Homélie pour le 5ème dimanche de Carême - L'Eglise Catholique à Reims et dans les Ardennes

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Publié le 5 avril 2022

Homélie pour le 5ème dimanche de Carême

Homélie pour le 5ème dimanche du Carême, année C, le dimanche 3 avril 2022, en l’église Saint-Timothée de Vandeuil (Marne), pour l’inauguration des nouveaux vitraux

              

Qui entend cet évangile ne peut s’empêcher de se demander : « Où est passé l’homme, l’adultère masculin ? ». Bonne question en effet, parce qu’il est caractéristique des groupes humains, face à un mal qui les atteint, de chercher un coupable mais aussi de s’efforcer d’en limiter le nombre. Un coupable ou un groupe coupable, souvent, suffit. L’esprit humain n’aime pas toujours les causes complexes. Face au grand mal de l’adultère qui menace l’ordre social d’une société homogène où tous sont connus et se connaissent, désigner le coupable à la femme et chercher à en débarrasser le groupe est une manière de maîtriser le mal, une manière ou une apparence de manière de le maîtriser. Mais Jésus, nous le savons bien et nous l’avons entendu une fois encore, pulvérise par sa réponse cette logique d’autoprotection des groupes : « Celui d’entre vous qui est sans péché, qu’il soit le premier à lui jeter une pierre. » Jésus ne met pas en cause l’ordre social à préserver mais il le bouleverse en invitant chacun des participants à s’interroger sur sa légitimité à défendre l’ordre et la cohésion sociale, à prétendre désigner le pécheur dont il faudrait débarrasser le groupe.

Trop souvent, frères et sœurs, l’Église, notre Église catholique, est perçue par celles et ceux qui l’observent de l’extérieur mais parfois aussi par ses membres les meilleurs eux-mêmes comme une force de garantie de l’ordre social et de l’ordre moral. Ce n’est pourtant pas le cœur, la vérité la plus profonde, de notre appartenance à l’Église. Au contraire, ce qui nous unit dans l’Église de Jésus, ce qui nous en fait membres et nous permet d’en être toujours mieux les membres, c’est la conscience d’être des pécheurs pardonnés. Saint Paul l’a exprimé avec force dans sa lettre aux chrétiens de Philippe : « Tous les avantages que j’avais autrefois, je les considère comme une perte à cause de ce bien qui dépasse tout : la connaissance du Christ Jésus, mon Seigneur ». Un être humain peut se définir par son appartenance ethnique ou nationale ou sociale ou culturelle ou religieuses, et le Juif Saül était fier de ce qu’il était à tous ces points de vue, mais tout cela, il le considère comme une « perte » ou comme « des ordures », au bénéfice de la seule identité qui vaille désormais à ses yeux : être un pécheur pardonné qui ne peut s’enorgueillir de lui-même, de ce qu’il fait, mais qui se confie à la « justice qui venant de Dieu, qui est fondée sur la foi » « en la puissance de la résurrection » du Christ et « la communion à ses souffrances. » C’est l’identification qui nous rapproche le plus de tous les autres êtres humains, qui peut nous faire frère ou sœur de tous, qui nous tient chacun debout et qui nous tient ensemble sans jamais exclure personne. Le plus important de mon être est d’être un pécheur pardonné, appelé par Dieu à vivre encore et toujours. Telle est la vérité de l’Église : non pas être un groupe de « gens biens », de « gens convenables » qui regarderaient les autres avec mépris, mais être la communion de celles et de ceux qui osent se reconnaître pauvres pécheurs sans s’enfermer dans leur péché mais en accueillant le pardon et la force de Dieu. Nous exprimons cela, frères et sœurs, au début de chaque Messe dans la liturgie pénitentielle qui l’ouvre.

Pour parler dans les termes du prophète Isaïe, telle est la « chose nouvelle » que Dieu fait. Oui, il fait « passer un chemin dans le désert, des fleuves dans les lieux arides » : dans nos cœurs sclérosés par la peur de manquer, la colère, le besoin de prendre et parfois de détruire, il fait passer la douce force de l’amour, le désir de se donner pour que les autres vivent, l’espérance que nous pouvons nous aussi, un peu ou beaucoup, faire passer sa bonté en ce monde. Les humains ne sont pas condamnés à s’unir par l’orgueilleuse affirmation d’eux-mêmes, ils ne sont pas obligés de renoncer à être meilleurs, à se faire du bien les uns aux autres. Malgré le péché qui habite le fond de leur liberté, ils peuvent devenir des porteurs du don de Dieu les uns pour les autres.

Pécheurs pardonnés, qu’est-ce à dire : « Va, et désormais ne pèche plus. » Du temps m’est donné pour me convertir. Jésus ne renvoie pas la femme à son péché. Il lui ouvre le temps nécessaire pour choisir de vivre autrement. Lui seul peut dire cela sans que ce soit une complicité avec le mal, une manière pour des pécheurs de s’absoudre mutuellement et de se complaire dans leur commune complicité. « Va, et désormais, ne pèche plus. » Je reçois cette parole pour moi aussi. Je ne suis peut-être pas adultère, et tant mieux, mais je ne peux me considérer étranger à ce mal-là ; je ne suis peut-être pas voleur ni assassin, et tant mieux, mais je ne peux me considérer indemne de désir de mort ou de captation… Toujours, je repère dans mon âme, dans mon intelligence, ma volonté, ma mémoire, dans ma liberté profonde, des complicités avec les forces de la mort, qui peuvent être plus ou moins visibles, plus ou moins perceptibles mais qui agissent en moi et me lient à la capacité de refus, d’esquive, de perversion du bien, qui habite l’humanité. Je peux regarder cela en moi avec lucidité, avec liberté, précisément parce que je suis sous le regard de Jésus, de celui qui écrit dans le cœur : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » et non moins : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu » et qui me donne de ne pas désespérer de moi-même. « Va, et désormais ne pèche plus » : le temps, long ou bref de ma vie, m’est donné pour relancer ma marche ou ma course, pour que j’apprenne à devenir le relais de la bonté de Dieu, du don sans réserve qu’il nous fait et qu’il nous invite à faire de nous-mêmes.

Au milieu d’un village, l’église devrait rappeler cela : non pas que la communauté du village serait une communauté de parfaits qui auraient à tenir à l’écart les déviants, mais que le village, humanité en réduction, est composé de pécheurs à qui le pardon de Dieu est ouvert et dont il vaut la peine qu’ils reprennent inlassablement le chemin de leur vie. Les vitraux dont nous célébrons aujourd’hui la pose évoquent les sept jours de la création, ou plutôt les six jours de la création et le septième, celui du repos de Dieu, qui annonce la transfiguration de toutes choses à la Jérusalem céleste : l’immense don de la création n’est pas fait pour fournir aux humains des ressources à exploiter mais pour offrir à tous et à chacun de quoi nourrir des relations de justice et d’amour, de vérité et de don de soi, de promesses et de fructification. Marchons ensemble vers la Pâque de Jésus et l’espérance qu’elle nous ouvre,

                                                                                       Amen.


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