Homélie pour le 26ème dimanche du Temps ordinaire - L'Eglise Catholique à Reims et dans les Ardennes

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Publié le 28 septembre 2020

Homélie pour le 26ème dimanche du Temps ordinaire

Homélie pour le 26ème dimanche du Temps ordinaire, année A, le 27 septembre 2020, au carmel de La Fontaine-Olive.

« La conduite du Seigneur n’est pas la bonne ». Ne nous arrive-t-il pas de le penser et même de le dire ? Dans les jours de grande confusion, dans les moments d’épreuve, dans les jours où nous voudrions que tout soit différent de ce qu’il est… Depuis quelques dimanches, l’évangile proclamé à la messe nous fait entendre des paraboles, d’un genre un peu différent de celles du sermon sur la montagne, des paraboles où, justement, Jésus nous fait réfléchir sur la conduite de Dieu, plus exactement sur la conduite du Père : « Quel est votre avis ? Un homme avait deux fils. » Nous le connaissons bien, cet homme, du moins le reconnaissons-nous, car dans les paraboles de Jésus, il est toujours question d’un homme et toujours il a deux fils, comme les patriarches de la Genèse : Abraham, Isaac et Jacob ont deux fils ou deux groupes de fils. « Lequel des deux a fait la volonté du Père ? – Ils lui répondent : ‘’ Le premier’’ », et la réponse paraît évidente : il dit « non » et fait, tandis que l’autre dit « oui » et ne fait pas.

Jésus interroge ainsi à un moment crucial de sa vie : dans le récit de saint Matthieu, il est entré à Jérusalem, il a été acclamé, il a chassé les marchands du Temple et on vient lui demander de quel droit il se livre à de telles actions. Il répond en interrogeant sur Jean-Baptiste et il enchaîne avec la question et la parabole qui nous sont remises aujourd’hui : « Quel est votre avis ? ». Il est évident que celui qui a fait la volonté du père est celui qui a dit non et qui, cependant, est allé jusqu’à la vigne. Entendons-le bien : Jésus ne reproche pas aux grands prêtres et aux anciens du peuple de ne pas avoir cru à la parole de Jean-Baptiste ; il leur reproche de n’avoir pas prêté attention au fait que les publicains et les prostituées y avaient cru et avaient changé de vie au moins un peu, au moins un moment. Les grands-prêtres et les anciens du peuple devraient s’émerveiller que la foi vienne saisir des personnes si éloignées de la vérité de Dieu, ils devraient s’être réjouis que certains, partis sur des chemins de mort, soient revenus et se laissent saisir, même si c’est de loin, et ils auraient dû se laisser interroger. Et nous-mêmes, dans nos familles, dans nos paroisses, dans notre entourage, savons-nous être attentifs à ceux ou celles qui ont dit « non » et qui font pourtant, et sommes-nous sûrs de ne pas être du côté des disciples patentés, repérés, reconnus, qui oublient de faire ce qui leur est demandé ?

Car la parabole, en sa brièveté, met en lumière un autre aspect encore. Le père demande à ses fils d’aller « travailler aujourd’hui à la vigne ». Il ne s’agit pas d’abord de croire ceci ou cela, mais de faire, d’œuvrer dans la vigne et de le faire aujourd’hui, pas demain ou après-demain. La parole de Jean-Baptiste n’annonce rien que les Juifs n’aient su, elle ne comporte pas de révélation particulière sur Dieu, sur Israël, sur l’histoire du monde ; la parole de Jean-Baptiste est un appel à changer de vie, au moins un peu, à se convertir parce que le royaume est proche. Il est temps de se tourner résolument vers le royaume et il est toujours temps de le faire. Il y a urgence mais c’est aussi le bon moment. La parabole dit ceci : aux yeux de Dieu, l’important n’est pas les idées, les conceptions, que nous nous faisons ; l’important n’est pas la qualité de notre vie passée ; ce qui compte est notre disponibilité à nous convertir, notre disponibilité, où que nous soyons sur le chemin de la vie, à accentuer notre attente du Royaume, notre élan vers la plénitude où Dieu nous appelle.

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Celui qui raconte cette parabole et interroge est Jésus qui s’apprête pour sa Passion. Bientôt, il sera mis à mort ; bientôt il ressuscitera et la bonne nouvelle de sa résurrection sera proclamée. Qui y croira ? Qui changera quelque chose à sa vie, parce que Jésus est mort et ressuscité, parce qu’en lui la mort n’est plus la fin de la vie mais le passage vers la vie en plénitude, parce qu’en lui chaque être humain reçoit l’assurance de vivre pour toujours ? Que changeons-nous dans notre manière d’être et de vivre et d’agir et de penser, chaque fois que nous entendons un peu plus, un peu mieux, proclamer la résurrection de Jésus, et comment acceptons-nous d’entendre cette bonne nouvelle, chaque fois à neuf, pour qu’elle nous tire de l’horizon de la mort, du manque, de la peur, du besoin de posséder et de nous rassurer, pour qu’elle nous pousse dans les vastes perspectives de la communion pour toujours ?

Pour nous aider, mes Sœurs, frères et sœurs, nous avons entendu saint Paul. Il est, lui, un de ces seconds fils. Il a voulu être à Dieu, il a été un Juif et même un Pharisien plein de zèle pour Dieu, mais il n’allait pas travailler à la vigne. Il empêchait plutôt les autres de le faire, en se crispant sur ses vertus morales, sa force personnelle, pour l’ériger en limite pour ceux et celles qui ne parvenaient pas à vivre ainsi. En route vers Damas, il a été renversé. Il a compris ce que voulait dire « aller travailler à la vigne » et, toute sa vie ensuite, il a cherché à exprimer au mieux ce dont il s’agissait. La liturgie nous a fait entendre le début du chapitre 2 de la lettre aux Philippiens. Nous devrions le connaître par cœur. Il nous indique en effet, de manière indépassable, comment et pourquoi nous convertir sans cesse et nous rendre ainsi capables de travailler dans la vigne du Seigneur. Comment ? Une formule inouïe l’exprime : « Ayez assez d’humilité pour estimer les autres supérieurs à vous-mêmes ». Comprenons-le bien : nous reconnaissons assez facilement que tel ou tel à plus de compétences que nous, surtout si ce tel ou tel est assez lointain ; l’apôtre nous demande de regarder les autres, dans notre communauté chrétienne, dans notre famille, notre paroisse, notre voisinage, comme supérieurs à nous dans leur manière de laisser la grâce de Dieu, la puissance de l’Esprit-Saint, agir en eux ; il nous demande de nous émerveiller de ce que la grâce de Dieu fait dans les autres et de la manière dont les autres, même les plus inattendus, même ceux et celles qui nous agacent ou dont le comportement nous étonne, se laissent habiter par la réponse au don du Christ. Et pourquoi vivre ainsi ? Parce qu’il s’agit pour nous d’avoir les mêmes dispositions qui sont dans le Christ Jésus, qui sont en lui pour l’éternité, à jamais, dans sa gloire de Ressuscité. Il nous les partage, pour qu’elles puissent nous habiter, dans sa Parole et dans son Eucharistie.

C’est que Jésus est le frère dont les paraboles ne parlent pas, celui qui répond oui et qui va en effet travailler dans la vigne, celui qui a consenti à laisser sa gloire pour prendre notre condition humaine et tout en vivre, tout en subir, tout en goûter, jusqu’à la mort, celui qui a accepté la mort la plus infâmante, celle qui le désignait aux autres comme rejeté, comme maudit, pour pouvoir aller rejoindre chacun dans son refus, au plus profond de sa liberté récalcitrante, celui qui accepte d’aller au plus près de chacun de nous, même pour essuyer un refus. Sa résurrection, son exaltation, nous donne à tous l’espérance que la résistance de toute liberté humaine peut être dépassée et retournée, que tout « non » proclamé peut abriter malgré tout un mouvement vers la vigne et le travail qu’il y a à faire.

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Frères et sœurs, dans les circonstances où nous sommes, l’Église comprend qu’elle a à susciter des fraternités, elle appelle les baptisés et confirmés à se constituer en fraternités. Il ne s’agit pas seulement de se réunir régulièrement pour lire quelque chose et étudier, il s’agit de vivre ce que l’apôtre décrit : « S’il est vrai que, dans le Christ, on se réconforte les uns les autres, si l’on s’encourage avec amour, si l’on est communion dans l’Esprit, si l’on a de la tendresse et de la compassion, … ayez les mêmes dispositions, le même amour, les mêmes sentiments ; recherchez l’unité… ayez assez d’humilité pour estimer les autres supérieurs à vous-mêmes. Que chacun de vous ne soit pas préoccupé de ses propres intérêts : pensez aussi à ceux des autres. » Beaucoup de vous, j’en suis conscient, ont vécu ou vivent cela dans des équipes, dans leur famille, dans leur voisinage. Vous avez sous les yeux ici l’exemple de nos Sœurs qui ont choisi que leur vie entière ne soit remplie que de cela, que de cette recherche d’une fraternité réelle. Elle peut l’être parce qu’elle n’est pas appuyée seulement sur la bonne volonté ni même sur la volonté bonne de chacune mais sur le Christ qui nous partage par l’Esprit-Saint les dispositions qui sont en lui, lui qui s’est abaissé au-delà de ce que nous pouvons voir pour nous relever et nous entraîner avec lui dans la joie de la communion avec le Père et avec tous, promis à être nos frères et nos sœurs.

« La conduite du Seigneur n’est pas la bonne » ? « Écoutez donc, fils d’Israël : est-ce ma conduite qui n’est pas la bonne ? N’est-ce pas plutôt la vôtre ? ». Mes Sœurs, frères et sœurs, la liturgie en ce dimanche nous donne une espérance formidable : nous pouvons nous convertir, nous pouvons apprendre à changer de manière de penser et d’agir, nous pouvons recevoir la grâce d’être habités par les dispositions même de Jésus, le Seigneur, le frère qui nous fait connaître la route pour que nos vies à chacun soient, un peu ou beaucoup, un travail fécond dans la vigne du Père,

                                                                                                   Amen.


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