Homélie pour le 4ème dimanche de Pâques - dimanche du Bon Pasteur - L'Eglise Catholique à Reims et dans les Ardennes

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Publié le 4 mai 2020

Homélie pour le 4ème dimanche de Pâques – dimanche du Bon Pasteur

Voici l’homélie prononcée par Mgr Eric de Moulins-Beaufort, ce dimanche 3 mai, dimanche dit du « Bon Pasteur » en la chapelle de la Maison diocésaine Saint Sixte.

La liturgie de la Parole de ce dimanche est particulièrement cohérente. Elle vise un point essentiel qu’il est déterminant que nous le comprenions vraiment, nous disciples du Christ, et que nous tâchions d’en vivre.

Saint Pierre, dans sa première lettre, l’exprime en une formule synthétique : « Vous êtes retournés vers votre berger, le gardien de vos âmes ». Il ne parle pas de lui, le premier des Apôtres, il parle de Jésus. Jésus seul est le berger, le gardien de nos âmes, c’est-à-dire celui qui seul peut accéder au plus intime de chacun de nous, à notre liberté la plus intérieure. Lui seul, le Fils bien-aimé à l’image et la ressemblance de qui nous avons été créés, s’est abaissé jusqu’au plus extrême de l’abandon pour pouvoir rejoindre chacune et chacun de nous sans nous faire aucun mal et ouvrir à chacun le chemin du retour vers le Père, si faible, si fragile, soit notre repentir, du moment qu’il existe au moins un peu.

Saint Pierre reprend ici ce que Jésus dit de lui-même dans le chapitre 10 de l’évangile selon saint Jean dont nous venons d’entendre proclamer le commencement. Le Seigneur s’y présente comme le bon berger qui donne sa vie pour ses brebis. Mais il s’y présente surtout, c’est ce qui nous a été donné à entendre ce matin, comme « la porte » : « la porte des brebis » d’abord ; « la porte » tout court ensuite. Lui, Jésus, et lui seul, nous donne un accès à nous-mêmes qui nous permet d’entrer et de sortir et de trouver un pâturage. Comprenons-le bien : ni le pouvoir politique ni le pouvoir économique ni le pouvoir culturel, ni même, il faut l’entendre, le pouvoir religieux, ne peuvent prétendre accéder ainsi à l’intime de chacun. Seul le peut celui qui est mort pour nos péchés et ressuscité pour notre vie et qui a reçu du Père le pouvoir de donner son Esprit-Saint à chacun de ceux ou de celles qui viennent à lui.

Tel est le fondement de la liberté chrétienne, qui est la liberté humaine vraiment digne d’elle-même. Nous n’aurons jamais fini, frères et sœurs, de nous situer justement dans cette liberté-là, en nous dégageant de tout ce qui nous en tient écarté : le poids des habitudes, la résignation à nos médiocrités qui nous transformons parfois en grandeurs, la peur de manquer et de perdre, le goût de la possession et parfois même de la destruction ou, sous des formes plus bénignes qui peuvent être aussi plus légitimes, l’inquiétude du lendemain, la crainte de ne pas être comme les autres, le souci de notre image, tout ce qui fait que nous en remettons à d’autres, des personnes ou des forces, parce qu’elles nous promettent une vie plus facile. Jésus vient pour que nous puissions assumer notre condition humaine dans toutes ses dimensions, non sous l’horizon de la mort mais sous celui de « la vie et de la vie en abondance », non sous l’attraction et la contrainte du politique, la nécessité et la satiété de l’économique, le charme et l’excitation du culturel, mais tout cela et bien autrement dans le mouvement intérieur de la charité.

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Par lui, en lui, avec lui, nous pouvons vivre à l’intérieur de nous-mêmes et dilater nos espaces intérieurs sans rester fascinés par nous-mêmes comme aller à l’extérieur accomplir nos tâches diverses et rencontrer les autres sans risque de nous disperser de tous côtés ; nous pouvons servir dans l’Église, dans la communauté des croyants, et non moins agir et interagir avec tous les autres ; nous pouvons lire et méditer les Écritures saintes et y trouver des pâturages d’herbe fraîche et non pas seulement des récits anciens et incompréhensibles mais non moins regarder ce qui nous arrive et ce qui nous habite et y entendre la voix de Dieu qui nous parle et nous donne aujourd’hui sa Parole comme une nourriture et une boisson qui nous donnent des forces neuves. La vie chrétienne n’est qu’un conformisme religieux parmi d’autres lorsqu’elle n’est pas l’écoute du seul Seigneur, du seul dont les brebis, les vraies brebis, ce qu’il y a en chacun de nous de brebis du Seigneur, reconnaissent la voix différente de toute autre.

Un des défis de notre époque est que nous entendons des voix qui viennent de toutes parts et ces voix, fatalement, trouvent un écho dans notre intérieur. Par quelle voix ou par quelles voix est-ce que je me laisse séduire ? Suis-je toujours une de ces brebis dont le Seigneur Jésus parle, qui jamais ne suivront un étranger et qui n’écoutent pas les voleurs et les bandits. Dans le brouhaha du monde, qu’est-ce que j’entends, qu’est-ce que j’écoute ? En ce temps de confinement, il y a dans notre monde un peu moins de bruit qu’en temps habituel, sans doute, mais je peux aussi bien me laisser capter par tout ce qui circule à la radio, à la télévision, dans les journaux, dans la publicité, dans les conversations entre amis, dans ce que j’entends ou observe autour de moi. Quels moyens est-ce que je prends pour entendre la voix du Seigneur et pour l’entendre en cette profondeur de moi-même qui reconnaît cette voix et sait pouvoir y répondre sans crainte, qui sait qu’il vaut la peine de faire confiance à ce que cette voix-là dit, quelquefois dans le tonnerre et plus souvent dans un léger murmure ?

Jésus emploie l’image de la brebis, et l’apôtre Pierre la reprend, mais cette image ne doit pas nous leurrer. Les brebis de Jésus sont des brebis intelligentes, des brebis qui ont du discernement, qui ne se laissent pas séduire par n’importe quelle promesse de bonheur et de vie excitante, mais qui savent suivre le berger qui a passé par la souffrance et par la mort pour entrer dans la vie en abondance et la partager aux autres. Mais ce que l’image de la brebis apporte et à quoi il nous faut consentir, c’est qu’il n’y a pas qu’une seule brebis : il y en a une bergerie complète et même un troupeau fait de brebis venant de bergeries différentes.

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A partir de là, nous pouvons mieux comprendre pourquoi la célébration eucharistique avec assemblée nous manque. Parce que nous avons, vous avez besoin, de communier sacramentellement, frères et sœurs. Dans ce sacrement de l’Eucharistie que nous pouvons recevoir en nourriture, le berger vient à nous, se donne à nous, apporte à nos âmes la parole secrète, indicible, celle dont nous avons besoin, chacun, et qui dépasse toutes les autres. Le Seigneur Jésus ne vient pas à nous avec une parole générale qui vaut pour tous les autres, mais avec une parole unique pour chacun, comme un père qui parle à son enfant, comme une mère qui serre son enfant dans ses bras avec des mots de tendresse, comme l’époux qui parle à son épouse, comme le Seigneur de nos âmes qui apporte à chacune d’elle ce qui lui est unique. Mais cette parole secrète nous ne pouvons la recevoir que lorsqu’elle est donnée aux autres aussi. L’image de la bergerie et du troupeau dit cela aussi. Nous ne pouvons entrer et sortir par l’unique porte et trouver un pâturage que parce que d’autres le font aussi et pour que d’autres, plus nombreux encore, puissent le faire. Le bon berger ne vient pas pour une brebis exclusive, mais exclusivement pour chacune d’elles et pour toutes.

C’est pourquoi il y a, dans l’Église du Christ, des ministres ordonnés, mis à part, chargés de porter la Parole de Dieu et de célébrer les sacrements. Évêques prêtres et diacres, nous ne sommes pas là pour compenser l’absence de Jésus. Nous sommes là pour manifester, au contraire, sa présence. Nous sommes là aussi pour que tous se rassemblent si divers soient-ils. Le Seigneur vient à nous, sans cesse ; il nous rejoint sur nos routes terrestres pour qu’elles deviennent des chemins vers le Père et vers le plus intime de nous-mêmes et aussi des chemins les uns vers les autres. Les ministres ordonnés, ceux qu’il envoie comme pasteurs, vont vers les brebis en son nom, en passant par l’unique porte qu’il est, pour que ces brebis soient vraiment en lui et puissent aller et venir, trouver « la vie, la vie en abondance » en se soutenant les unes les autres. Un seul est le bon pasteur qui donne sa vie pour ses brebis et ce bon pasteur-là en suscite d’autres qui ne peuvent agir qu’en passant par lui, que par les seuls moyens que lui, Jésus, leur donne, sous peine d’être des « voleurs et des bandits ». Tout le drame des abus dévoilés ces dernières années est là : des pasteurs au nom du Christ sont allés vers les brebis non pour que celles-ci aient la vie mais pour y trouver, eux, de quoi nourrir la leur ; ils sont allés vers les brebis par la séduction, pour satisfaire leur volonté de puissance, pour vérifier leur existence, et non en passant par l’unique porte et les moyens humbles qu’elle leur donne, ceux des sacrements et de la Parole de Dieu.

Frères et sœurs, « que devons-nous faire ? ». Encore et toujours, nous convertir et vivre la vérité de notre baptême. Nous convertir, c’est-à-dire chercher à vivre vraiment de la liberté que donne le Christ, la liberté de choisir ce qui donne à tous la vie en abondance, et demander au Seigneur, encore et toujours les pasteurs dont nous avons besoin pour vivre toujours mieux de la plénitude qu’il apporte. Et nous, pasteurs, être toujours davantage des brebis du Seigneur et ne chercher notre gloire en rien d’autre que cela : écouter sa voix à lui,

                                                                                                 Amen

L’homélie, au cours de la messe, est à voir en vidéo ici (à partir de la 20ème minute).


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