Homélie pour le 16ème dimanche du Temps Ordinaire - L'Eglise Catholique à Reims et dans les Ardennes

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Publié le 20 juillet 2020

Homélie pour le 16ème dimanche du Temps Ordinaire

Homélie de Mgr Eric de Moulins-Beaufort pour le 16ème dimanche du Temps ordinaire, année A, le 19 juillet 2020, en l’église Saint-Nicolas de Rethel.

Le bon grain et l’ivraie : tout le monde connaît cette parabole, tout le monde croit la connaître du moins. On la cite facilement pour exhorter à la patience, pour rendre compte du problème du mal. Dieu nous laisse libres, il tolère notre péché et par conséquent tous les dégâts que le péché produit dans le monde parce que c’est la condition pour laisser éclore tout ce que les êtres humains portent de positif. Ce n’est qu’au bout du bout, à la fin de l’histoire, que le fruit de chaque acte et de chaque vie apparaîtra dans sa vérité et que le tri sera possible. La parabole nous appelle à avoir confiance, à ne pas nous étonner et moins encore nous scandaliser qu’il y ait ici-bas un mélange parfois redoutable du bien et du mal, du bon et du mauvais, elle nous rassure quant au fait que justice sera rendue un jour, que ceux et celles qui font du bien et ceux et celles qui font du mal ne resteront pas éternellement confondus.

De cette parabole, Jésus donne à ses disciples une explication, celle que je viens de reprendre à ma manière. Mais il y a les deux autres, celle de la graine de moutarde et celle du levain. De celles-là, curieusement, les disciples ne demandent pas l’explication. Pourtant, elles sont, celles-là, positives, purement positives : une petite chose devient grande, sans qu’on ait grand-chose à faire une fois qu’elle est semée ou, pour le levain, qu’il est enfoui dans la farine. S’il y a parabole, c’est cependant qu’il convient de réfléchir. Il y a une énigme. En fait, jamais l’explication d’une parabole ne remplace tout à fait celle-ci. Nous pressentons au moins ceci : le royaume des Cieux commence comme une petite graine, la plus petite de toutes ; il commence modestement, par des réalités cachées, par des réalités intérieures, et peu à peu, il finit par sortir de terre, par se dresser, par se voir, et il sert d’abri à beaucoup, à tous ceux et toutes celles qui méritent d’être qualifiés d’« oiseaux du ciel », c’est-à-dire tous ceux et toutes celles qui sont capables de vivre des réalités d’en haut. L’autre parabole, celle du levain, nous dit que le royaume est intégré à l’humanité, disons : à la pâte humaine ; on ne le distingue pas du reste, il disparaît dans la masse et, pourtant, il la fait lever. Il transforme de l’intérieur la pâte en un pain qui peut être mangé, nourrissant et réjouissant. Le royaume des cieux vient d’un autre lieu que de l’humanité ou de la terre, il descend du ciel, et pourtant il se mêle à l’humanité et à la vie terrestre, il s’y fond, il semble y être absorbé et c’est alors qu’il produit son effet, de l’intérieur, élevant tout, soulevant tout, faisant de l’humanité une réalité une et consistante et forte et belle.

Frères et sœurs, la question nous est posée : sommes-nous capables de voir le royaume à l’œuvre ? On peut vivre en ce monde et se lamenter de tout ce qui ne va pas. Il est bon que nous soyons lucides, il n’y a pas de sens à être naïfs, à ne pas repérer les forces de destruction ou de dissolution de notre dignité humaine qui agissent sur cette terre ou qui agissent dans nos cœurs. Mais il nous est offert, à nous, disciples de Jésus, d’être supra-lucides et de voir, de repérer, qu’une réalité d’un autre ordre, tout à fait nouveau, tout à fait inattendu, s’est mêlée à notre histoire humaine et à chacune de nos histoires et les transforme et nous fait vivre autrement. Au milieu des sujets de tristesse, d’inquiétude, d’angoisse, nous devrions être de ceux et de celles qui voient le royaume qui travaille comme un ferment ou qui pousse comme la graine de moutarde, toute petite chose souvent mais appelée à devenir un grand arbre pour le réconfort et la joie de beaucoup.

Les paraboles nous en disent encore un peu plus. Vous aurez remarqué que les deux dernières comparent le royaume des Cieux à des objets : une graine de moutarde, un peu de levain, mais des objets utilisés, non pas inertes : la graine est semée, le levain est enfoui. Quelqu’un agit : un homme, une femme. La première parabole, celle du bon grain et de l’ivraie, est un peu différente : « Le royaume des Cieux est comparable à un homme », « un homme qui a semé du bon grain ». Le royaume des cieux n’est pas une idée lointaine, il n’est pas une utopie impossible, il n’est pas non plus une théorie révolutionnaire. Jésus explique que l’homme qui sème le bon grain est « le Fils de l’homme ». Cet homme-là ne sème rien d’autre que lui-même. Jésus ne sème rien d’autre que lui-même, Sa parole n’est pas faite d’idées qu’il pêche on ne sait où, ni de théories issues d’analyses savantes. Sa parole dit ce qu’il fait et qui il est, le Fils bien-aimé du Père venu se faire notre frère pour nous unir à lui comme ses frères et ses sœurs autant que nous le voulons. Sans doute, lui-même explique que le bon grain est fait des « fils du Royaume », mais le tout premier, l’unique, celui qui rend les autres possibles, c’est lui-même. L’image du grain semé, de la graine plantée, du levain enfoui, annonce l’incarnation du Fils de Dieu, le fait qu’il prend notre condition humaine pleinement, totalement, sans réserve, et elle annonce aussi sa mort et sa résurrection. Le mystère du Royaume, son secret, si vous préférez, est la vie donnée, non pas la vie gardée pour soi, sauvegardée de tous dangers, la vie donnée, livrée, abandonnée, pour que tous les autres vivent et vivent pleinement. Alors, les paraboles contiennent une double promesse.

La première est que le royaume des cieux commence par Jésus mort, mis au tombeau, enfoui dans la terre, et qu’il éclate pourtant et devient un arbre de vie dont beaucoup profitent. Nous ne devons pas nous étonner que ce qui vient du Christ soit parfois tout petit, réduit comme à presque rien, comme nous en avons peut-être l’impression en ces temps que nous vivons, parce que c’est sa logique à lui, la logique du royaume : commencer tout petit, faire son œuvre de l’intérieur, de l’intérieur de la terre et de l’intérieur du cœur humain, en allant chercher chacun un à un, âme par âme, liberté par liberté. Long et lent travail, souvent inaperçu, souvent insensible, et soudain : une conversion se produit, un changement de vie, une lumière s’offre à quelqu’un.

La seconde est que Dieu n’est jamais inactif. Le grain semé ou le levain enfoui ne cessent de produire leurs effets. Ils se décomposent pour donner la vie qu’ils portent. Mais surtout l’homme qui sème le bon grain ne reste pas les bras sur les hanches à regarder l’ivraie pousser et risquer d’étouffer le bon grain. En fait, il livre sa vie, il s’engage, il part au corps à corps pour couper la tête de l’ivraie. Il nous dispense de le faire, parce que nous avons toujours trop partie prenante avec l’ivraie, le principe du mal. Lui et lui seul peut se donner et affronter l’ivraie face à face. Il nous offre la liberté d’agir ensuite, malgré nos faiblesses et nos fautes, parce que lui est descendu dans les profondeurs de la terre mais aussi de nos libertés pour couper l’esclavage du mal, l’étouffement par les forces mauvaises. Le livre de la Sagesse le pressentait : la puissance de Dieu ne se mesure pas à sa capacité à détruire son peuple pécheur ; il n’y aurait alors plus d’humanité depuis longtemps. Sa puissance s’exerce plutôt par le fait qu’il retient sa main, nous laisse du temps et de l’espace pour vivre et agir et même pour pécher parfois gravement, atrocement, mais pour nous convertir, pour nous laisser le temps et nous prêter sa force afin que nous changions de vie et d’agir.

Savons-nous, frères et sœurs, vivre dans l’espérance ? Non pas faire semblant que tout aille bien. Au contraire : constater ce qui va mal, regarder les souffrances et les douleurs du monde et de la création en face, et oser croire que Dieu nous ouvre une issue, que du bon grain pousse encore malgré tout, et que son attente reflète celle de Dieu. Il arrive que, dans ce monde où le bien et le mal sont mêlés, où le bon et le mauvais sont liés l’un à l’autre, nous ne sachions plus nous situer. Entendons la parole de l’Apôtre : « L’Esprit-Saint vient au secours de notre faiblesse, car nous ne savons pas prier comme il faut. » Il se peut que nous ne sachions « à quel saint nous vouer ». Osons demander avec simplicité ce dont nous avons besoin et croyons que Dieu fait avancer son royaume plus et mieux que nous ne le voyons, pour nous comme pour chacun. N’ayons pas honte de ne pouvoir reconnaître toujours son action mais espérons sans désespérer qu’il agit toujours, puisqu’il le promet.

Que le Seigneur Jésus, lui qui nous offre ses paraboles, nous affermisse dans l’espérance et la tranquillité du cœur, en toutes circonstances,                                                                             

Amen.

+Eric de Moulins-Beaufort


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