Homélie pour le 2ème dimanche de l’Avent, clôture du centenaire des Bénédictines de Sainte-Bathilde - L'Eglise Catholique à Reims et dans les Ardennes

Tous les articles

Publié le 6 décembre 2022

Homélie pour le 2ème dimanche de l’Avent, clôture du centenaire des Bénédictines de Sainte-Bathilde

Homélie pour le 2ème dimanche de l’Avent, année A, le 4 décembre 2022, en l’abbaye de Saint-Thierry, clôture du centenaire des Bénédictines de Sainte-Bathilde

Mes soeurs, frères et sœurs, j’avais préparé pour ce jour une homélie à laquelle j’avais essayé de réfléchir à la fois sur le deuxième dimanche de l’Avent et au centenaire de votre congrégation, mais ce matin en voulant l’imprimer je n’ai pas réussi à la retrouver dans mon ordinateur si bien que je vais essayer de la retrouver malgré tout en vous la disant, et que donc vous  échapperez à l’ennui d’une homélie lue et vous ne gagnerai pas forcément à  une homélie plus courte ni forcément mieux dite.

D’abord la montagne de Saint Thierry où nous nous trouvons, le Mont d’Hor comme l’on dit ici, c’est notre Horeb à nous, en Champagne. Il est la montagne de Dieu et il évoque le désert. Il l’évoquait fortement au sixième siècle, en tout cas, lorsque Thierry, le futur saint Thierry s’est retiré ici, parce qu’il y avait là une forêt, c’est-à-dire un de ces lieux, où en ces temps anciens, on pensait qu’il ne fallait pas trop rencontrer d’hommes et que, si l’on en rencontrait, il convenait de se demander ce qu’ils faisaient là, cachés dans la forêt, retirés de l’ensemble des hommes.

Aujourd’hui il nous est peut-être difficile de nous imaginer le Mont d’Hor comme un désert parce que nous y voyons des villages plutôt prospères et des pentes douces où fleurit et mûrit la vigne. Il n’en reste pas moins que nous sommes ici dans un lieu de retrait. Or, la parole de Dieu se fait entendre dans le désert. Non qu’elle ne retentisse pas ailleurs, non qu’elle ne retentisse pas dans les villes, mais dans les villes nous sommes moins capables de l’entendre et d’y prêter attention. L’évangile que nous venons d’entendre comme, d’ailleurs, la prophétie d’Isaïe à laquelle saint Mathieu fait référence, nous révèlent que, déjà, au sixième siècle avant notre ère, la ville était le monde du bruit, le monde de l’agitation, le monde de la confrontation entre les êtres humains. La Parole qui vient de Dieu peut peiner à se faire entendre, et si, en tout cas, elle est entendue, elle ne perce pas forcément au milieu du bruit et des sollicitations, au milieu de la cacophonie de tous les appels qui retentissent dans la ville lorsque les êtres humains sont rassemblés, un peu serrés les uns contre les autres.

Il faut aller à l’écart dans le désert, pour percevoir quelles paroles subsistent, quelles paroles durent, une fois que l’on s’éloigne du bruit et du mouvement constant de la ville, pour pouvoir enfin y prêter attention. C’est cela que les moines et les moniales ont bien compris depuis les origines du christianisme et ont tâché de vivre. Nous vivons cette attitude les uns et les autres, nous qui sommes ici, les guides en week-end de troupe que je salue, vous autres, frères et sœurs qui êtes venus soit par amitié pour les sœurs, soit pour fêter, célébrer simplement ce deuxième dimanche de l’Avent. Nous sommes venus vous rejoindre, mes sœurs, dans ce Monastère, un peu à l’écart du monde un peu en retrait, et nous sommes invités à écouter la Parole qui retentit : « Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers » ou bien comme le disait Jean le Baptiste : « Convertissez-vous car le royaume de Dieu est tout proche ».

            Tel est le sens de la vie monastique : dévoiler au milieu des hommes que la vie humaine devrait être une vie de conversion constante. « Convertissez-vous, car le royaume de Dieu est tout proche ». Peut-être pouvons-nous le comprendre mieux en prêtant attention à ce que saint Mathieu nous rapporte de la prédication de Jean. Saint Matthieu, écrivant son évangile, retient que beaucoup de pharisiens et de saducéens se présentent à Jean et que Jean les accueille avec cette invective :  « Engeance de vipère, qui vous a appris à fuir à la colère qui vient ? »  L’évangéliste retient de la prédication de Jean la méfiance du prophète à l’égard de ce que l’on peut appeler « la fausse conversion », une thématique qui traverse toute la Bible. Nous pouvons préciser encore, en disant que ce que le prophète refuse et ce dont il nous invite encore aujourd’hui à nous méfier, c’est l’auto satisfaction.

Les saducéens, vous le savez, sont les familles des grands prêtres, les représentants de l’institution religieuse d’un certain ordre social. Les pharisiens, eux, sont plutôt une sorte d’élite spirituelle, de juifs très fervents qui veulent être fidèles à la Loi de Dieu. Ils représentent une certaine manière, à l’époque de Jésus d’être des juifs fervents. Le prophète Jean-Baptiste les accueille avec une certaine méfiance, en les invitant à se méfier en quelque sorte d’eux-mêmes, qu’ils ne s’enferment pas dans l’auto satisfaction, qu’ils ne viennent pas chercher le baptême que Jean propose un comme une manière de plus de se conforter eux-mêmes dans leur bonne conscience, dans leur certitude d’être des gens biens et des gens de bien.

Il ne sert à rien pour nous de faire un portrait un peu effrayant des pharisiens et des saducéens comme on le fait un peu facilement : on voit les saducéens comme des collaborateurs avec les Romains qui cherchent leur profit au détriment de la vérité et de la justice ; on voit les pharisiens comme des hypocrites qui se donnent une façade de respectabilité mais qui n’en pensent et n’en font pas moins ce qu’ils veulent, selon leurs pulsions. Il me semble plus important et plus intéressant pour nous de voir en eux, d’un côté les représentants d’un certain ordre social et religieux et de l’autre, des gens qui essayent d’être fervents. Le piège qui se présente à eux, c’est de s’entretenir dans l’auto-satisfaction, dans l’auto-glorification. Ceci donc nous interroge lorsque nous venons nous rejoindre ici, mes sœurs. Comprenons que les moines et les moniales n’ont pas fui le monde simplement pour essayer de se préserver du monde et de tout ce qu’il a de mauvais, mais parce qu’ils se sentent appelés à vivre une vie nouvelle. Vous vous sentez appeler à vivre une vie nouvelle. Nous ne sommes pas appelés seulement à nous garder du mal, ce qu’il faut faire toujours, mais nous sommes invités à vivre une vie nouvelle, une nouveauté de vie qui ne peut venir que de l’écoute de Celui qui vient et du don que Celui qui vient peut nous donner. Vous avez répondu à l’appel de mener votre vie non pas selon la possession des biens et l’équilibre et la sécurité que cela donne, mais dans la dépossession et le partage. Vous avez choisi de vivre non pas en construisant des familles, mais en choisissant de vous ouvrir déjà ici-bas, aux Noces Éternelles, et à la communion de tous et de toutes en Dieu à laquelle nous sommes tous promis, et vous avez  choisi de ne pas vivre dans l’auto détermination, la possession et la maîtrise de soi et de sa destinée, mais dans l’obéissance, donc dans un certain renoncement à soi et dans le service mutuel.

Celui que Jean-Baptiste annonce, Celui qui vient à nous tout rempli de l’Esprit Saint ne vient pas simplement pour conforter l’ordre social. Il ne vient pas simplement pour moraliser des comportements humains. Il ne vient pas pour nous inviter à une sorte d’équilibre et de sagesse vertueuse et mais il vient nous inviter à oser entrer dans des relations beaucoup plus fortes, beaucoup plus intenses. En acceptant de franchir la barrière de la protection qu’assure la propriété de certains biens et qu’assure la constitution de cellule familiale, qu’assurent encore les libertés sociales et politiques, au profit de liens d’interdépendances beaucoup plus forts et par conséquent aussi beaucoup plus risqués.

Notre époque a ce privilège un peu dramatique et souvent douloureux de découvrir que cette haute ambition cet immense appel à un certain dépassement de l’équilibre humain que le Christ fait retentir à l’oreille de notre cœur peut être utilisé par la perversion des hommes pour se redoubler en instinct de possession, de domination, de destruction. Mais la lucidité que nous devons acquérir aujourd’hui ne doit pas nous empêcher d’entendre ce que le Messie plein d’Esprit-Saint vient établir, qui dépasse tout ordre simplement social, tout simplement humain. Il faut entendre avec sérieux la prophétie de Isaïe, qui annonce que « le loup habitera avec l’agneau, que le léopard se couchera près du chevreau, le veau et le lionceau seront nourris ensemble, un petit garçon les conduira ». Ce que celui qui est envoyé par Dieu le Père, celui qui vient à nous rempli de l’Esprit-Saint dont nous avons entendu la description de tous les dons cet Esprit, ne vient pas simplement pour organiser au mieux les relations humaines mais pour rendre possible ce qui est impossible, pour nous appeler à vivre déjà maintenant, dans ce qui aux yeux humains ne peut pas se faire.

Vos monastères, mes sœurs, il me semble que c’est peut-être l’intuition de vos fondatrices il y a 100 ans, vos monastères sont le signe de cette espérance-là. Vos fondatrices ont voulu, reprenant les intuitions de l’ordre bénédictin, créer des lieux qui ne soient pas simplement des lieux de retrait du monde, où l’on fuit le monde parce qu’il est mauvais, mais de lieux qui puissent laisser percevoir la nouveauté de vie à laquelle nous sommes appelés et que le Christ nous rend possible, que le Christ nous permet d’espérer et dans lequel par la puissance de sa grâce il nous donne d’essayer de vivre dès maintenant, dès ici-bas.

Nous entendons de la bouche de Saint-Paul cet appel que l’on peut peut-être comprendre ainsi :  « Accueillez-vous donc les uns les autres comme le Christ vous a accueillis pour la gloire de Dieu ».

L’appel que l’apôtre adresse à tous les chrétiens est de s’accueillir mutuellement non pas au nom des intérêts communs, non pas au nom des sympathies que l’on peut avoir, non pas en raison du partage des mêmes convictions, mais tout simplement parce que nous savons que chacun est accueilli par le Christ pour la gloire de Dieu. C’est ce que vous essayez de vivre mes sœurs, aussi bien en France dans vos différents monastères, mais jusqu’au Japon, jusqu’à Madagascar, jusqu’au Bénin l’ancien royaume du Dahomey, jusqu’au Vietnam, jusqu’en Éthiopie, le royaume de la reine de Saba, dans tous les lieux où vous vous trouvez et peut-être désormais avec les sœurs de « Jésus crucifié » jusqu’aux États-Unis.  Vous manifestez par l’hospitalité que vous voulez vivre que le fond de l’humanité, le secret de l’humanité, est d’être appelée à cette hospitalité mutuelle, fondée sur rien d’autre que sur le fait que, fondamentalement, nous sommes accueillis par le Christ.

Saint Paul nous rappelle avec précision que les païens qui n’ont aucun droit à être accueillis par le Dieu vivant d’Israël le sont au nom de sa miséricorde et que les Juifs qui pourraient prétendre avoir des droits, le sont à cause de la fidélité de Dieu et non pas en raison de leurs mérites. Devant celui qui vient nous baptiser dans l’Esprit-Saint et le feu, nous sommes tous dépouillés de nos droits à l’auto-satisfaction, nous sommes tous appelés à reconnaître que nous participons  au mal qui se fait dans le monde qu’il y a en chacun d’entre nous des abîmes et que pourtant Dieu vient pour nous rendre possible dès maintenant et pour toujours des relations d’hospitalité mutuelles dont nous puissions vivre et  rendre grâce par delà toute mort.

Mes sœurs, ici tout particulièrement à Saint Thierry mais c’est sans doute vrai de tous vos monastères, ci sur votre balcon au-dessus de la plaine, vous êtes d’une certaine façon comme la racine de Jessé, « dressée comme un étendard pour le peuple » pour ceux qui veulent bien vous regarder pour ceux qui veulent bien participer un peu, à ce que vous vivez vous faites surgir au milieu de ce monde à la fois discrètement mais fortement cette espérance inouïe que Jean-Baptiste annonce et que le Christ, Jésus est venu établir. Vous nous appelez tous à sortir de notre auto-satisfaction, de tout contentement de soi pour nous inviter à aller plus loin dans les relations que nous nouons, d’espérer toujours que ces relations que nous construisons ici-bas modestement puissent déjà participer de la réalité de la communion à laquelle nous sommes appelés pour l’éternité.

Puisse donc ce centenaire vous encourager, mes soeurs, dans ce que vous vivez, puisse ce centenaire nous rendre nous tous aussi, davantage sensibles à ce que vous montrez et puisse l’Église au milieu de l’humanité avec toujours plus de rigueur, toujours plus de précision, toujours plus d’humilité, mais aussi d’exigence pour soi, puisse l’Église répondre à l’appel du Seigneur : « Convertissez-vous car le royaume de Dieu est tout proche ». Convertissez-vous parce que il y a encore mieux à vivre que ce que nous vivons déjà, parce que des pécheurs que nous sommes et que nous avons tous à reconnaître que nous sommes, Dieu veut faire des hommes et des femmes porteurs de sa présence et capables de s’accueillir les uns les autres pour l’éternité. Amen.


Partager

Notre site utilise des cookies pour vous offrir une expérience utilisateur de qualité et mesurer l'audience. En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies dans les conditions prévues par nos mentions légales.