Homélie pour le 3ème dimanche de l’Avent à la Messe grégorienne en la Cathédrale de Reims, le dimanche 11 décembre 2022 - L'Eglise Catholique à Reims et dans les Ardennes

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Publié le 13 décembre 2022

Homélie pour le 3ème dimanche de l’Avent à la Messe grégorienne en la Cathédrale de Reims, le dimanche 11 décembre 2022

Homélie pour le 3ème dimanche de l’Avent à la Messe grégorienne en la Cathédrale de Reims, le dimanche 11 décembre 2022

Es-tu celui qui doit venir ou devons-nous en attendre un autre ? La question que Jean le Baptiste fait poser à Jésus par les disciples qu’il lui envoie depuis sa prison est la question qui pèse en quelque sorte sur toute l’histoire, notre histoire personnelle comme l’histoire collective de l’humanité. Les juifs, vous le savez au temps de Jésus, attendaient un Messie, c’est à dire quelqu’un qui soit rempli de l’Esprit de Dieu, de telle sorte qu’il soit capable de faire basculer l’histoire du peuple juif dans une réalité nouvelle de liberté et de prospérité, d’assurance, de communion.

Ils attendaient et Jean, qui avait désigné Jésus comme l’Agneau de Dieu, attendait sans doute une transformation, un bouleversement de l’histoire au moins aussi intense que ce que nous avons entendu rapporté par le prophète Isaïe, évoquant le retour du peuple de l’exil et la joie intense qui habitait les pas de ceux qui revenaient vers Jérusalem, de sorte que toutes les épreuves du chemin pouvaient paraître facile à surmonter et autant de motifs de redoubler dans la joie.

Ils attendaient donc comme un bouleversement, une transformation au moins aussi forte, au moins aussi intense que celle qu’ont pu connaître ceux d’entre nous qui ont connu la libération à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, ou celle qu’ont connu les Européens de l’Est au moment de la chute du mur de Berlin. Une joie, la promesse de changement comme une victoire footballistique dont nous devons nous contenter, ne sont qu’une piètre ou en tout cas un faible reflet.

Et cependant, quand nous regardons l’histoire de l’humanité, nous savons qu’elle porte elle aussi cette attente. Es-tu celui qui doit venir ou devons-nous en attendre un autre ? Aujourd’hui, nos sociétés n’attendent plus quelqu’un, mais elles sont toujours tendues vers quelque chose que l’on peut appeler le progrès. On rêve toujours qu’une transformation sociale ou qu’une beauté technique puisse nous faire entrer dans une vie qui soit plus facile, qui soit meilleure, qui soit plus juste pour tous.

Et cette attente ? On peut bien voir des signes de sa réalisation ou bien être déçus parce que l’on pense à l’intensité de la joie qui a marqué la libération au moment de la victoire de la Deuxième Guerre mondiale, ou bien l’immense attente qui habitait les Européens de l’Est au moment de la chute du mur de Berlin et l’espoir que cela représentait pour toute l’humanité.

On peut, selon la manière dont notre esprit ait fait, encore une fois, y voir des signes d’un monde nouveau qui s’est construit malgré tout, ou bien, voire surtout, la déception que l’on porte.

Mais nous, chrétiens, dans un monde qui renonce à attendre le salut de quelqu’un, nous nous l’attendons et donc nous nous ne cessons pas de poser la question et le temps de l’avant, chaque année nous invite à la poser à Jésus : es-tu celui qui doit venir ou devons-nous en attendre un autre ? Et la question nous est posée à nous aussi : est-ce que nous attendons quelqu’un d’autre que Jésus ou bien ce que nous sommes capables de reconnaître en Jésus, celui que nous attendions ? Et de reconnaître donc les signes du Royaume qu’Il apporte ?

Nous avons entendu la réponse de Jésus aux disciples de Jean. Il les invite à regarder d’abord, à entendre et écouter donc, et puis à voir. Les aveugles retrouvent la vue, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés et les sourds entendent. Nous reconnaissons là quelques-uns des miracles que saint Matthieu nous a décrits comme entourant la prédication du Jésus en Galilée.

Mais ce qui est à noter, c’est que Jésus, reprenant ainsi les prophéties d’Isaïe, ne reprend pas un des signes qu’Isaïe donnait : les prisonniers sont libérés. S’adressant à Jean, il lui indique ainsi discrètement, mais avec une certaine fermeté aussi, qu’il ne sera pas libéré de sa prison et que donc cet échec apparent que Jean va connaître puisqu’il se trouve en prison et qu’il va bientôt être décapité pour une histoire un peu grossière et stupide, une promesse faite par Hérode comme vous le savez. Cet échec apparent de Jean fait aussi partie de ce qu’il doit vivre comme précurseur de Jésus, comme annonciateur du Messie. Le Messie, Jésus ne vient pas pour rétablir ici, ici-bas, magiquement, une société parfaite, un monde tout entier réconcilié par miracle et, ni pour assurer à Israël une prospérité et un prestige culturel qui lui serait garanti par la seule venue du Messie.

Mais nous le sentons et nous le savons, nous, il est venu pour venir convertir chaque être humain, un par un, pour venir chercher chaque être humain dans les ressorts les plus profonds de sa liberté et pour l’inviter et lui donner la force et l’énergie d’un changement intérieur qui ne peut se traduire extérieurement et se traduire dans des réalisations sociales et collectives que de manière très progressive.

Et ainsi frères et sœurs, il nous faut comprendre qu’il y a deux histoires. Il y a l’histoire que les historiens peuvent raconter, que les économistes ou les politologues peuvent analyser et nous pouvons, selon notre tempérament encore une fois, y voir des éléments de progrès ou bien être surtout sensibles à ce qui se répète toujours. Nous espérions en Europe avoir créé une Europe de la paix et nous sommes obligés aujourd’hui de constater qu’il y a une guerre et une guerre cruelle en Ukraine et que la guerre d’aujourd’hui comme celle d’hier crée des morts et des blessés et des destructions dans des proportions insupportables et il y aurait bien d’autres motifs aussi de voir des guerres, comme il y a beaucoup d’autres motifs de s’inquiéter pour l’avenir de notre humanité.

Mais il y a une autre histoire, celle que Dieu fait, celle que Dieu ne cesse pas de susciter, celle qui fait que des hommes et des femmes s’engagent intérieurement dans un certain renoncement à eux-mêmes, dans un décentrement d’eux-mêmes, dans une mise au service des autres, dans un accueil des autres, qui sort, qui dépasse le cadre ordinaire de la générosité humaine.

Et c’est ainsi que nous pouvons entendre ce que Jésus dit aux foules une fois que les disciples de Jean sont partis. Quand Il les invite à se demander qui ils sont allés voir au désert, auprès de Jean : un roseau agité par le vent, ce serait aujourd’hui un de ces influenceurs ou de ses influenceuses qui ont des milliers de suiveurs, de suiveuses sur les réseaux sociaux ; est-ce un homme habillé de façon raffinée ? Mais cela se trouve dans les palais du roi. Jésus invite donc ceux qui l’écoutent et par conséquent nous-mêmes, à nous demander qui nous écoutons et par conséquent aussi qui nous attendons. Est-ce que nous pouvons accepter de ne pas voir, de ne pas suivre quelqu’un, un messie, qui va encore une fois transformer le monde, d’une manière palpable et mesurable immédiatement, d’une manière quantifiable et saisissable, mais un prophète et plus qu’un prophète. Ce qui compte chez Jean-Baptiste, c’est l’engagement de sa vie sur la Parole de Dieu et l’échec apparent qu’il connaît en étant en prison et en étant bientôt décapité, encore une fois, appartient à cette préparation des chemins du royaume qui lui a été confiée.

Et ainsi frères et sœurs, pouvons-nous comprendre que nous-mêmes, nous sommes invités par Jésus à être les signes du Royaume. C’est nous qui devons l’être, c’est nous qui pouvons l’être, chaque fois que nous écoutons ce que nous pourrions ne pas écouter, chaque fois que nous faisons ce que nous pourrions ne pas faire, chaque fois que nous renonçons à ce dont nous pourrions nous emparer avec une certaine violence, chaque fois que nous mettons du pardon là où nous pourrions mettre de la colère et de la haine, chaque fois que nous mettons du partage là où nous pourrions mettre de l’accaparement, chaque fois que nous faisons un pas vers les autres, quand nous pourrions rester enfermés en nous-mêmes. C’est là, ainsi, que nous préparons le royaume qui vient et que nous en donnons des signes.

Et c’est pourquoi Jésus peut dire de Jean qu’il est le plus grand de tous les enfants des hommes, de tous les enfants qui sont nés d’une femme, mais que le plus petit, dans le royaume des cieux, est plus grand que lui. Car Jean est aussi un des plus petits dans le royaume des cieux et d’une certaine façon, il est plus grand que lui-même, plus grand que sa parole, parce qu’il se laisse prendre par Jésus et entraîner par Jésus dans le chemin que nous connaissons.

Jésus n’est pas venu pour établir ici-bas une humanité débarrassée de la maladie et débarrassée de la mort, débarrassée de l’injustice. Il est venu pour aller jusqu’au plus profond de l’affrontement avec notre liberté marquée par le péché, et pour nous convertir, nous transformer un à un, âme par âme, liberté par liberté, avec tout le temps qu’il faut et toutes les étapes parfois douloureuses, épineuses, que nous pouvons ainsi connaître.

Et c’est pourquoi Frères et sœurs, nous pouvons dans le monde où nous sommes, nous inquiéter de ne pas voir les succès de l’Église aussi manifestes qu’autrefois. Nous pouvons avoir l’impression d’une certaine décomposition d’un christianisme et d’un catholicisme français dont nous avons connu encore quelques traces et dont nous voyons bien qu’il n’existe pas ; et nous pouvons aussi nous émerveiller d’être là et d’être là avec quelques autres, d’être là avec ce que Dieu nous donne, comme des frères et des sœurs. Il nous faut avoir la conscience humble, mais aussi certaine, que nous sommes sans doute pour Dieu, la récolte présente en attendant la récolte tardive. L’Apôtre saint Jacques nous a invités à être comme des agriculteurs, comme le cultivateur qui attend les fruits précieux de la terre avec patience.

En ce dimanche de Gaudete, Frères et sœurs, sachons nous réjouir d’être de ceux qui reconnaissent en Jésus le Messie qui vient, d’être de ceux qui acceptent humblement, conscients de leur faiblesse, mais aussi courageusement, d’être des signes du Royaume et d’avoir à les porter dans leur chair, dans leur propre vie.

Soyons de ceux qui peuvent se réjouir de voir qu’il y a une histoire que Dieu mène et que Dieu ne cesse pas de susciter au milieu des hommes, si nous savons le regarder, les porteurs des signes du Royaume, les prophètes de lui-même. Qu’il nous soit donné frères et sœur de les reconnaître et d’y puiser notre force. L’Eucharistie que nous célébrons, ce geste si simple, si modeste, si apparemment peu efficace de Jésus, est, nous le savons, la grande force qui transforme une histoire. Puissions-nous savoir la voir tous les jours et puiser notre espérance. Amen.


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