belles encore, mieux ajustée, mieux reprises de l’intérieur. Nous l’entendons du Seigneur lui-même : « Celui qui croit en moi fera les œuvres que je fais. Il en fera même de plus grandes, parce que je pars vers le Père ». A nous, frères et sœurs, il est donné de vivre la charité dans la vie familiale, dans la vie professionnelle, dans la vie sociale de nos sociétés complexes et même compliquées ; à nous il est demandé mais aussi donné de vivre la charité en vérité dans des sociétés de libertés multiples où nous, disciples du Christ, nous n’avons pas tant à chercher à réclamer des droits toujours plus nombreux mais à servir une construction commune, en visant la justice, la vérité, l’attention les uns aux autres, la patience mutuelle, en essayant de susciter la confiance. Ainsi faisons-nous les « œuvres plus grandes » dont parle le Seigneur Jésus, ainsi faisons-nous briller « l’admirable lumière » qu’évoque l’apôtre Pierre.

Les Actes des Apôtres nous ont rendus témoins d’un premier conflit dans la communauté juste naissante. La solution trouvée consiste à partager le ministère des Apôtres pour que ceux-ci puissent se consacrer à l’essentiel et que les services nécessaires soient rendus. Ne nous y trompons pas : ce qui a permis à l’Église primitive de vivre et de grandir n’est pas un surcroît d’organisation mais c’est un surcroît de don de soi. La communauté a pu susciter en elle sept hommes qui ont accepté de recevoir un service, non pas au nom de leurs compétences ou de leurs désirs d’action, mais au nom du service du Christ Seigneur et de son Corps. Croyons, frères et sœurs, qu’au milieu de notre monde en souffrance, notre Église, fragile et fragilisée, goûte déjà la proximité du Père, se trouve déjà là où se trouve Jésus, rencontre, dès maintenant, la plénitude du Dieu vivant et représente au cœur du monde un point de jonction entre le temps et l’éternité, l’attente angoissée des humains et la plénitude du Dieu vivant. Nous célébrons cela en chaque Eucharistie,

Amen.


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