Homélie pour le 4ème dimanche de Carême le samedi 18 mars 2023 en l’église Saint-Edmond de Charleville-Mézières et le dimanche 19 mars 2023 en la chapelle du Monastère Sainte-Claire de Cormontreuil - L'Eglise Catholique à Reims et dans les Ardennes

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Publié le 21 mars 2023

Homélie pour le 4ème dimanche de Carême le samedi 18 mars 2023 en l’église Saint-Edmond de Charleville-Mézières et le dimanche 19 mars 2023 en la chapelle du Monastère Sainte-Claire de Cormontreuil

Homélie pour le 4ème dimanche de Carême, année A, le samedi 18 mars 2023 en l’église Saint-Edmond de Charleville-Mézières et le dimanche 19 mars 2023 en la chapelle du Monastère Sainte-Claire de Cormontreuil

Deux fils se mêlent dans le récit de la guérison de l’aveugle de naissance par Jésus que l’évangile selon saint Jean nous rapporte : le fil de cet aveugle qui ne l’est plus et ce qu’il vit à partir de là, fil qui aboutit dans un acte de foi : « ‘’Je crois, Seigneur !’’ Et il se prosterna devant lui » et le fil des Pharisiens qui interviennent à un moment donné, discutent avec l’aveugle guéri, fil qui débouche sur une parole énigmatique de Jésus à quelques-uns des Pharisiens, « ceux qui étaient avec lui » : « Si vous étiez aveugles, vous n’auriez pas de péché ; mais du moment que vous dites : ‘’ Nous voyons’ !’’, votre péché demeure. »

Le premier fil nous fait rencontrer une personnalité formidable. Cet homme était aveugle de naissance, il ne pouvait rien faire d’autre que mendier. Il se laisse faire par Jésus qui lui met de la boue sur les yeux. Le moins que l’on puisse dire est qu’il se montre docile. Mais, une fois guéri, il se montre surtout libre. Ni les interrogations des Pharisiens ni les hésitations de ces parents, pas même la menace d’être exclu de la communauté, ne l’empêchent de dire ce qu’il ne peut nier : il était aveugle, il est guéri et celui qui a fait cela est Jésus de Nazareth. Il n’attribue d’ailleurs pas cette guérison à des compétences spéciales de Jésus, il l’attribue à Dieu. Il ose croire que le Dieu vivant, le Dieu d’Israël, le Dieu créateur de toutes choses, est venu à lui, pauvre aveugle mendiant, pour achever son œuvre de création et le mettre en état de vivre pleinement, dès ici-bas. C’est bien ce que Jésus indique lorsqu’il fabrique de la boue en crachant sur le sol et qu’il applique cette boue sur les yeux fermés de l’aveugle : en ce jour de sabbat, il reprend l’œuvre de la création, il la répare, il la restaure. Dieu ne se résigne pas à la présence du mal dans sa création, il œuvre pour porter sa création au terme qu’il a voulu.

Nous comprenons qu’en cet homme aveugle guéri, nous nous voyons nous-mêmes. Nous pourrions être aveugles ou du moins aveuglés. Il est facile de voir cet univers où nous vivons marqué par le manque, le mal, l’injustice, la souffrance, l’ombre de la mort. Il faut un regard neuf, un regard renouvelé, un regard guéri pour y reconnaître l’œuvre de Dieu qui agit en ce monde tel qu’il est pour y susciter le don de soi, le décentrement de soi, l’ouverture à autrui, le choix de servir la vie d’autrui plus que de se servir soi-même. A nous et à d’autres, un tel regard a été donné. Nous en avons l’assurance par le baptême que nous avons reçu. Nous avons reçu la capacité de voir l’œuvre de Dieu s’accomplir en ce monde-ci, préparant le monde définitif où tous auront part. Nous savons bien que Dieu ne guérit pas un à un chaque aveugle de naissance ici-bas ; nous ne pouvons que constater que l’humanité comprend des personnes avec des handicaps physiques ou psychiques ou bien avec des difficultés sociales. Et cependant à tous ceux et toutes celles qui le veulent bien, malades, handicapés ou bien-portants, pauvres ou riches, Jésus peut ouvrir les yeux pour qu’ils voient néanmoins l’œuvre de Dieu qui suscite la charité et l’espérance et qui nous appelle à voir dans le crucifié de Jérusalem le Ressuscité qui vainc la mort et qui perce vers la vie en plénitude en y entraînant celles et ceux qui s’accrochent à lui.

Un détail dans le récit peut retenir notre attention : il nous est dit qu’avant même d’interroger les parents de l’homme guéri, « les Juifs », selon le mot de l’évangile selon saint Jean, c’est-à-dire ceux qui se considèrent comme les chefs du peuple d’Israël, « s’étaient mis d’accord pour exclure de leurs assemblées tous ceux qui déclareraient publiquement que Jésus est le Christ ». Or, à la fin du récit, lorsque Jésus rencontre à nouveau l’homme qu’il a guéri, il ne se présente pas comme le Christ, le Messie, mais comme le Fils de l’homme : « ‘’Crois-tu au Fils de l’homme ?’’ Il répondit : ‘’Et qui est-il, Seigneur, pour que je croie en lui ?’’ » et, au tout début, il a envoyé l’homme se laver les yeux à la piscine de Siloé dont l’évangile précise que « le nom se traduit : ‘’Envoyé.’’ » Le Christ, en grec, le Messie en hébreu, désigne le personnage plein de l’Esprit de Dieu dont le peuple d’Israël attendait qu’il se mette à sa tête, le libère des Romains et le conduise vers la liberté, la prospérité et la justice devant Dieu et devant les humains. Jésus ne reprend pas ce terme politique. Il se présente comme le « Fils de l’homme », celui qui vient au dernier jour pour tout rassembler et tout faire entrer dans la plénitude de Dieu, et il rappelle toujours qu’il est avant tout « l’Envoyé du Père ». Il ne veut rien être d’autre. Il est Celui qui vient de la part du Père tirer l’œuvre de la création à son terme : non pas susciter des royaumes prospères, moins encore mettre son peuple à la tête de tous les autres, mais faire passer dans l’humanité, dans les cœurs humains et les libertés humaines la force de la charité de Dieu qu’il vivra lui, jusqu’au bout, dans le don de lui-même. La boue faite avec son crachat et l’eau de la piscine de Siloé indiquent déjà le corps livré, le sang versé, l’eau et le sang jaillissant du côté ouvert, le don total qu’il fait de lui-même et qu’il remet entre les mains de ses disciples dans son Eucharistie.

Il y a l’autre fil, celui des Pharisiens. Ils prétendent voir, ils prétendent savoir, mais ils ne comprennent rien. Ils s’empêchent de comprendre ce qui se passe. Ils veulent que le sabbat soit respecté, du moins une part d’entre eux, puisqu’il nous est dit qu’« ils étaient divisés ». Un partage se fait donc entre eux. Entre ceux pour qui toute action de Dieu doit entrer dans le strict cadre de la vie juive telle qu’ils la balisent et ceux qui consentent à l’idée que Dieu, peut-être, pourrait agir plus encore qu’il est prévu. J’ai dit, il y a un instant, que nous nous reconnaissions dans l’homme guéri avec sa belle liberté qui aboutit à l’acte de foi, qui reconnaît que l’œuvre de Dieu l’a rejoint et l’a transformé. Il arrive aussi que nous-mêmes qui avons foi en Jésus nous nous comportions comme les Pharisiens. Nous voyons tellement la force de l’égoïsme, de la jalousie, nous avons tellement de raisons d’avoir peur de manquer, que nous nous rétractons sur ce qu’il faut faire et que nous ne savons plus nous émerveiller de ce que Dieu suscite de bonté, de renoncement à soi, de partage, d’actes bons en ce monde. Nous sommes obnubilés par ce qui ne va pas, ce qui nous déçoit, ce qui nous fait peur, et nous nous rendons incapables de voir la charité qui se fait malgré tout, l’amour qui se donne malgré tout, l’espérance qui entraîne malgré tout. Alors nous classons et nous condamnons, nous voyons ce qui ne va pas et non plus ce que quelqu’un donne de lui-même. Les catéchumènes, avec leur découverte toute neuve de Jésus, nous sont donnés pour nous rafraîchir, pour nous rajeunir, pour laver notre regard à nouveau. En eux nous redécouvrons chaque année que Dieu n’est pas venu en Jésus jusque dans notre condition humaine pour écarter de nous en ce monde toute épreuve, toute maladie, tout handicap, toute injustice, mais pour nous prendre avec lui dans son œuvre qui consiste à transformer la liberté malade des humains par la douce force de sa lumière.

Écoutons Jésus nous appeler : « IL nous faut travailler aux œuvres de Celui qui m’a envoyé, tant qu’il fait jour » et il ajoute : « Aussi longtemps que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde. » Saint Paul commente en quelque façon : « La lumière a pour fruit tout ce qui est bonté, justice et vérité » et il nous exhorte : « Sachez reconnaître ce qui est capable de plaire au Seigneur. Ne prenez aucune part aux activités des ténèbres. » Dans un monde qui reste marqué par le manque et la mort, et par conséquent par l’envie et la concupiscence, par le besoin de prendre et de posséder et même de détruire, il nous est donné, parce que nous sommes lumière, ose dire l’Apôtre, de vivre en visant la « bonté, la justice et la vérité ». Non pas en nous soumettant au mal, en lui refusant de plus en plus, de mieux en mieux, toute part en nous. Sûrement pas en nous accommodant du mal, petit ou grand, que nous pourrions faire, mais en choisissant, dans la lumière, les yeux ouverts, de faire le bien que Dieu met à notre portée et qu’il nous appelle à servir, en ayant confiance que, inlassablement, la lumière du Christ travaille en nous, nous donne de mieux voir nos complicités avec le mal et la mort et nous offre aussi la force du Christ, son corps livré, son sang versé, son Esprit répandu, pour que nous puissions nous « relever d’entre les morts  et être illuminés par lui »,

                                                                                                                               Amen.


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