Homélie pour le 5ème dimanche de Carême, année A, le 29 mars 2020, en la chapelle de la Maison Saint-Sixte, 14ème jour du confinement - L'Eglise Catholique à Reims et dans les Ardennes

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Publié le 30 mars 2020

Homélie pour le 5ème dimanche de Carême, année A, le 29 mars 2020, en la chapelle de la Maison Saint-Sixte, 14ème jour du confinement

« Ainsi parle le Seigneur Dieu : Je vais ouvrir vos tombeaux et je vous en ferai remonter, ô mon peuple ». Nous attendons, frères et sœurs, d’entendre cette grande parole retentir dans la nuit de Pâques, si singulière soit la manière dont nous vivrons cette Vigile. Des morts nombreux sont à craindre dans la semaine qui vient. Peut-être certains d’entre vous qui vous unissez à cette messe ce matin ont-ils été frappés en ces jours, à cause du virus ou d’une autre manière. La mort n’attend pas et elle paraît toujours l’emporter. Pourtant, ce matin, alors que la mort se prépare à multiplier ses ravages, nous réentendons cette promesse : « Je vais ouvrir vos tombeaux et je vous en ferai remonter, ô mon peuple ».  Nous l’entendons en contemplant Jésus aller vers le tombeau de Lazare, son ami. Il l’a laissé mourir, il l’a même laissé être mis au tombeau et commencer à s’y décomposer. Jésus n’est pas venu parmi nous, il n’a pas été envoyé par le Père, pour faire des miracles, pour arranger des situations. Selon l’évangéliste saint Jean, il fait des signes : des gestes pleins de significations qui annoncent et font comprendre ce qu’il vient, lui Jésus, apporter à tous et chacun des nommes qui veulent bien se laisser approcher par lui. Il vient pour apporter la vie en plénitude, la vie qui ne connaîtra pas la mort, la vie qui peut être la vie pour toujours. C’est ce travail-là que nous le voyons opérer au long du récit qui vient d’être proclamé, le travail qui consiste à préparer ses amis à recevoir la vie en plénitude ou à entrer dans la vie en plénitude. Tout se noue dans le dialogue entre Jésus et Marthe. Vous avez entendu, frères et sœurs, Jésus déclarer : « Moi, je suis la Résurrection et la vie » et ajouter : « Celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra ; quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. Crois-tu cela ? ».

L’affirmation de Jésus est stupéfiante. Il ne dit pas : « Je suis celui qui apporte la résurrection », mais bien : « Moi, je suis la Résurrection et la vie ». Il n’est pas non plus seulement quelqu’un qui va ressusciter et qui aurait le pouvoir de tirer quelques-uns de la mort. Il est lui-même, en lui-même, la Résurrection. La Résurrection n’est pas une sorte de mécanique qui voudrait qu’à la mort succède la vie, comme le printemps succède à l’hiver ; elle n’est pas une roue qui tournerait et nous entraînerait par delà la mort La Résurrection est un don. Elle est le résultat d’un combat. Elle vient de l’engagement de Jésus, envoyé par le Père, qui va jusqu’au bout de ce qu’il a à faire pour que nous, les humains, nous dont il s’est fait le frère, nous puissions devenir ses frères et ses sœurs à lui pour l’éternité. Dans l’évangile selon saint Jean, tout le récit montre que Jésus va tirer Lazare du tombeau mais en consentant, lui, à sa Passion et au tombeau. C’est parce que Lazare de Béthanie est revenu à la vie sous les yeux de nombreux habitants de Jérusalem que le grand-prêtre va décider la mort de Jésus, seule manière à ses yeux de se débarrasser de celui qui risque d’attirer l’attention des Romains. Car qui a-t-il de plus désirable que la vie plus forte que la mort, et qui peut procurer cela ? Aucune puissance politique ou économique ou culturelle. Personne ne peut faire revivre les morts en vérité, personne ne peut promettre à tous et à chacun qu’il est fait pour vivre pour toujours, sinon le seul Jésus, qui ose se présenter comme «la Résurrection et la vie ».

 Qu’est-ce que mourir alors ? En fait, nous ne le savons que trop. Certes, personne n’est venu nous raconter ce qui se passait dans la mort, mais nous savons la douleur que la mort produit, le déchirement qu’elle provoque toujours en ceux et celles qui restent. La vraie question est plutôt : qu’est-ce que la vie, qu’est-ce que vivre ? Saint Paul nous l’a fait entendre : vivre, vivre pleinement, ce serait ou c’est « plaire à Dieu ». Non pas satisfaire les caprices d’un tyran ; non pas amuser ou distraire un despote. « Plaire à Dieu », plaire au Créateur, donner de la joie à celui qui nous a créés, donner de la joie à celui qui nous a appelés à l’existence, nous tous, dans la diversité incroyable qui est la nôtre. Qui peut regarder sa vie et se dire : moi, je plais à Dieu ; moi, je fais pleinement fructifier en moi l’œuvre du Créateur. Toujours, nous pouvons le dire un peu ou beaucoup, mais jamais totalement. Etre vivant, pleinement, réellement, c’est ou ce serait déployer totalement l’image de Dieu qui est en nous et procurer à celles et ceux qui nous rencontrent l’assurance ou l’espérance que le Créateur est bon, qu’il a voulu nous tirer à l’existence par pure bonté. « Plaire à Dieu », pour parler comme saint Paul, correspond à ce que Jésus appelle selon saint Jean « glorifier le Père ».  Il l’affirme à Marthe : « Ne te l’ai-je pas dit ? Si tu crois, tu verras la gloire de Dieu. » La gloire de Dieu, la gloire du Père, que Jésus est venu procurer, c’est que nous le reconnaissions comme Père, c’est que nous, les humains, puissions être convaincus que le Créateur nous a voulus par amour, gracieusement, que nous puissions croire qu’il vaut la peine de vivre et d’être un humain parmi les autres, entouré, porté, soutenu par la multitude des autres êtres, humains ou non, et portant, soutenant, les autres êtres et s’émerveillant devant eux. Dans un monde marqué par le manque, par la peur de mourir, par l’injustice et la violence, comment glorifier Dieu ? Comment rendre gloire au Père ? Dans ce temps d’épidémie où la mort fait sentir à chacun de manière plus rapprochée son emprise, comment voir la gloire de Dieu ? Saint Paul nous répond que vivre n’est pas seulement vivre corporellement ou biologiquement et psychologiquement ; vivre, c’est être habité par « l’Esprit de celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts ». Vivre, c’est se laisser conduire intérieurement par l’Esprit de Dieu, non pas par la peur de la mort, non pas par la peur de manquer, non pas par le besoin de dominer et de posséder et même parfois de détruire, mais par l’Esprit de celui qui a tout créé pour que tout collabore à la vie de tous les autres.

Alors, Jésus vient au tombeau de son ami Lazare. Mais d’abord il a rencontré Marthe et il a rencontré Marie, les deux sœurs de Lazare. D’abord, il a reçu en lui-même le choc que provoque la mort d’un frère dans les profondeurs, dans l’âme, même de ceux ou de celles qui ont le plus foi en Dieu. Jésus ne rencontre pas la mort dans les livres, dans les théories. Il éprouve en lui-même, en sa chair, en son cœur, la douleur que la mort provoque chez ses amis : « Quand il vit que Marie pleurait, et que les Juifs venus avec elle pleuraient aussi, Jésus, en son esprit, fut saisi d’émotion, il fut bouleversé. » Il est atteint, il se laisse atteindre jusque dans les profondeurs de sa chair. Mais il le fait comme lui seul peut le faire, comme le Fils bien-aimé du Père, comme celui qui peut dire : « Père, je te rends grâce parce que tu m’as exaucé. Je le savais bien, moi, que tu m’exauces toujours ». Jésus tire Lazare, son ami, du tombeau, par toute la puissance de son être, et la puissance de son être à lui, c’est d’être le Fils bien-aimé qui se reçoit tout entier du Père et qui ne doute pas, pour parler humainement, de la bonté totale, sans réserve, du Père. Alors, frères et sœurs, nous espérons tous que la mort soit vaincue. Mais non pas pour vivre indéfiniment, dans une vie prolongée sans limite, mais pour vivre en vérité, pleinement, réellement, pour être des vivants qui portent la vie, qui contribuent à la gloire du Père, qui plaisent à Dieu en donnant à tous le goût et la joie de vivre et de vivre bien. Vivre, être vivant, n’est pas satisfaire tous ses besoins et assouvir ses désirs, mais aimer en recevant le don des autres et en se donnant. C’est pourquoi nous mettons notre foi en Jésus : parce que sa voix à lui a la puissance de nous tirer de nos égoïsmes, de nous arracher à nos enfermements, à nos peurs et surtout parce que, grâce à lui, tout pas, même petit, que nous faisons en ce sens, peut suffire pour qu’il vienne, lui, nous chercher et nous faire avancer jusqu’au bout. Lui peut nous dire : « Lazare, sors », et dire encore : « Déliez-le, et laissez-le aller ». Nos catéchumènes l’ont bien compris, ce temps d’épidémie nous le comprendre en un sens davantage encore : le Christ Jésus est vainqueur de la mort, non parce qu’il la supprime mais parce qu’il met en nous son Esprit de pardon, de paix, de douceur, d’ouverture les uns aux autres, et qu’il nous entraîne à sa suite, à grands pas ou à petits pas, parce qu’il nous fait passer, lui, de la peur de la mort et du tombeau, à l’espérance que notre vie terrestre, même marquée par le manque et l’insuffisance, nous ouvre, à sa voix puissante, à la vie pour toujours,

                                                                                                                     Amen.
Mgr Éric de Moulins-Beaufort


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