Homélie pour le 26ème dimanche du Temps Ordinaire, journée mondiale du migrant et du réfugié - L'Eglise Catholique à Reims et dans les Ardennes

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Publié le 27 septembre 2022

Homélie pour le 26ème dimanche du Temps Ordinaire, journée mondiale du migrant et du réfugié

Homélie pour le 26ème dimanche du Temps Ordinaire, année C, le 25 septembre 2022, journée mondiale du migrant et du réfugié

L’évangile de ce dimanche, frères et sœurs, paraît simple à comprendre. Dans le contexte de la journée mondiale du migrant et du réfugié que l’Église catholique célèbre depuis 1914, son sens paraît plus évident encore : comment regardons-nous les Lazare couchés à nos portes ? Comment leur donnons-nous un peu de place dans nos pensées et dans notre cœur, et ne les traitons-nous pas comme s’il était dans l’ordre des choses qu’ils soient dans la rue, dans l’attente des miettes de nos repas que nous ne destinerions pas à nos animaux de compagnie ? Nous serons jugés sur l’amour, nous le savons, sur l’amour que nous aurons eu les uns pour les autres, à commencer par l’amour que nous aurons manifesté concrètement à celles et ceux qui, autour de nous, étaient dans le besoin. Nous savons tout cela, nous sommes prêts à l’entendre à nouveau. Certes, nous ne vivons pas tous dans « la pourpre et le lin fin » ; certes, nous ne faisons pas chaque jour des festins somptueux, mais, en comparant la situation de notre pays à celle de beaucoup d’autres, comment ne pas nous reconnaître un peu ou beaucoup ? Et comment ne pas prendre pour nous les invectives redoutables du prophète Amos qui menace ceux et celles qui « vivent bien tranquilles dans Sion » – ce pourrait être à Paris ou à Reims ou à New-York- et « qui se croient en sécurité… vautrés sur leurs divans ». Nous savons bien que l’écart se creuse entre les pays riches de ce monde et les pays pauvres, tout comme, dans chaque pays, entre les ultra-riches et le reste de la population. Comment une telle construction sociale pourrait-elle avoir les promesses de la vie éternelle ? Comment Dieu, le Créateur, pourrait-il se réjouir d’une telle inégalité aux conséquences si dramatiques pour la qualité de vie des êtres humains ?

Retenons tout cela, frères et sœurs, et acceptons de recevoir ces rudes avertissements. En cette journée du migrant et du réfugié, ils nous appellent à ne pas rêver nous enfermer dans des citadelles préservées du malheur des autres, ils nous encouragent à regarder les étrangers dans notre pays, surtout celles et ceux qui ne sont pas bien accueillis, qui viennent pour fuir des difficultés et qui en trouvent d’autres sur notre sol non comme des ennemis, moins encore comme s’ils n’existaient pas ou ne devraient pas exister, non en les accusant de beaucoup des maladies de notre pays, mais comme des frères et des sœurs avec qui nous avons à former une seule humanité.

Pourtant, ce passage de l’évangile selon saint Luc est étrange, il ne ressemble à aucun autre. Il a des airs de parabole, mais dans aucune autre parabole Jésus ne donne à ceux et celles qu’il met en scène un nom propre, ici Lazare, celui de son ami, le frère de Marthe et Marie ; dans aucune autre parabole ni aucune autre parole de Jésus il n’y a ce qui semble être une description de l’au-delà avec la mention d’une fournaise, de la proximité d’Abraham, d’un abîme entre ceux qui sont proches d’Abraham et ceux qui ont mérité d’être placés loin de lui ; nulle part ailleurs il n’est question de consolation et de souffrances, tout au plus de « pleurs et de grincements de dents », formule répétitive qui n’a rien d’une description. De plus, ce passage a placé par saint Luc, après la parabole de l’intendant malhonnête mais habile qui a été proclamée dimanche dernier et quelques paroles sur l’usage de l’argent ou de Mammon, sur la loi et les prophètes et sur l’indissolubilité du mariage, avant des propos sur le scandale et le sort de ceux qui les provoquent. Quel rapport y a-t-il entre ces morceaux disparates, quelle logique peut bien traverser le chapitre 16 de saint Luc ?

Ne croyons pas trop vite que Jésus nous donnerait des renseignements sur l’au-delà, sur ce que l’on appelle les fins dernières en nous décrivant l’enfer et le paradis ou le purgatoire. La présence d’Abraham évoque « le sein d’Abraham », cher aux Juifs, parfois représenté dans nos cathédrales, qui voit les saints réunis dans le manteau d’Abraham, le père des croyants. La mention d’Abraham nous signale plutôt que ce qui compte aux yeux de Dieu n’est pas la position sociale qu’un être humain peut occuper mais ce qui l’habite intérieurement, son dynamisme spirituel intérieur, ce que l’on peut appeler la foi ou la non-foi, la foi comme Abraham qui s’est mis en route sur l’appel de Dieu, la non-foi de ceux ou de celles qui profitent de leur situation sans accepter de se laisser transformer par quelque appel de Dieu que ce soit, pas même la misère de leurs frères et sœurs. Remarquons plutôt que tous les gens riches du temps de Jésus ne s’habillaient pas de pourpre et de lin fin.

Jésus semble ici faire une allusion aux vêtements liturgiques du grand-prêtre, de même que les cinq frères pourraient renvoyer à la structure des classes sacerdotales. Après les paraboles de la miséricorde du chapitre 15, en particulier celle du père qui avait deux fils, l’un prodigue, l’autre jaloux, la parabole de l’intendant malhonnête mais habile nous a invités à nous interroger sur l’usage que nous faisons des biens que Dieu nous confie. Comment la miséricorde et la magnanimité de Dieu sont-elles les normes de notre comportement, nous qui sommes tous des intendants de Dieu, des intendants de sa création et des intendants de sa révélation, de son pardon, de l’espérance qu’il nous ouvre. Le passage proclamé ce soir, ce que nous appelons la parabole de Lazare et de l’homme riche nous appelle peut-être à comprendre ceci : en Jésus, Dieu prend chair en Israël, il a fait sienne la religion de son peuple, préparée de longue main, mais il ne vient pas pour conforter le temple de Jérusalem ni la caste des grands-prêtres ; il ne vient pas pour conférer au peuple d’Israël une prééminence particulière sur les nations qui se traduiraient par du pouvoir, de la richesse, du prestige. Il vient pour que les richesses confiées à Israël : l’alliance avec Dieu, la connaissance de l’être humain comme une liberté incarnée appelée à faire aux autres le bien que Dieu veut pour eux, la confiance que la création et donc la vie sont fondamentalement bonnes et faites pour la bonté, le partage, la vie en plénitude, toutes ces richesses, Israël par Jésus son Messie et en lui est appelé à les partager avec les nations païennes. L’élection du peuple est faite pour le bien de tous les autres. Les promesses faites à ce peuple-là sont destinées à être étendues libéralement par lui à tous les autres, ce que fera saint Paul, ce que feront les apôtres et leurs successeurs. Les repas fastueux du riche sont l’expression de la communion d’Israël avec le Dieu vivant, du privilège d’Israël qui connaît le Dieu vivant ; le Lazare qui meurt de faim contre le portail de l’homme riche symbolise toutes les nations païennes, toutes les cultures, qui aspirent à partager la connaissance du Dieu vivant et l’intimité avec lui qui sont l’apanage d’Israël.

Alors, frères et sœurs, cet évangile est proclamé aujourd’hui pour nous. Nous sommes rassemblés pour le festin le plus fastueux qui soit puisque nous nous y nourrissions du pain de la vie éternelle et de la parole qui nous rend plus forts que les forces de la mort. Comment ouvrons-nous nos richesses, comment les rendons-nous désirables et consommables par d’autres moins bien lotis que nous ? Nous sommes déjà, en chaque Eucharistie, -nous le chantons dans l’anamnèse après le récit de l’institution et la consécration – en présence du « Souverain unique et bienheureux, roi des rois et Seigneur des seigneurs », devant celui qui « seul possède l’immortalité et habite une lumière inaccessible », celui qu’« aucun homme n’a jamais vu ni ne peut voir » mais que nous contemplons, livré pour nous, se faisant notre nourriture, dans l’humilité de l’Eucharistie. Comprenons-le : nous ne participons pas à ce festin pour notre satisfaction personnelle, fût-ce pour notre salut personnel, mais pour le salut de tous, pour servir l’œuvre du salut de tous, pour désirer pour tous et chacun la grâce d’avoir part un jour à la vie éternelle, à la plénitude de vie que Dieu veut pour chacun. Nous ne connaissons pas le Christ et ne sommes pas admis dans son intimité pour notre consolation seulement et celle de ceux que nous voulons bien reconnaître pour nos frères et nos sœurs, mais nous devrions aspirer à partager le Christ avec tous les autres humains, appelés à devenir les frères et les sœurs de Jésus et dont nous avons besoin pour nous approcher davantage de Celui qui est notre Seigneur et pour nous laisser dilater davantage par son amour.

Alors, frères et sœurs, l’humanité pour nous n’est pas faite de gens à classer en catégories, avec ceux et celles qui sont nos compatriotes et ceux et celles qui sont des migrants et de réfugiés, elle est la convergence de tous les humains dans la recherche du Dieu vivant. Bien sûr, il y a des nations et il y a des États, mais leur vérité n’est pas de se fermer les uns aux autres et de nous protéger les uns des autres, mais de nous permettre d’être de vrais et bons intendants des richesses de la création, capables de donner à tous ce dont ils ont besoin, et de partager dans la justice, la vérité et la paix, les richesses spirituelles auxquelles il est donné aux uns et aux autres de parvenir. Nous avons, nous, la grâce de savoir que le Dieu inaccessible s’est donné et se donne dans l’acte de don de soi le plus simple et le plus radical, celui dont nous recevons dans l’Eucharistie la mémoire vivante et active, qui nous envoie vers tous et toutes,

                                                                                                                                                  Amen.


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