Homélie pour le 12ème dimanche du Temps Ordinaire - L'Eglise Catholique à Reims et dans les Ardennes

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Publié le 25 juin 2020

Homélie pour le 12ème dimanche du Temps Ordinaire

Homélie de Mgr Eric de Moulins-Beaufort pour le 12ème dimanche du Temps ordinaire, année A, le 21 juin 2020, en la chapelle du Carmel de La Fontaine-Olive.

« Ne craignez pas les hommes ». L’Évangile est une bonne nouvelle, c’est ce que le mot même veut dire en grec. « Ne craignez pas les hommes » : voilà une bonne nouvelle, alors qu’il y a tant de raison de les craindre, si on y regarde bien, en tout cas d’en craindre certains. Jésus s’adresse à ses apôtres qu’il envoie, en avant de lui, préparer ses chemins, dans les villes et les villages. Il s’adresse donc à nous, qu’il envoie vivre en ce monde d’une manière un peu différente, une peu décalée. Nous portons toujours en nous le rêve que tout le monde soit chrétien, que toutes celles et tous ceux qui nous entourent soient des chrétiens, et même de bonnes chrétiennes et de bons chrétiens à notre manière, de sorte que nous soyons approuvés en tout et que tous se comportent comme nous attendrions qu’ils se comportent. En réalité, à la mesure même où nous vivrons en vérité du Christ, nous serons en décalage avec plusieurs ou avec beaucoup autour de nous, et ceux-là aussi parmi eux qui vivront du Christ seront en décalage léger ou important avec nous. Car il n’y a pas deux manières parfaitement semblables de vivre en disciples du Christ ; ce qui doit être commun est de ne pas avoir peur du regard des autres, ni même de son propre regard sur soi et d’oser vivre à partir du Christ, selon le Christ, en mettant en œuvre sa parole selon ce que chacun comprend. Au milieu de l’Église, les religieuses et très particulièrement les moniales et très spécialement les Carmélites incarnent ce décalage de manière concrète : les autres baptisés, laïcs ou prêtres ou consacrés et consacrées, ne vivent pas exactement comme elles et pourtant chacun sent que la présence d’un monastère ou d’un prieuré renforce tous les autres chrétiens.

Il y a bien sûr des hommes et des femmes qui vivent dans un décalage bien plus grand. Nous le sentons aujourd’hui plus que jamais : un immense pan de la culture contemporaine s’établit et grandit dans l’ignorance de la réalité chrétienne et souvent dans le mépris de la réalité chrétienne jugée archaïque, pernicieuse, cause de discriminations, de violences, de souffrances. Pourtant, nous ne cessons de recevoir l’appel du Seigneur : « Ne craignez pas les hommes ». Il le fonde en distinguant ceux qui tuent le corps et celui qui peut tuer et le corps et l’âme. Face à l’un mais aussi face à l’autre, il nous assure que le Père nous connait, que le Père veille sur nous, de sorte que tous les cheveux de notre tête sont comptés. Ces cheveux que nous perdons chaque jour et qui repoussent chaque jour (moins chez certains, davantage chez d’autres), sont la part la plus extérieure de notre corps. Lorsqu’ils tombent, ils ne nous privent pas de nous-mêmes. Leur chute peut changer l’aspect de notre visage mais, sauf exception, pas notre être profond. La promesse de Jésus : « Même les cheveux de votre tête sont tous comptés » est promesse que le Père récapitule, ramène à la tête tout ce que nous faisons, tout ce que nous éprouvons, tout ce que nous portons. Lui, le Père, dans le secret, tisse notre être réel à chacun ; lui récupère tout ce qu’il y a à récupérer de nous, et même notre corps blessé, et même notre âme abîmée, pour façonner à frais nouveaux celui ou celle que nous avons à être.

Pourquoi craindre alors celui qui peut nuire non seulement au corps mais aussi à l’âme ? Jésus, pour être précis, ne nous dit pas de le craindre, mais de le craindre plutôt, comme s’il disait : si vous devez craindre quelqu’un, que ce ne soit pas celui qui n’atteint que votre corps, que ce soit celui qui s’attaque aussi à votre âme. Car le premier, tout notre être nous indique de lui résister, de l’éviter, de ne pas devenir son complice, tandis que celui qui peut nuire à notre âme est moins visible, moins repérable, moins sensible. Nous pourrions ne pas nous en méfier, le plus souvent nous ne le voyons pas venir. Il nous entraîne dans son œuvre de démantèlement de l’œuvre de Dieu, alors que Dieu agit toujours pour reconstruire, renouer, retisser, façonner à nouveau. Saint Paul synthétise ainsi génialement l’histoire de l’humanité : le péché est la force qui défait, qui dénoue, qui défait la tapisserie de l’aventure humaine, et il semble l’emporter toujours, alors qu’en réalité, la tapisserie est reprise de l’intérieur par l’œuvre de l’Unique, celle qui s’opère dans le véritable secret, le secret du cœur de Dieu, qui renoue les liens de notre humanité et qui en noue de nouveau pour que la tapisserie reprise soit plus belle que la première.

Il y a donc des hommes méchants et des femmes méchantes, qui font du mal au corps et au psychisme de leurs victimes. Il y a des hommes et des femmes qui torturent, qui humilient, qui bafouent, qui persécutent, qui semblent trouver de quoi rendre leur vie intéressante en faisant souffrir corporellement ou psychologiquement leurs semblables. Il y a en a eu dans l’histoire, nous entendons parler de certains d’entre eux ici ou ailleurs, il peut s’en trouver dans nos familles, dans nos entourages. Ce ne sont pas forcément ceux ou celles qui ne nous comprennent plus et qui nous méprisent. Certains de ceux-là peuvent chercher à nuire aux disciples de Jésus, certains peuvent chercher à convaincre les disciples d’abandonner leur maître. Ils ne sont pas les plus dangereux. Nous devons constater qu’il en ait dans les disciples même de Jésus, ceux et celles qui commettent des abus de pouvoir ou des abus sexuels, qui cherchent à tenir les autres sous leur emprise.  Nous pouvons leur chercher des excuses, mais Jésus ne nous appelle pas à être naïfs. Il nous appelle à ne pas nous laisser emprisonner dans le mal que ceux-là ou celles-là peuvent nous faire, et il nous promet qu’il y a en nous plus profond que ce que les menées des hommes peuvent atteindre. Il y a même plus profond en nous que ce que le diable peut atteindre. L’ennemi cherche toujours à nous faire croire que nous ne sommes pas capables du bien, que nous ne pouvons que nous laisser entraîner dans ce que nous faisons de mal. Si nous avons subi un mal profond, il tâche de nous persuader que nous en sommes complices, que nous y avons collaboré. Mais plus profond que lui est le regard du Père, de celui qui voit dans le secret, de celui qui nous reconnaît comme ses fils et ses filles et qui œuvre, en Jésus son Bien-Aimé, pour récapituler tout ce que nous avons fait ou faisons, tout ce que nous avons éprouvé ou éprouvons, pour nous refaçonner selon le meilleur. Quoi qu’un être ait subi, nous devons croire, nous pouvons croire que le Père le connaît comme nul ne peut le faire et que le Père comme nul ne le peut, pas même lui.

Frères et sœurs, osons donc vivre le décalage auquel nous appelle Jésus.  Acceptons d’être des envoyés en ce monde, chargés d’y porter la bonté de Dieu, quoi qu’il en soit du regard des autres. Ayons confiance que le Père se charge de notre cause et nous recrée sans cesse, à partir de nous-mêmes, pour la vie éternelle. Entendons la promesse de Jésus : « Quiconque se déclarera pour moi devant les hommes, je me déclarerai pour lui devant mon Père ». Il ajoute : « Celui qui me reniera devant les hommes, je le renierai devant le Père » et nous pouvons entendre cela comme une menace. Peut-être ferions-nous mieux d’y entendre exprimer l’infini respect qu’il veut avoir de notre liberté,

                                                                    Amen.


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