Homélie pour le 3ème dimanche de Carême - L'Eglise Catholique à Reims et dans les Ardennes

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Publié le 22 mars 2022

Homélie pour le 3ème dimanche de Carême

Homélie de Mgr Eric de Moulins-Beaufort, le 20 mars 2022, en la chapelle de la Maison de la Conférence des évêques de France, dimanche de prière pour les personnes victimes d’abus sexuels dans l’Église, et journée nationale contre l’antisémitisme

Frères et sœurs,

les lieux eucharistiques qui ont la chance, – la grâce plutôt -, d’accompagner des catéchumènes qui seront baptisés dans la nuit de Pâques, célèbrent aujourd’hui ce que la liturgie appelle le « premier scrutin » et entendent l’évangile de la rencontre de Jésus avec la Samaritaine, au chapitre 4 de l’évangile selon saint Jean. Ces assemblées eucharistiques prient avec ferveur pour que, en celles et ceux qui seront baptisés, au cœur de leur liberté, dans le lieu intime où se cristallisent les pensées et se décident les actions, jaillisse l’eau vive de l’Esprit-Saint. C’est l’occasion pour tous les baptisés de se demander à quelles sources ils s’abreuvent aujourd’hui. Notre existence humaine est parfois comme un séjour dans une oasis, où les eaux sont abondantes ; elle peut aussi prendre l’aspect d’une traversée du désert où l’on contemple la splendeur des dunes de sable ou bien pendant laquelle, au contraire, on sent durement que le sable est brûlant et les cailloux coupants. A moins que, pour nous rapprocher de nos frères et sœurs ukrainiens, nous éprouvions plutôt combien le froid nous transperce jusqu’à l’os. Dans toutes les situations, où nous abreuvons-nous ? Où refaisons-nous nos forces ? Dans les eaux troubles de la colère ou de la peur, dans les eaux stagnantes de l’identité toujours menacée, dans la profondeur où, souvent discrètement, perce le filet d’eau vive de l’Esprit-Saint qui monte vers nous depuis la Trinité sainte ?

Mais pour nous qui n’entourons pas aujourd’hui un catéchumène, la liturgie a préparé la parole rude que nous venons d’entendre. Jésus se voit opposer le mal absurde, le mal brutal, celui de la cruauté des hommes ou celui des coups du sort, ce mal que l’on ne peut pas magnifier comme on le fait d’une vie donnée pour la patrie ou pour sauver quelqu’un d’autre, que l’on ne peut apprivoiser non plus comme quelqu’un qui fait face avec lucidité et liberté à une maladie mortelle. La réaction de Jésus peut nous dérouter, même si nous la connaissons depuis longtemps : « Si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous de même. » Nous comprenons que « nous convertir » ne signifie pas, dans la bouche de Jésus, changer de religion, ni accomplir mieux les actes de notre religion. La liturgie, en bonne pédagogue, nous a fait entendre aussi un passage de la première lettre de saint Paul aux Corinthiens qui est en fait assez clair : l’Apôtre rappelle aux chrétiens de Corinthe que les Hébreux dans le désert partageaient tous la même condition : ils étaient conduits par la colonne de nuée, ils prenaient la même nourriture et la même boisson qui étaient l’une et l’autre pleines de sens spirituel, et pourtant beaucoup sont morts. Leur mort rend visible, pour l’Apôtre, que leur situation réelle devant Dieu n’était pas satisfaisante : ils faisaient les gestes de la célébration de l’alliance avec Dieu, ils profitaient des dons de l’Alliance, ils n’étaient cependant pas tous adéquatement dans l’attitude des partenaires de l’Alliance. Ils n’avançaient pas dans les quarante années de l’Exode dans la confiance en Dieu mais en mesurant leurs besoins et ce qu’ils recevaient, en soupçonnant toujours Dieu de ne pas leur donner le meilleur, ni même assez. Pour nous, la leçon est claire : il ne suffit pas de pratiquer, il ne suffit pas non plus de se targuer de ses « bonnes œuvres », de ses « bonnes actions », de se vanter de ne faire de mal à personne pas plus que de se réclamer d’aller à la messe souvent. « Se convertir », c’est vivre dans une relation vivante à Dieu, sinon nous verrons toujours la mort comme dénuée de sens, mettant en cause le sens même de la vie, et nous vivrons notre mort comme une catastrophe qui nous détruit.

Or, la relation à Dieu à laquelle nous sommes appelés, elle s’anticipe dans l’épisode de la rencontre de Dieu avec Moïse, ce que nous appelons l’épisode du « buisson ardent ». Voilà encore un texte archi-connu mais dont nous n’avons jamais fini de recevoir la lumière et la force de vie qu’il nous donne. « J’ai vu, oui, j’ai vu la misère de mon peuple ». Le mal qui nous atteint, le mal qui heurte en nous la confiance que nous avons en la vie et en Dieu, ce mal-là, Dieu s’en laisse atteindre. Il ne le surplombe pas avec indifférence. Il « descend » vers nous, il nous demande de le croire : « Oui, je connais ses souffrances », celles de son peuple, « Je suis descendu pour le délivrer. » « Se convertir », frères et sœurs, c’est accepter qu’il en soit ainsi et donc, ne pas imaginer que celles et ceux qui sont frappés par le malheur auraient une raison de l’être, une raison d’être abandonnés ou négligés ou rejetés par Dieu. Non, mais Dieu ne vient pas pour préserver les siens des désordres du monde, ni de ceux qui sont provoqués par les humains, ni de ceux qui résultent des forces de la nature. Dieu descend, Dieu s’abaisse, pour vivre avec nous ces événements, afin que cela même qui devrait apporter la mort, non seulement en tuant les corps mais en aliénant les esprits par le désespoir, la colère, le cynisme, devienne le lieu d’un surcroît de vie, c’est-à-dire de vie partagée et donnée, de vie choisie et offerte pour le bien de tous.

Tel est le sens de la parabole du figuier et du vigneron qui intercède pour qu’une année de plus lui soit accordée : il est toujours temps de se convertir, il est toujours temps de changer de vie, il vaut toujours la peine de se reprendre et de choisir de vivre, non pas seulement pour survivre, non pas pour vérifier son existence par ses possessions, son compte en banque, ses plaisirs, ses motifs de fierté, mais de choisir de vivre pour faire de sa vie en tout instant une réponse au don du Père et à la responsabilité qu’il donne à chacune et à chacun envers les autres. A nous, frères et sœurs, qui célébrons dans l’Eucharistie, la venue du Dieu vivant, venu au plus proche de nous en Jésus, se faisant notre serviteur et notre nourriture, n’étant notre Seigneur que pour nous partager sa vie, à nous de reconnaître en tout moment la présence de Dieu, son attention à nous, à nous de croire qu’il ne renonce jamais à son œuvre de salut et qu’aucune mort, même la plus absurde, la plus douloureuse, ne peut l’empêcher de nous attirer à lui, dans la liberté et la plénitude de la vie éternelle.

Nous accompagnons en ce Carême le peuple ukrainien : en quelques heures, sa destinée a basculé. Il montre des ressources intérieures inattendues pour résister à la violence subie sans renoncer à considérer le peuple russe comme un peuple frère. Le Dieu vivant, Celui qui envoie son Fils dans le monde pour faire des humains ses frères et ses sœurs, veut qu’un frère se réjouisse que l’autre soit vivant et autonome et différent. Les amitiés judéo-chrétiennes nous invitent aujourd’hui à lutter contre l’antisémitisme en nous et autour de nous. Le Dieu vivant qui a choisi de venir vers l’humanité dispersée et égarée par le péché à travers le peuple d’Israël et son serviteur Moïse, nous donne d’être enfin capables de reconnaître les jalousies qui peuvent habiter nos cœurs et de nous réjouir de devoir notre foi, la source pure où nous puisons ce qui nous fait vivre, à ce petit peuple-là. Nous supplions en ce jour pour demander pardon pour les abus sexuels commis par des prêtres, eux que Dieu avait mis à part pour les envoyer, comme Moïse, apporter aux humains la promesse de la libération et de la vie en pleine et plus que pleine. C’est encore l’action de Dieu qui nous rend capables de reconnaître nos fautes, nos aveuglements, la dureté de nos cœurs qui nous a privés d’entendre ou de voir la souffrance subie par certains et par certaines. Et c’est l’action de Dieu qui nous fait espérer que nous pourrons ensemble, en marchant ensemble, apprendre à vivre enfin dans la vérité l’autorité comme un service, selon son exemple à lui, qui vient nous rejoindre et nous accompagner et si souvent se met à notre pas,

                                                   Amen.


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