Homélie pour le 3ème dimanche du Temps ordinaire, le 22 janvier 2023, fête de saint Vincent, en l’église Saint-Théodulphe de Trigny - L'Eglise Catholique à Reims et dans les Ardennes

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Publié le 24 janvier 2023

Homélie pour le 3ème dimanche du Temps ordinaire, le 22 janvier 2023, fête de saint Vincent, en l’église Saint-Théodulphe de Trigny

Homélie pour le 3ème dimanche du Temps ordinaire, année A, le 22 janvier 2023, fête de saint Vincent, patron des vignerons, en l’église Saint-Théodulphe de Trigny

Alors qu’après l’Avent et le temps de Noël, l’année liturgique a fait démarrer pour nous le temps dit « ordinaire », la liturgie de la Parole nous fait entendre les débuts de la vie publique de Jésus, après son baptême par Jean et après l’arrestation de celui-ci, nous l’avons entendu, cette année dans le récit de saint Matthieu. Celui-ci prend le temps de nous décrire avec quelques précisions les pérégrinations de Jésus : venu de Judée où il a reçu le baptême et est resté dans l’orbite du Baptiste, il remonte vers le Nord, la Galilée (ceux et celles qui ont eu la chance d’aller en Israël connaissent tout cela), mais non pas dans le village de sa jeunesse. Il se décale un peu, à Capharnaüm, un gros bourg au bord du lac de Tibériade avec une population plus mêlée socialement, culturellement, religieusement, que le très petit Nazareth, une population active du fait du lac, de la pêche et du commerce qu’il permet. A la fin de la péricope, saint Matthieu nous montre Jésus, que l’on suppose désormais accompagné au moins des quatre qu’il vient d’appeler, parcourant toute la Galilée. Avons-nous là, frères et sœurs, quelque lumière pour nous-mêmes en ce dimanche, et spécialement en cette fête de saint Vincent qui nous rassemble en ce jour ? Peut-être que oui, malgré les apparences. Que fait Jésus en effet ? il quitte un petit village que nous pouvons nous imaginer assez homogène, constitué de quelques familles qui se connaissent bien, ferventes sans doute dans leur judaïsme, pour aller s’installer dans une terre de circulation et de passage, celle que le prophète qualifiait de « Galilée des nations ». Il va se mêler à la vie des humains, à la vie active, créative, mouvante, des humains. AU contraire de Jean le Baptiste qui s’était retiré au désert, lui se retire dans le chef-lieu du canton, où il ne cesse d’aller à la rencontre des gens, là où ils travaillent, habitent, échangent, entreprennent. Mais il ne se mêle pas à la vie ordinaire des gens pour y demeurer ; il le fait pour proclamer : « Convertissez-vous, car le Royaume des Cieux est tout proche. »

Comment comprenons-nous cette proximité ? Comme une menace : changez de vie, parce que tout proche est la condamnation ? Nous pourrions penser cela à cause de la prophétie : « Sur ceux qui habitaient le pays et l’ombre de la mort, une lumière s’est levée. » Mais Jésus institue un autre climat lorsqu’il appelle Simon et André en leur disant : « Je vous ferai pêcheurs d’hommes ». Il voit une continuité entre leur métier antérieur et l’activité pour laquelle il veut se les associer de près. Il ne présente pas la pêche comme une activité humiliante ou indigne de l’être humain, seulement il a encore mieux à proposer, mais dans la même ligne. A ces hommes et ces femmes qui vivent comme ils peuvent à Capharnaüm et dans la Galilée des nations d’alors, Jésus ne dit que ce qu’ils vivent est mauvais ; au contraire : « Le Royaume des cieux est tout proche ». Un pas est à franchir donc : « Convertissez-vous », mais non pas parce que vous êtes loin du compte, au contraire peut-être parce que vous y êtes presque : « Le Royaume des cieux est tout proche. »

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Entendons cela pour nous, frères et sœurs, et surtout vous qui, de près ou de loin, appartenez au monde de la vigne. Nous vivons, admettons-le, du mieux que nous pouvons. Vous vivez du mieux que vous pouvez. Vous aimez votre métier, vous voulez servir au bien de cette région, vous essayez d’améliorer sans cesse les procédés et les méthodes de la culture de la vigne pour mieux respecter la nature, pour limiter au maximum toute forme de pollution, pour promouvoir bien plutôt une forme de culture qui s’inspire des principes de la vie végétale et de l’effet bénéfique que différentes cultures peuvent avoir les unes à l’égard des autres. Vous tâchez de progresser dans des relations sociales toujours plus justes, plus équilibrées. Tout cela fait votre fierté et votre joie. Ce labeur a été récompensé cette année par des récoltes et des résultats commerciaux inespérés. Et voilà que Jésus vient, et que je viens, avec les prêtres et les diacres qui vous sont envoyés, pour vous dire, de la part de Jésus : « Convertissez-vous, car le Royaume des Cieux est tout proche. » Changez quelque chose dans votre vie, car cela vaut la peine, vous y êtes presque, vous avez mieux encore à vivre. Ni vous ne vivez dans la honte comme Nehptali ou Zabulon, ni vous ne marchez dans les ténèbres, et pourtant une lumière plus grande encore, plus lumineuse encore, plus réjouissante encore, se lève sur vous. Vous pouvez vivre mieux encore, donner mieux encore, connaître une intensité de vie encore ignorée de vous. Jésus ne vient pas nous tirer d’une catastrophe pour nous permettre de survivre. Il vient aussi nous conduire d’un bien confortable, agréable, légitime, mérité, vers un « encore mieux » qui vaut la peine d’être cherché.

Pourquoi Jésus s’adresse-t-il, pour trouver ses premiers disciples ou ses premiers compagnons, à des pêcheurs de poissons ? Il y a là une énigme remise à notre sagacité. Qu’est-ce qui caractérise le métier de pêcheur qui fait que Jésus ose ce jeu de mot : « Je vous ferai pêcheurs d’hommes ». Il est intéressant de noter que Jésus arrache ces hommes à leur métier mais même à leur vie de famille, à leurs responsabilités sociales, mais qu’il le fait en soulignant une continuité entre leur vie antérieure et celle dans laquelle il les entraîne. Il s’agit de changer de niveau, de changer d’ordre, non de renier ce qu’ils ont fait et vécu jusque-là et qui les a façonnés. Vous, vignerons, avez la chance de travailler dans un domaine où Jésus s’est abondamment promené en paroles, en paraboles. Vous faites un métier biblique et évangélique. Chaque fois que vous taillez votre vigne ou que vous l’émondez, vous réalisez quelque chose que Jésus s’applique à lui-même, à ce que fait le Père et à ce qu’il est, lui. A quel changement d’ordre pourriez-vous être appelés, pour ne pas être seulement des vignerons de vignes mais des « vignerons d’hommes » ? Vous visez dans votre travail une certaine excellence, vous servez une plante qui a son caractère propre et dont vous ne maîtrisez pas tout des maladies ou des poussées de vie qu’elle peut connaître, mais vous apprenez à la connaître le mieux possible, à repérer ses lieux de faiblesses ; vous avez des moyens de lutter contre ce qui peut lui faire du mal, et vous avez appris ces dernières années à ne pas employer ou à ne pas trop employer des produits qui soulagent sans doute un risque ou une menace mais qui déséquilibrent l’harmonie de la nature. Comment cette sagesse, comment cette précision, comme cette lucidité se transposent-elles dans le service des hommes et déjà de l’humain que vous êtes, chacune et chacun, pour que vous puissiez être la « vigne de Dieu », la vigne qui fait la fierté et la joie de Dieu ?

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Notons une caractéristique de l’appel de Jésus. Au commencement de son activité de prédicateur, il appelle, nous raconte saint Matthieu, deux paires de frères : Simon et André, Jacques et Jean. Or, l’histoire biblique est pleine de récits concernant deux frères ou deux groupes de frères, avec toujours une même question : comment pourront-ils hériter de la promesse de Dieu sans se jalouser, se diviser et devenir des menaces les uns pour les autres, mais au contraire en apprenant à s’aimer encore davantage. Il est notable que les évangiles et les Actes des Apôtres ne nous rapportent aucune dispute entre les frères. Pourtant, saint Paul nous l’a fait entendre, dans sa lettre aux Corinthiens, les humains sont prompts à trouver des motifs de se déchirer, chacun se laissant approprier à un camp ou chacune et chacun se réclamant d’un patron contre les autres. Simon-Pierre et André, Jacques et Jean n’ont rien vécu de ce genre d’attitudes. Ils ont grandi en fraternité, ils sont devenus frères en un autre ordre, qui a transfiguré celui de la chair et du sang. L’Église elle-même s’est divisée au cours de l’histoire. La semaine de prière pour l’unité des chrétiens que nous célébrons chaque année, du 18 au 25 janvier, nous le rappelle et nous entraîne dans une prière instante pour que nous retrouvions, entre chrétiens, les chemins de l’unité. Car un seul baptise à proprement parler : Jésus qui donne sa vie pour chacune et chacun de nous, faisant de chacune et de chacun, sans acception des personnes, son frère ou sa sœur, un fils ou une fille du Père. Cela vaut aussi à l’échelle d’un village, d’une paroisse, d’un Espace missionnaire, d’une communauté de communes, d’une coopérative… Comment sommes-nous frères et sœurs ? Une caractéristique de la vigne en Champagne est que les parcelles se jouxtent les unes les autres. Nul ne peut prétendre que son mode de culture de sa vigne n’a pas d’incidence sur les autres. Comment vivez-vous cette contrainte comme une opportunité ? « Convertissez-vous, car le royaume des Cieux est tout proche » ; vous y êtes presque, faites un pas de plus sur ce chemin pour passer d’une solidarité imposée et subie à une fraternité espérée et consentie.

« Tu as prodigué la joie, tu as fait grandir l’allégresse : ils se réjouissent devant toi, comme on se réjouit de la moisson » : avec un peu d’exagération poétique, ces mots du prophète pourraient exprimer votre état d’esprit au terme d’une année qui fut bonne pour la plupart, semble-t-il. Puissent ces temps heureux vous permettre de nouer encore plus entre vous une amitié, une fraternité, un respect mutuel, qui puissent être une ressource, une force, une paix, pour les temps plus rudes qui se présenteraient. Puisse surtout l’appel du Seigneur : « Convertissez-vous, car le royaume des cieux est tout proche » vous engager à préparer en vous des récoltes d’un autre ordre que celles que le commerce comptabilise, vous engager à élever votre humanité au-delà des partages où l’on peut se disputer, et vous entraîner à devenir des « vignerons du Seigneur ».


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