Homélie pour le 25ème dimanche du Temps ordinaire, le 24 septembre 2023, en l’église Saint-Jacques, à Reims - L'Eglise Catholique à Reims et dans les Ardennes

Tous les articles

Publié le 26 septembre 2023

Homélie pour le 25ème dimanche du Temps ordinaire, le 24 septembre 2023, en l’église Saint-Jacques, à Reims

Homélie pour le 25ème dimanche du Temps ordinaire, année A, le 24 septembre 2023, en l’église Saint-Jacques, à Reims

La parabole que nous venons d’entendre prolonge la réponse que Jésus apporte à une question de Pierre : « Nous qui avons tout quitté pour te suivre, qu’y aura-t-il pour nous ? » C’est que Jésus, en ce chapitre 19 de l’évangile selon saint Matthieu, a appelé les siens à une vie réellement étonnante, un peu déroutante, que nous pourrions qualifier de « nouvelle » et de « paradoxale ». Il a invité à vivre le lien conjugal selon l’intention initiale du Dieu créateur, c’est-à-dire en le considérant comme indissoluble, et aussi annoncé que certains étaient appelés à ne pas se marier et à renoncer à toute conjugalité pour le service du Royaume ; il a exalté l’état des enfants et appelé à le demeurer en vue de ce même Royaume mystérieux ; il a invité à renoncer à toutes les richesses pour venir en aide aux pauvres et avoir une récompense au ciel et à s’alléger ainsi afin de le suivre, lui. D’où l’interpellation de Pierre que nous avons le droit de partager, frères et sœurs. Il n’y a pas eu besoin d’attendre notre XXIème siècle si soucieux de réalisation personnelle pour que l’on s’inquiète du chemin de vie étrange sur lequel Jésus engage, sinon tous ses amis, du moins quelques-uns d’entre eux.

Or, nous devons le dire : notre Église, surtout notre Église catholique, est structurée par le choix fait par certains de cette vie paradoxale. Dans les débats récurrents que la perspective de la prochaine session du synode des évêques réveille sur l’organisation de l’Église, n’oublions pas que le choix a été fait d’appeler ceux qui vont incarner le ministère apostolique pour aujourd’hui et pour demain : évêques, prêtres et, dans une mesure différente, diacres, parmi ceux qui consentent à adopter radicalement le mode de vie paradoxal de Jésus lui-même. Les prêtres catholiques, au moment de leur ordination diaconale, font le choix de renoncer à épouser une femme et à fonder une famille, s’engagent à vivre dans le célibat et la continence, font le choix d’accepter de recevoir une mission, c’est-à-dire d’engager leurs énergies dans des services qui leur sont prescrits par un autre, font le choix de renoncer à gagner leur vie en recevant un salaire qui puisse augmenter d’année en année pour accompagner leur croissance en compétences et en responsabilités. Ainsi, ceux et celles à qui ils sont envoyés, ceux et celles qui apprennent à les connaître, peuvent se poser la question : « Qu’y aura-t-il pour eux ? » En quoi une telle vie peut-elle être humanisante, en quoi peut-elle permettre à ceux qui la mènent de développer les richesses de leur humanité et de jouir en quelque sorte d’eux-mêmes ? ce qui mène à la question encore : pour quoi, en vue de quoi, une telle vie ? Quel sens a-t-elle, quel message adresse-t-elle, qu’apporte-t-elle à l’humanité entière ? Pourquoi l’Église se structure-t-elle ainsi ? Au lendemain de la visite à Marseille du successeur de Pierre, il est intéressant d’entendre à nouveau la question de l’Apôtre et d’essayer d’entrer dans la réponse qu’y apporte Jésus.

*******

Jésus commence en promettant à Pierre et aux Douze qu’ils siègeront sur des trônes pour juger les douze tribus d’Israël puis que « qui aura quitté, à cause de son nom, un père, une mère, des enfants, une terre, recevra le centuple » et « aura en héritage la vie éternelle », puis il enchaîne sans transition avec la parabole de ce jour : « Car le Royaume des cieux est comparable au maître d’un domaine qui sortit dès le matin. » Il me semble que la logique d’ensemble peut se résumer ainsi : ceux qui entrent dans la vie paradoxale de Jésus, le Fils de l’homme, ne perdront pas leur récompense, il faut qu’ils aient assez confiance en celui qui les appelle, mais ce sera une récompense à la fois décalée et reportée –décalée parce qu’elles ne rattrapera pas ce à quoi ils auront renoncé ; reportée par ce qu’elle vaudra pour la vie éternelle, qui n’est sans doute pas la vie d’après la mort seulement mais qui n’est pas non plus palpable comme la vie quotidienne- à condition, toutefois, qu’ils entrent dans l’esprit du maître du domaine. Car celui-ci attend des ouvriers de la première ou de la deuxième ou de la troisième heure… qu’ils se réjouissent de travailler si bien que le maître du domaine puisse donner le même salaire à ceux qui n’auront rejoint la vigne qu’en toute fin de journée. Comme évêque en donnant des missions aux prêtres, je ne prétends pas être le maître du domaine. Vous savez bien, frères et sœurs, qui il est. Tout au plus espère-je être son intendant. C’est dans sa vigne à lui que j’appelle à travailler, les prêtres, les diacres mais vous aussi, les fidèles laïcs, selon les moyens que lui, le Maître du domaine, nous donne et les forces que lui nous procure. Mais je peux le dire de sa part : il y a du travail dans cette vigne et elle peut produire du bon et beau raisin et ce raisin peut donner un vin savoureux. Il vaut la peine d’y appeler plusieurs et même beaucoup à travailler à cette vigne, dans un mode de vie un peu moins paradoxal peut-être, selon des degrés et des modes variés. Mais cela suppose que nous tous, chrétiens de plus ou moins vieille souche, trouvions notre joie en ce que le maître puisse donner à chacun, même aux ouvriers de la dernière heure le même salaire qu’à nous qui nous sommes engagés à une heure plus matinale et même que nous nous réjouissions d’en voir beaucoup toucher leur salaire avant que le nôtre nous soit donné. Il s’agit vraiment de suivre jusqu’au bout le Fils de l’homme qui sert dans la vigne du Père depuis le commencement et qui accepte que sa joie ne soit totale que lorsqu’elle sera celle du Corps tout entier.

Ainsi pouvons-nous comprendre l’affirmation si forte de l’apôtre Paul, un autre des premiers engagés dans la vigne, pas tout à fait cependant dès la première heure, mais qui a rejoint les premiers apôtres par l’ardeur et la profondeur de son service : « Je désire partir pour être avec le Christ, car c’est bien préférable ; mais, à cause de vous, demeurer en ce monde est encore plus nécessaire. » Pas plus que le Christ Jésus lui-même n’a anticipé l’heure de son retour au Père, pas davantage ses apôtres et ceux qu’il associe au ministère apostolique n’ont à choisir l’heure et les modalités selon lesquelles ils pourront rejoindre le Christ ; bien plutôt sont-ils tous appelés à travailler et à en appeler d’autres à travailler avec eux pour que le domaine de Dieu porte un fruit dont l’on puisse bénir le Créateur et produise un vin qui réjouisse pour aujourd’hui et pour l’éternité. « Demeurer en ce monde », selon le mot de l’apôtre, n’est pas y être tout bonnement ; c’est y travailler, tailler, sarcler, palisser, émonder, couper, récolter, planter, veiller avec soin, trembler devant les accidents des saisons, espérer la pluie et le soleil, entretenir chaque parcelle, non pas seuls mais en se réjouissant de voir arriver d’autres ouvriers, surtout en se réjouissant d’y mettre ses forces, d’y consommer ses énergies,  tant psychiques ou spirituelles que physiques, en apprenant à trouver sa joie dans le fait d’être au travail avec le Christ, un travail peu mesurable selon les instruments du monde, pour un fruit qui ne se pèse pas à la tonne et un vin qui ne remplit pas des fûts, mais en œuvrant cependant laborieusement, en ne doutant pas de la récompense mais en la trouvant avant tout dans le caractère nouveau et paradoxal de la vie menée, en apprenant de jour en jour, d’année en année à vivre plus chastement, à obéir avec plus de justesse, à se détacher des biens avec lucidité. Ce sont des sortes de morts qu’il s’agit d’accepter et d’anticiper, mais afin d’y découvrir une vie plus pleine, plus humanisante, vraiment divinisante, non la vie d’un être supérieur aux autres, mais celle d’un serviteur qui s’unit à son maître. Il s’agit, selon les mots de l’Apôtre, d’aider les autres à naître et à renaître, les enfanter, pour qu’ils puissent eux aussi à leur manière et pour leur part, travailler à la vigne du Seigneur. Car, dans cette vigne, chacun, s’il est bien enfanté, peut de lui-même porter du fruit et permettre de recueillir un vin de joie éternelle.

*******

Au bout du compte, dans la parabole, tous les ouvriers reçoivent le même salaire. Le paradoxe est le suivant : le maître du domaine a les moyens de donner à chacun le même salaire, mais en fait il n’a rien d’autre à donner à chacun qu’un même denier, et même nous pouvons comprendre qu’il n’a qu’un unique denier à donner à chacun et à tous. Le maître du domaine, celui qui nous a embauchés, qui aspire à en appeler avec nous quelques autres, n’a rien d’autre à donner au bout du compte que lui-même. Et notre récompense ne peut être plus belle que de posséder Dieu et notre vie ne peut être plus vivante que d’être vie en Dieu et avec Dieu et notre joie ne peut être plus enthousiasmante que d’être la joie de Dieu reçue et partagée avec tous.

Frères et Sœurs, plus que jamais en ces temps de petit nombre de prêtres, nous sommes tous appelés, vous êtes tous appelés à travailler à la vigne, celle que vous êtes et celle qu’est l’humanité, pour rendre le Maître capable de se donner tout entier, même à ceux qui rejoindront la vigne au dernier moment. Que le paradoxe de notre mode de vie paradoxalement inspire à beaucoup le désir de ce que Dieu seul peut donner, lui-même accueillant tous et chacun,

Amen.

                                                                                      

                                                                                                                            


Partager

Notre site utilise des cookies pour vous offrir une expérience utilisateur de qualité et mesurer l'audience. En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies dans les conditions prévues par nos mentions légales.