Homélie pour le 1er dimanche de Carême, célébration de l’appel décisif pour les baptisés de Pâques - L'Eglise Catholique à Reims et dans les Ardennes

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Homélie pour le 1er dimanche de Carême, célébration de l’appel décisif pour les baptisés de Pâques

Homélie pour le 1er dimanche de Carême, année B, le 18 février 2024, en l’église Sainte-Bernadette de Tinqueux, célébration de l’appel décisif pour les baptisés de Pâques

Saint Marc est le plus bref des évangélistes, son évangile est le plus concentré des évangiles qu’on appelle « synoptiques », Matthieu, Marc et Luc, parce qu’ils racontent l’histoire de Jésus avec les mêmes épisodes à peu près dans le même ordre, de sorte qu’on peut les comparer en les mettant en colonnes. Les quelques versets qui viennent d’être proclamés résument et le récit des quarante jours passés dans le désert à être tenté et le lancement de sa vie publique, le commencement de sa prédication, le signal en étant l’arrestation de Jean-Baptiste. Saint Marc attire notre attention sur Jésus avec un tableau en deux volets : Jésus dans le désert, seul et surtout silencieux, avec Satan et les bêtes sauvages et les anges ; Jésus en Galilée, encore seul, l’attention se portant sur sa prédication.

En ce début de Carême, Jésus donc. Jésus que nous sommes invités à contempler, à suivre du regard. C’est pour nous qu’il est sorti et descendu de Nazareth afin de recevoir le baptême de Jean le Baptiste, l’engagement à se convertir, à transformer sa vie pour être prêts pour le Messie ; c’est pour nous que l’Esprit le pousse au désert, afin qu’il se prépare, comme par un temps de retraite, à entrer dans sa vie publique. Il attend le signal qu’il lui fait se dévoiler et ce signal lui est donné par l’arrestation de Jean le Baptiste. Transporté de la Judée à la Galilée, l’appel à la conversion doit être poursuivi, les aléas de l’histoire ne doivent pas l’arrêter, mais elle change de contenu, cette parole, elle s’enrichit. Dans la bouche de Jésus, elle n’est plus seulement exhortation au repentir, elle est annonce de la proximité du règne de Dieu. Quelque chose, quelqu’un est là, tout proche, à quoi, à qui il faut s’ouvrir, vers quoi, vers qui il faut se tourner sans tarder.

Ce Jésus, frères et sœurs, il n’est pas né hier. Il a passé trente années dans le village de Nazareth. Il connaît l’humanité, il sait ce qu’il y a dans le cœur des humains. Il a vu la beauté de l’âme de Marie, sa mère ; il a admiré sans doute en grandissant la force paisible de Joseph ; il a aperçu le courage, la persévérance, la générosité, l’énergie des uns et des autres ; il a vu aussi, et comme il a dû en souffrir, les mesquineries, les colères jamais apaisées, les jalousies qui dévorent, les plaintes qui ne se transforment jamais en action, les besoins de posséder, de dominer, de s’approprier, de détruire. Il a vu aussi les détresses, les angoisses, les douleurs et les souffrances dont les causes peuvent être si nombreuses dans le cours des années. Lorsqu’il s’avance ainsi, inconnu, ignoré, seul, vers le baptême, puis dans le désert puis, à nouveau en Galilée pour y agir en pleine lumière désormais, il sait ce que c’est que l’humanité ; il sait qui nous sommes. Il sait qu’il doit s’engager totalement, définitivement, dans un mouvement qui le fera s’affronter avec le mal et toutes ses forces, avec la liberté humaine et toutes ses résistances. Et c’est pour nous, pour nous tous et pour chacun de nous, pour l’humanité en général et, plus encore, pour chacune et chacun un à un qu’il se porte en avant. Saint Paul récapitule ce mouvement en une formule impressionnante : « Le Christ, lui aussi, a souffert pour les péchés, une seule fois, lui, le juste, pour les injustes, afin de vous introduire devant Dieu ; il a été mis à mort dans la chair, mais vivifié dans l’Esprit. » Son dépouillement et sa défaite apparente sont les instruments de sa victoire dans l’Esprit, par la surabondance du Père.

C’est pourquoi nous sommes là, frères et sœurs, au début de ce Carême : pour apprendre à le regarder, pour le fixer mieux d’année en année et nous laisser entraîner par lui, pour le regarder seul et silencieux au désert puis pour l’entendre dans sa prédication. Vous, catéchumènes qui allez être appelés dans un instant à recevoir les sacrements de l’initiation, de manières très diverses, vous avez été touchés par Jésus, par sa parole, par son exemple, par son retentissement dans la vie de tel ou tel de vos proches. Aujourd’hui, l’Église entière vous invite à avancer vers le baptême mais, en ce dimanche, le premier de ce Carême qui vous conduit vers votre Pâque à vous, en attendant la Pâque ultime, l’Église vous recommande, par sa liturgie, de regarder Jésus, d’apprendre plus encore à le contempler, d’entrer dans une contemplation qui ne finira jamais. Être chrétien, c’est suivre Jésus, le suivre en marchant derrière lui et déjà le suivre du regard, ce qui veut dire ne pas le perdre de vue. Ce qu’il fait peut nous être impossible à imiter ; il le fait cependant pour nous, en notre faveur et à notre place, pour que nous puissions le faire un jour à notre tour et pour toujours. Ce qu’il dit peut nous éclairer ou nous surprendre, nous bouleverser ou nous dérouter, il le dit pour nous, pour vous, en notre faveur et à notre place pour qu’un jour, cette parole éclaire notre intelligence et fortifie notre volonté. Nous autres, chrétiens, baptisés de plus ou moins longue date, en ce premier dimanche de Carême, la liturgie nous rappelle qui doit être le pôle qui oriente nos regards et donne leur direction à nos pensées et à nos actes. Comme l’Église le chante le matin en ce temps de Carême : « Les yeux fixés sur Jésus-Christ, entrons dans le combat de Dieu. » 

Au contraire des deux autres synoptiques, saint Marc ne détaille pas les tentations. Il veut éviter peut-être que nous transformions ce mystère en une sorte d’anecdote. Jésus est tenté par Satan : une fois baptisé, il lui faut consentir à aller jusqu’au bout pour cette humanité qui ne paraît pas toujours en valoir la peine, et il lui faut consentir à avancer pour elle selon les voies préparées par le Père. Le combat des tentations ne se joue pas dans des objets, il se joue au plus intime de l’âme, au cœur du cœur de la liberté. Nous avons tous à mener ce combat, au long de notre vie. C’est le sens même le plus profond, le plus intéressant de notre vie, permettez-moi de vous le dire à tous : que nous acceptions de mener notre vie, en vérité, en fils ou en filles de Dieu, et pour cela que nous renoncions à nos propres voies, à nos idées trop courtes, que nous consentions en tout cas à en être tirés pour être entraînés plus loin, vers plus de vérité intérieure. Saint Marc, en revanche, met sous notre regard Jésus au milieu des bêtes sauvages et servi par les anges. Dans le désert, qui est comme un jardin dévasté, il est comme un nouvel Adam, un homme neuf, en relation d’harmonie avec tous les êtres. Mais Jésus n’est pas venu pour se tenir à l’écart de l’humanité, en ami des animaux, êtres sans liberté spirituelle, et des anges, êtres qui ne sont que liberté spirituelle, affronté à Satan, la liberté spirituelle qui refuse Dieu ; il est venu pour les humains, libertés spirituelles dans la chair et le corps, insérées dans le cosmos, solidaires de tous, il est venu pour s’en faire le frère, les ouvrir au règne du Père, les entraîner dans l’amour qu’est Dieu et dont il nous donne l’exemple, pour que nous mettions en ce monde, la charité.

Ni les animaux, sauvages ou non, ni les anges, n’ont besoin du baptême. Ils n’ont pas besoin de renaître. Ils n’ont pas besoin d’entrer dans un combat nouveau pour devenir enfin eux-mêmes. Mais nous si. Nous nous avons besoin de « l’engagement envers Dieu d’une conscience droite » et pour cela il nous faut renaître dans la mort et la résurrection de Jésus. Nous, nous ne pouvons nous contenter de nous nourrir, de survivre, de construire notre confort le moins mauvais possible. Nous, nous avons à choisir qui nous voulons être et comment nous voulons l’être. Nous, nous devons choisir de nous fabriquer nous-mêmes ou de nous recevoir de Dieu comme un don à déployer pour la joie de tous. Nous, frères et sœurs, nous ne pouvons nous contenter du fragile équilibre de ce cosmos, Dieu supportant le mal de l’humanité en le limitant un peu, comme l’indique l’alliance avec Noé et son signe fugitif qu’est l’arc-en-ciel. Nous, nous avons besoin, et vitalement besoin, d’être libérés de tout ce qui nous rend complices, même un peu, même un tout petit peu, de la mort et du refus de Dieu, et pour cela nous aspirons, parfois sans le savoir, à l’alliance nouvelle et éternelle dont le signe est le corps livré et le sang versé de Jésus et la promesse notre renaissance à tous et à chacun et chacune en artisans de paix, en serviteurs de l’œuvre du Père.

Frères et sœurs catéchumènes, à l’appel de votre prénom, avancez d’un pas ferme ; que ce pas soit le vôtre au long de ce Carême, et que votre renaissance dans la nuit de Pâques promette à l’humanité entière son salut et à tous les êtres leur plénitude. Frères et sœurs déjà baptisés, que le pas de nos amis nous encourage à contempler Jésus en ses moindres gestes, à l’écouter en chacune de ses paroles. Nous y recevrons lumière et force pour le joyeux combat de notre liberté pour l’éternité,    

Amen.


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