Homélie pour le 2ème dimanche du Temps ordinaire, le 15 janvier 2023, en l’église de Saint-Walfroy, réunion des diacres - L'Eglise Catholique à Reims et dans les Ardennes

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Publié le 17 janvier 2023

Homélie pour le 2ème dimanche du Temps ordinaire, le 15 janvier 2023, en l’église de Saint-Walfroy, réunion des diacres

Homélie pour le 2ème dimanche du Temps ordinaire, année A, le 15 janvier 2023, en l’église de Saint-Walfroy, réunion des diacres.

« Et moi, je ne le connaissais pas ». Dans les quelques versets de l’évangile selon saint Jean qui ont été proclamés en ce dimanche, deux fois, Jean le Baptiste dit cela. Vous le savez sans doute : il est difficile de combiner les données biographiques que nous donnent les différents évangiles, en particulier dans les évangiles de l’enfance. Comment ici rendre cohérents ce que saint Luc nous décrit du lien de cousinage de Marie et d’Élisabeth et du tressaillement de l’enfant Jean devant Jésus à peine conçu et cette double affirmation de non-connaissance ? Bien sûr, nous pouvons nous simplifier la tâche en supposant, ce qui est possible, que les deux petits-cousins ne s’étaient guère fréquentés dans leur jeunesse, mais il nous faut aller plus loin. L’important, l’intéressant, est que les perspectives théologiques des évangiles sont différentes, de sorte que leurs présentations biographiques peuvent paraître contradictoire. « Et moi, je ne le connaissais pas » : saint Jean ne se soucie pas ici de savoir depuis quand les deux cousins n’avaient pas passé de vacances ensemble, ni fêté ensemble telle fête juive. Quand bien même ils se seraient rencontrés souvent, qui peut prétendre connaître quelqu’un sur qui il voit l’Esprit-Saint descendre et demeurer ? Qui peut le connaître comme « l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde » et celui qui peut être appelé en vérité « le Fils de Dieu » ? Ainsi déjà, à un niveau très humain, quelqu’un qui aurait connu le jeune Napoléon Bonaparte à l’école à Brienne ou en garnison à Valence aurait-il pu prétendre avoir vu en lui l’empereur des Français et la légende qui allait l’entourer ? Il pouvait lui prédire une belle carrière, mais prévoir la Révolution, les opportunités qu’elle allait ouvrir et l’enchaînement des événements et des décisions dont Napoléon Bonaparte allait se servir pour se métamorphoser en empereur, cela ne pouvait être vu. Concernant Jésus, quoi que Jean ait pu deviner de son cousin, de son lien avec Dieu, de son identité de Messie promis à Israël, c’est-à-dire d’Oint du Seigneur, rempli de l’Esprit-Saint pour accomplir la volonté de Dieu en faveur de son peuple, comment aurait-il pu « connaître » Jésus comme « Fils de Dieu » avec ce que cela suppose d’intimité divine et d’engagement surtout de Dieu, d’abaissement et de don de soi du Dieu vivant de l’Alliance dans la condition humaine et dans la destinée d’Israël ?  « Connaître », ici, n’est pas seulement savoir des choses sur telle personne, en repérer les traits physiques et les traits de caractère ; « connaître », le « connaître » auquel Jean reconnaît qu’i n’accédait pas, c’est entrer dans le mystère du Fils de Dieu, dans la relation constitutive du Fils bien-aimé du Père, de Celui chez qui l’Esprit-Saint non seulement repose un moment mais demeure. Dans ce qu’il a vu et entendu au moment du baptême de Jésus, Jean a reconnu qu’il ne connaissait le mystère de celui-là qui se tenait devant lui et qui était dévoilé comme Messie d’Israël en un sens, une réalité, une vérité, qui dépassait de beaucoup ce qu’il pouvait se représenter jusque-là.

Ainsi en va-t-il aussi pour nous, frères et sœurs, pour nous, chrétiens qui connaissons Jésus, qui savons, pour reprendre la formule de saint Paul, en qui nous avons mis notre foi, spécialement pour nous, frères diacres, ministres ordonnés, qui avons reçu la charge et la mission de parler de Jésus, de le désigner à nos frères et sœurs et d’agir en son nom ou de mettre en œuvre son action en faveur des uns et des autres. Nous sommes à lui, nous agissons pour lui et en lui, en ce que nous le connaissons mais tout autant ou davantage en ce que nous ne le connaissons pas. Nous avons à le désigner comme Jean l’a fait : « Voici l’Agneau de Dieu qui enlève les péchés du monde », « Celui-ci est le Fils de Dieu ». Nous apprenons de la Tradition de l’Église bien des choses sur lui, la signification de ces mots, nous comprenons leur justesse pour le nommer, lui. Mais nous n’employons tout cela en vérité que si, intérieurement, nous reconnaissons qu’il nous dépasse, qu’il nous échappe, qu’il est plus grand et plus vrai et plus réel que nous ne saurons jamais le dire. Chaque fois que quelqu’un nous parle de lui, à la fois nous le reconnaissons et nous découvrons que nous ne le connaissons pas encore, et nous grandissons dans le désir de le connaître davantage. La Tradition, l’enseignement de l’Église, nous donnent de dire des choses justes sur lui ou à son propos, mais jamais comme un mode d’emploi qui nous le rendrait clair et distinct.  C’est d’ailleurs pourquoi nous nous référons à la Tradition de l’Église : nous ne pouvons parler de Jésus de manière sûre qu’en nous insérant chaque fois davantage dans la convergence de celles et ceux qui ont mis leur foi en lui et qui se sont reconnus unis dans la même confession de foi. A mesure que nous apprenons à lire les Écritures, nous pouvons progresser dans notre compréhension des évangiles, apprendre à mieux repérer comment Jésus accomplit les promesses faites à Israël, découvrir tel ou tel aspect de son être et de son action, mais aussi nous découvrons qu’il est plus encore le Fils du Père et notre frère que nous ne saurons jamais le dire. Le prophète Isaïe nous met sur la piste de cette non-connaissance, dans le chant du Serviteur dont nous avons entendu extrait. Dieu, par la bouche du prophète, dit au serviteur : « Je t’ai établi… » puis : « C’est trop peu… ». Ce que nous disons de Jésus comme Fils, comme Seigneur, comme Sauveur, peut être juste, mais toujours, « c’est trop peu… » parce que nous avons du mal à mesurer, à reconnaître, à constater et à dire l’ampleur de son œuvre et, par conséquent, le mystère profond de son être de Fils, son lien avec toute l’humanité et avec la création tout entière. Celui que nous recevons comme Seigneur, nous chrétiens, nous le connaissons et nous ne le connaissons pas. Nous pouvons dire : « Il est l’Agneau de Dieu », « il est le Fils », « il est le Messie d’Israël », il est « la Résurrection et la vie » mais nous ne savons pas expliciter tout de ce que nous disons ainsi et c’est réjouissant. Car il ne vient pas à nous comme une solution à nos problèmes, comme la réponse à nos questions, mais comme celui qui nous établit dans une relation inattendue avec Dieu et entre nous et qui nous fait grandir à l’intérieur de cette relation et par elle.

Nous pouvons alors franchir un autre pas : nous ne nous connaissons pas nous-mêmes, pas en tout cas comme Dieu nous connaît. Qui suis-je pour Dieu ? Un fils, une fille, assurément, par la grâce du baptême et de la confirmation, mais quel fils, quelle fille, prenant quelle part à l’œuvre entière de Dieu, je ne le sais, ni ne peux le savoir. Dans une époque où chacun est si soucieux ou si inquiet de son identité, nous, chrétiens, acceptons d’être dépossédés de cette question. L’Esprit-Saint qui nous est donné, qui vient reposer sur nous, lui qui demeure sur Jésus, recompose notre être intérieur. Plus nous nous laissons conduire par lui, moins nous pouvons dire : voilà qui je suis. Moins cela a de sens. De là peut-être les interrogations qui occupent les esprits aujourd’hui dans l’Église. Elles ont commencé par vous, les diacres. Lorsque le Concile a décidé de rétablir le diaconat permanent, il n’a pas eu le temps de définir avec précision ce qu’était un diacre, nous nous en rendons compte dans la pratique. Mais peut-être surtout ne pouvait-il le faire. Car les diacres, comme les prêtres et les évêques, sont des dons que Dieu fait à son Église, des dons qui sont des personnes chargées d’une mission, pas seulement des fonctions dont on peut repérer la nécessité et décrire l’usage. Une part de non-connaissance, une part d’inconnaissance, habite ou enveloppe toute réalité qui est dans le Christ, car Dieu seul sait ce qu’il fait de chacune et de chacun de nous et c’est très bien ainsi. Le besoin très humain d’identité se trouve transfiguré par le don de l’Esprit-Saint. Comprenons-le avec saint Paul qui s’adresse, au début de sa lettre aux Corinthiens, à l’Église qui est à Corinthe, « aux saints appelés à être sanctifiés ». On peut repérer des catégories sociologiques, mais comment identifier la sainteté des uns et des autres ? On peut faire des statistiques et des prévisions sur les caractéristiques de tel groupe humain, mais qui peut deviner la sainteté de chacune ou de chacun, c’est-à-dire la disponibilité de chacune ou de chacun à l’œuvre en lui ou en elle de l’Esprit-Saint qui va lui faire choisir l’amour, le don de soi, le décentrement de soi, plutôt que l’égoïsme, l’affirmation de soi, l’accaparement pour soi ? Qui peut mesurer ce que tel choix signifie d’ouverture plus grande dans l’Esprit-Saint, de croissance dans la charité vraie et ce que tel autre choix annonce de fermeture à la grâce, de repli sur soi ?

Frères et sœurs, nous avons réfléchi en cette journée sur la pastorale de l’accompagnement. Nous pouvons formuler ainsi la question qui a sous-tendu nos réflexions et nos échanges : comment pouvons-nous nous aider les uns les autres à grandir dans l’amitié vraie avec Jésus, dans l’union plus grande à laquelle il nous appelle, dans l’alliance avec Dieu et en Dieu qu’il nous offre, lui le Fils bien-aimé ? A l’écoute de la liturgie de la Parole de ce dimanche, nous comprenons que cela suppose que nous acceptions de ne pas encore tout connaître de Jésus mais de nous laisser renouveler par l’Esprit-Saint qui demeure sur lui. Que sommes-nous prêts à consentir pour être avec plus de vérité encore les « saints », « sanctifiés dans le Christ Jésus et appelés à être saints », en ayant foi qu’ainsi nous serons conduits vers notre être en plénitude. Frères et sœurs, disons-le nous en cette célébration : « A vous, la grâce et la paix de la part de Dieu notre Père et du Seigneur Jésus Christ »,

Amen.


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