Homélie pour le 2ème dimanche de Carême, année A, le 8 mars 2020, en la basilique Notre-Dame de Neuvizy - L'Eglise Catholique à Reims et dans les Ardennes

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Publié le 10 mars 2020

Homélie pour le 2ème dimanche de Carême, année A, le 8 mars 2020, en la basilique Notre-Dame de Neuvizy

« Seigneur, il est bon que nous soyons ici. Si tu le veux, je vais dresser trois tentes, une pour toi, une pour Moïse, et une pour Élie. » Pierre n’a-t-il pas raison ? Ce qu’il voit, et Jacques et Jean avec lui, n’est-il pas si beau, si consolant, si plein d’espérance, que le temps pourrait s’arrêter là et chacune de leur vie se trouver plus qu’accomplie ? Certains d’entre nous ont sans doute vécu déjà de tels moments, et quelques-uns peut-être pas encore : des moments si pleins, où tout concorde : la beauté de l’endroit, la paix du cœur, la plénitude du corps, l’intensité de l’amitié ou de l’affection, que chacun toucher là un sommet dont il voudrait ne pas redescendre. Là, devant Jésus dont le visage devient brillant comme le soleil et les vêtements blancs comme la lumière, accompagné de Moïse et d’Élie, pleins de vie, resplendissant de vie et parlant avec lui, Pierre sent bien que toute l’histoire d’Israël et toute l’histoire du cosmos trouvent leur clef : l’histoire débouche sur une plénitude, non pas seulement sur le chaos et la destruction, mais sur une humanité resplendissante de vie et de lumière ; l’œuvre du Créateur tient la promesse qu’elle porte, parce qu’il est venu parmi nous, le Fils bien-aimé.

 Seulement, Jésus n’est pas monté sur la montagne avec ses trois disciples pour anticiper en leur faveur les joies de la vie éternelle. Déjà avant lui, Moïse et Élie avaient vécu un moment inouï sur la montagne auprès de Dieu, et l’un et l’autre en avaient reçu les forces nécessaires pour repartir mener à bien leur mission au service d’un peuple « à la nuque raide ». Jésus, lui, laisse ses disciples voir sa gloire, la gloire qu’il habite son humanité, parce qu’elle deviendra la leur et la nôtre, mais c’est parce qu’il franchit une étape nouvelle dans sa mission : sur la montagne, il consent à aller au plus loin dans sa mission, au-delà du partage de notre condition humaine, en acceptant d’affronter les forces porteuses de mort qui habitent le cœur des êtres humains pour les dépasser par le don de lui-même et son pardon et le don de l’Esprit-Saint. Il y consent parce que le Père y consent aussi, – c’est le sens de la glorification de l’humanité du Fils bien-aimé-, et il prépare ses disciples à consentir eux aussi que le salut de toute l’humanité, et non pas du seul Israël, et non pas de la seule part sainte d’Israël, de toute l’humanité, du plus possible dans l’humanité, exige le passage par la souffrance et par la mort pour aboutir à la vie en plénitude.

Qu’est-ce qu’être un être humain, en effet ? La parole adressée à Abraham nous ouvre une espérance formidable : « En toi seront bénies toutes les familles de la terre ». Abraham est appelé à quitter son pays et sa parenté pour devenir une grande nation, mais non pas par la conquête, en soumettant des peuples étrangers et en captant leurs richesses, mais en devenant pour tous les humains source de bénédiction. Cette promesse s’attache aussi, par la grâce de Dieu, à la descendance d’Abraham, et nous, chrétiens, par le baptême, nous recevons part à la dignité de la descendance d’Abraham. Nous sommes intégrés dans le peuple nouveau dont la gloire n’est pas de conquérir le monde mais de procurer bénédiction à celles et ceux que nous rencontrons. Osons-nous apprendre à nous regarder ainsi ? Toute la vie chrétienne, tous nos efforts pour vivre selon les commandements de Dieu en répondant à l’amour de Dieu manifesté dans le Christ et en visant l’amour du prochain, trouve son unité dans sa perspective : vivre de telle manière que mon existence puisse être une bénédiction pour les autres, c’est-à-dire à la fois leur faire du bien et les encourager à bénir Dieu pour le don de la vie. Sur la montagne, Jésus révèle aux trois disciples qu’il a choisis la glorification à venir de son humanité et par conséquent la nôtre à nous aussi. Il ne se contente pas de lever un coin du voile sur ce que cacherait son humanité, il anticipe plutôt sur l’immense œuvre qu’il consent à mener à son terme : aller jusqu’au bout pour que des pécheurs que nous sommes, des porteurs de mort que nous sommes, la puissance de l’Esprit-Saint puisse faire des fils et des filles du Père, lumineux les uns pour les autres. Ce que nous appelons « conversion » participe à cette œuvre-là et nous met sur le chemin de cette transfiguration.

C’est pourquoi l’Apôtre Paul ose exhorter Timothée à prendre, « avec la force de Dieu, « sa part des souffrances liées à l’annonce de l’Évangile ». Peut-être n’est-il pas nécessaire de nous faire peur tout de suite avec des images des tortures subies par les martyrs de l’Empire romain et d’ailleurs. L’Apôtre appelle surtout à ce que nous nous engagions personnellement pour que notre humanité à chacun soit transfigurée par la charité que l’Esprit-Saint met dans nos cœurs. Il y a une part peineuse : il faut maîtriser certains traits de notre tempérament, apprendre à modérer certains appétits, accepter de demander pardon pour certains gestes ou certaines paroles qui nous échappent, consentir à découvrir que nous ne sommes pas qu’amour et bienveillance, mais non pas pour nous y résigner, plutôt pour essayer, « avec la force de Dieu », de nous changer. Nous pouvons y connaître l’échec, avoir l’impression de reprendre sans cesse les mêmes combats, et ce n’est pas faux. Mais c’est ainsi que nous préparons la transfiguration de notre humanité, c’est ainsi que nous gravissons la montagne au sommet de laquelle, soudain, la lumière de Dieu pourra nous pénétrer totalement. C’est qu’il y a une part glorieuse : dès ici-bas, nous pouvons connaître une joie qui anticipe la joie éternelle lorsque nous découvrons, comme une surprise le plus souvent, que nous avons fait du bien à quelqu’un, que nous l’avons aidé à vivre, que nous avons fait briller pour lui un peu de lumière dans une vie qui paraissait plongée dans l’ombre.

Il n’est pas question de rester sur la montagne. Dès que Pierre évoque cela, lui et ses compagnons sont couverts par une nuée lumineuse, ils entendent la voix du Père, et Jésus qui les touche pour qu’ils se relèvent. Il n’y a plus qu’à redescendre. Il n’y a plus rien à voir que Jésus, seul. Car, au bout du compte, le secret de notre vie, son sens plein, se trouve en Jésus. Lui nous prend en lui malgré notre opacité et même nos péchés. Lui fait de nous des membres de son Corps. Lui fait de nous ses frères et ses sœurs, des fils et des filles du Père, sans attendre que nous soyons tout à fait des bénédictions pour tous. Lui fait un avec nous comme il nous donne de faire un avec lui. C’est pourquoi il touche ses disciples, comme l’a noté saint Matthieu. La vie chrétienne a besoin de moments sur la montagne, à contempler le Seigneur et sa promesse, mais elle consiste aussi à suivre le Seigneur Jésus pour aller vers les autres et tâcher de faire avec eux et parfois pour eux le bien de Dieu, parfois tâcher de recevoir d’eux le bien que Dieu leur donne de nous faire. Jésus, après la Transfiguration, descend dans la plaine, et surtout il avance vers la montagne du Calvaire et vers la mort, sa descente dans les profondeurs de la mort et des enfers, à la rencontre des bas-fonds de l’âme humaine. Lui sait quelles duretés, quelles violences, quels aveuglements, quelles concupiscences peuvent habiter le cœur des êtres humains et il consent à aller vers tout cela pour y porter sa présence et tâcher que la lumière de Dieu puisse rejoindre les plus éloignés. Ses disciples, il les entraîne avec lui. Il compte sur nous, il veut avoir à compter sur nous, malgré notre péché et nos faiblesses, pour aller par nous vers tous les autres.

Tous, nous avons à parcourir un segment, plus ou moins long, plus ou moins court, du chemin de Jésus vers les autres. Tout ce que nous portons et supportons, tout ce que nous partageons et acceptons de recevoir, tout ce à quoi nous renonçons par amour d’un autre ou des autres, tout cela et bien d’autres mouvements de notre âme contribuent à l’œuvre du Christ en faveur de tous les autres et, sans que nous nous en rendions compte, transfigurent notre humanité.

Frères et sœurs, chaque Messe nous fait monter sur la montagne avec Jésus. Nous entendons les Écritures saintes qui proclament l’œuvre du Créateur et sa promesse et qui nous annoncent qu’en Jésus de Nazareth tout trouve sa plénitude et son sens. Dans le sacrifice que nous célébrons, nous voyons le Seigneur qui consent à la montagne du Calvaire et aux profondeurs de la mort afin de nous tirer tous avec lui par sa Résurrection et, d’une manière ou d’une autre, par la communion sacramentelle ou autrement, il nous touche et nous encourage : « Relevez-vous et soyez sans crainte ! » tandis que nous entendons la voix du Père : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui je trouve ma joie : écoutez-le ! » et « écouter » veut dire, en hébreu et en grec, « obéir ». Frères et sœurs, puissions-nous obéir à l’Eucharistie que nous célébrons et laisser le Christ nous transformer intérieurement pour que, en nous, au-delà de tout ce que nous pouvons savoir, les familles de la terre puissent se bénir,                       

                                                                                          Amen.
Mgr Éric de Moulins-Beaufort


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