Homélie pour le 1er dimanche de Carême, année A, le 1er mars 2020, en la basilique Notre-Dame-d’Espérance, à Charleville-Mézières, appel décisif des catéchumènes du diocèse - L'Eglise Catholique à Reims et dans les Ardennes

Tous les articles

Publié le 3 mars 2020

Homélie pour le 1er dimanche de Carême, année A, le 1er mars 2020, en la basilique Notre-Dame-d’Espérance, à Charleville-Mézières, appel décisif des catéchumènes du diocèse

Qu’est-ce qu’un être humain ? Que veut dire être un homme ou une femme digne de ce nom ? Sommes-nous le simple produit d’une évolution irrépressible, depuis la première cellule en passant par les grands singes, destiné à vivre un moment puis à disparaître en laissant place à d’autres, ou bien sommes-nous aussi autre chose ? « Vous serez comme des dieux », promet le diable à Eve ; « Si tu es le Fils de Dieu », susurre-t-il à Jésus. Aussitôt son baptême par Jean, « Jésus, nous raconte saint Matthieu et tous les évangélistes avec lui, fut conduit au désert par l’Esprit Saint pour être tenté par le diable ». Le désert est le lieu où il n’y a rien, en tout cas le moins qui se puisse concevoir ici-bas : personne avec qui parler, pas de terre à cultiver, peu d’animaux à voir, peu de plantes à admirer. Jésus, de surcroît, y jeûne quarante jours et quarante nuits. Il n’a donc rien à faire, rien pour occuper ses journées, rien pour se distraire, rien que lui-même et par conséquent cette question qui nous habite tous : « Qui suis-je ? », « Pourquoi suis-je là ? », « Pourquoi moi, avec ce qui m’a conduit jusqu’ici ? ». Au désert, rien ne nous occupe, rien ne nous distrait, de sorte que chacun se retrouve avec lui-même en sa condition corporelle limitée et avec ce qui monte en lui des profondeurs de son esprit. Reconnaissons-le : tous les êtres humains ne sont pas capables de supporter un temps dans une telle solitude, seuls avec eux-mêmes. Il est bon que quelques-uns le vivent pour les autres.

Mais si nous tentions l’expérience, que monterait-il alors, du fond de notre être ? Avec quoi reviendrions-nous d’un tel temps au désert ? L’aspiration à « être comme des dieux » en regardant avec fascination vers le mal et les limites à transgresser, en nous affranchissant de toutes les règles reçues de notre condition humaine, ou bien aurons-nous entendu et aurons-nous choisi d’entendre et de dire à nous-mêmes et aux autres: « L’homme ne vit pas seulement de pain mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu », « Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu », « C’est le Seigneur ton Dieu que tu adoreras, à lui seul tu rendras un culte. » Le parallèle entre le récit de la Genèse et celui de Jésus tenté au désert nous éclaire : Eve et Adam, dans le jardin où tout est en abondance, finissent par ne plus voir que ce qui leur manque ; Jésus dans le désert, un jardin dévasté, choisit de faire confiance au Père. Voulons-nous devenir « comme des dieux » par nous-mêmes, en captant tout ce que nous pouvons capturer ou choisissons-nous de devenir en vérité des fils et des filles du Père, en consentant à aller au bout de l’expérience humaine ?

Car toute la Bible le proclame, dans le jeu de l’Ancien et du Nouveau Testaments : nous sommes voulus, nous chacun de nous, chaque être humain, le plus prestigieux comme le plus humble et le plus humble plus encore en un sens, nous sommes voulus par Dieu en sa bonté, suscités par lui, pour devenir autres que nous sommes, non pas des animaux peut-être supérieurs mais des personnes, chacune unique, irremplaçable, et mieux encore, des filles et des fils du Père. Pour cela vient Jésus, pour faire ce que lui seul peut faire : vivre notre condition humaine vraiment filialement, sans aucune fascination pour le mal, sans aucune complicité avec la mort et ce qui y conduit. Il ne vient pas résoudre les problèmes des hommes, ni les siens propres, et c’est pourquoi il ne transforme pas les pierres en pain ; il choisit de croire que la promesse de Dieu mène à la vie en plénitude. Il ne vient pas éblouir les autres ni défier la mort ; il choisit d’accueillir la mort lorsqu’elle viendra et comme elle viendra, dans la foi que même la mort d’un homme peut être transformée par Dieu en source de vie, parce qu’elle peut devenir le lieu du pardon. Il n’adore que Dieu, parce qu’il sait de toute la fibre de son être, que l’être humain a besoin d’adorer mais que seul le Dieu vivant, le Dieu créateur, peut être adoré en magnifiant ceux qui l’adorent, tandis que toutes les autres réalités finissent par conduire leurs adorateurs à la déchéance et à la mort. Mais il vient aussi et surtout pour briser la fatalité du mal au cœur de notre liberté. Saint Paul nous l’a rappelé. Son raisonnement peut sembler alambiqué ; en réalité, il essaie de démêler les fils embrouillés de notre condition humaine concrète : que nous le voulions ou non, en effet, nous entrons dans l’histoire humaine marqués déjà par une tendance acquise à la méfiance à l’égard de Dieu et de la vie qu’il donne, liés déjà par une certaine fascination pour la connaissance du mal et pour la mort.

Alors, frères et sœurs, voici le sens profond du Carême. Nous nous tournons plus résolument que d’habitude vers Jésus ; nous créons un certain désert autour de notre cœur, de notre âme, de notre esprit, pour pouvoir être à lui davantage, parce que nous voulons nous laisser entraîner un peu plus loin à sa suite, nous détacher de la fascination pour le mal, de l’illusion d’être « comme des dieux », pour mieux choisir d’être des fils et des filles du Père. Ce matin, au milieu de vous, je viens appeler les catéchumènes de notre diocèse pour qu’ils soient, dans la prochaine nuit de Pâques, plongés dans la mort du Christ pour avoir part avec lui à la Résurrection. Chers amis catéchumènes, chacun selon un cheminement qui lui est propre, vous avez découvert que Jésus vient vous rejoindre là où vous êtes, au cœur de votre humanité, pour vous ouvrir un chemin nouveau, et vous avez décidé de vous laisser conduire par lui. Vous avez découvert comment lui, Jésus, peut vous prendre avec lui pour vous détacher de tout attrait pour la mort et pour le mal et pour vous placer dans une alliance nouvelle avec le Père. Lui peut vous permettre non de devenir des surhommes mais de devenir des fils et des filles bien-aimés du Père, appelés à vivre pour toujours dans la joie éternelle, sachant recevoir les autres comme des frères et des sœurs à aimer et se laisser accueillir par les autres. En vous, nous autres baptisés de plus ou moins longue date, nous voyons la fraîcheur de notre premier élan vers le Christ Jésus ; de ce qui est monté du fond de notre âme, parfois dès le tout début de notre vie par la grâce de nos parents, parfois après une certaine croissance dans la vie. En vous, nous voyons l’espérance que Jésus nous ouvre : malgré nos faiblesses, malgré ce qu’il y a en nous de ténébreux, il nous fait participer à son attitude filiale, à sa joie profonde d’être le Fils bien-aimé du Père. Il nous abrite en lui, malgré nos fautes elles-mêmes, et il s’engage jusqu’au bout dans notre condition humaine pour pouvoir nous rejoindre au plus loin et combattre en nous et avec nous nos esclavages divers.

« Alors le diable le quitte. Et voici que des anges s’approchèrent, et ils le servaient. » Chers amis catéchumènes, vous allez être appelés chacune et chacun pour son nom et vous allez venir à moi pour que je vous invite à inscrire votre nom dans le registre de ceux qui seront baptisés. Soyez sûrs que toute la communion des saints, –  les anges et tous les saints et l’Église entière -, vous entoure et vous accompagne en ce temps du Carême, ces quarante jours qui vont vous conduire au baptême, c’est-à-dire à la joie d’être non pas seulement des êtres humains issus de l’humanité, mais chacun un fils de Dieu le Père, chacune une fille de Dieu le Père, tous appelés par votre nom unique à faire briller l’image de Dieu en ce monde dans l’espérance de la pleine communion éternelle,

                                                                                   Amen.
Mgr Éric de Moulins-Beaufort


Partager

Notre site utilise des cookies pour vous offrir une expérience utilisateur de qualité et mesurer l'audience. En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies dans les conditions prévues par nos mentions légales.