Homélie pour le 12ème dimanche du Temps ordinaire, en la collégiale Saint-Junien, clôture des ostensions - L'Eglise Catholique à Reims et dans les Ardennes

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Publié le 27 juin 2023

Homélie pour le 12ème dimanche du Temps ordinaire, en la collégiale Saint-Junien, clôture des ostensions

Homélie pour le 12ème dimanche du Temps ordinaire, année A, le dimanche 25 juin 2023, en la collégiale Saint-Junien, clôture des ostensions

« Rien n’est voilé qui ne sera dévoilé, rien n’est caché qui ne sera connu. » Vous entendez le paradoxe énoncé par Jésus : les secrets sont faits pour être proclamés. Il y a plusieurs sortes de secrets. Il y a des secrets honteux qui ne devraient pas exister. La parole du Seigneur s’applique à eux aussi. Une fois mis au jour, ces secrets n’en sont plus, ils n’ont plus à rester confidentiels. L’Église en fait l’expérience, en ces années où nous sommes, vous le savez, frères et sœurs, et elle expérimente combien la venue au jour de tels secrets est une œuvre de lumière, de justice, de vérité et de paix. L’expérience est douloureuse, elle est bienfaisante aussi, il faut le reconnaître. La parole de Jésus n’est pas une menace, elle est plutôt une promesse. Mais il y a un tout autre secret, le grand secret de la vie humaine. Ce secret-là, Jésus en est le porteur pour l’humanité entière. C’est un bon et beau secret, qui ne cesse pas d’être chuchoté à l’oreille, même lorsqu’il est proclamé sur les toits.

De quoi s’agit-il ? Comment dire ce secret ? Il est difficile à proclamer devant une foule aussi grande que celle que nous formons aujourd’hui. Il n’est pas sûr que tout le monde en perçoive l’importance. Et pourtant nous l’avons entendu à l’instant. Il a été lancé, en quelques mots, à nos oreilles, à nos intelligences donc et à nos cœurs. Il avait retenti jadis au cœur de saint Amand et au cœur de saint Junien, ils l’entendaient, l’un et l’autre, retentir pour eux même au plus profond de la forêt de Comodoliac. Écoutons-le encore : « Soyez donc sans crainte : vous valez bien plus qu’une multitude de moineaux. »

Sommes-nous capables, frères et sœurs, d’entendre cette parole ? Elle est dite, discrètement mais certainement, au plus intime de nos êtres ; elle est dite à chacune, à chacun de nous, « dans le creux de l’oreille » en vue d’être proclamée « sur les toits ». Elle nous dit deux choses : « Soyez donc sans crainte ». Mais pouvons-nous entendre cela, alors que nous sommes en un temps de l’humanité qui est rempli de motifs d’inquiétude ? Elle nous dit encore : « Vous valez bien plus qu’une multitude de moineaux ». Dite ouvertement, lancée publiquement, cette parole risque d’être considérée comme banale. Qui ne sait aujourd’hui que chaque être humain a une valeur incomparable ? Qui ne dit, partout et sur tous les tons, la dignité inaliénable de chacune et de chacun ? Il y a là un fondement de nos sociétés libérales, un socle pour la revendication de bien des droits. En revanche, cette parole dite au creux de l’oreille prend une force nouvelle : « Tu vaux bien plus qu’une multitude de moineaux ».

Car, frères et sœurs, un des aspects du drame humain, du drame que sont chacune de nos vies, est que chacun de nous doute de lui-même. Même si je suis comblé de dons, même si je vis dans une certaine aisance, même si je suscite de l’affection, de l’admiration et même de l’amour, je suis et je reste toujours un petit garçon ou une petite fille qui s’inquiète de valoir assez aux yeux des autres. A fortiori si je me connais des limites et même des défauts, des failles. Les mieux lotis d’entre nous, de quelque manière que l’on définisse la part qu’ils ont reçue, au plus secret d’eux-mêmes ont à surmonter ce doute qui accompagne tout être humain : vais-je mériter d’être aimé comme je voudrais l’être ? Une bonne part de la marche de notre vie consiste à surmonter ce doute originel, à tâcher de l’apaiser, de le distraire, consiste à nous réconcilier avec nous-mêmes. Or, Jésus dit cela à ses disciples pour qu’ils le disent à tous et à chacun mais non pas comme une parole générale seulement, à le dire surtout comme ce qui est dit au plus intime de chacune et de chacun, comme ce que Dieu, le Créateur, rêve de faire entendre au creux de chacune et de chacun des humains, comme ce que lui, Jésus, le Fils bien-aimé, veut dire à l’intime de tous : « Tu vaux mieux qu’une multitude de moineaux » ; « Vous valez mieux qu’une multitude de moineaux » ou encore : « Même les cheveux de votre tête sont tous comptés. » Voulons-nous bien entendre cela, frères et sœurs, et prendre au sérieux une telle parole ?

Les ermites, saint Amand et saint Junien, autour desquels nous nous réunissons aujourd’hui, dont les reliques sont le trésor caché et exposé de cette semaine d’ostension, point d’orgue des ostensions limousines, ont vécu de cette parole et à cause d’elle. Ermites, ils avaient renoncé à avoir une utilité sociale, même minime. Leur existence ne se justifiait que par l’écoute de la parole de Dieu apportée par le Christ Jésus, le Messie d’Israël. Ils ne l’ont pas entendue comme une parole générale, adressée à tous dans l’abstraction de l’intelligence de tous, mais comme une parole murmurée, qui exprime à l’intime de l’autre ce que l’on a de plus important à lui dire. Ils ont voulu écouter la parole de Dieu, y prêter toute l’attention de leur être et n’avoir d’autre activité, d’autre signe de leur valeur aux yeux des autres, que leur attention à la parole dite par Dieu en Jésus le Christ.

Il nous faut comprendre encore autre chose. Nos ermites avaient pris au sérieux une vérité que notre époque a du mal à entendre, ce que nous, à notre époque, avons beaucoup de mal à accepter. Écoutons, frères et sœurs, ce qu’écrit l’apôtre saint Paul : « Nous savons que par un seul homme, le péché est entré dans le monde, et que par le péché est venue la mort. » Ici se fonde la doctrine catholique du péché originel. Nous n’aimons pas beaucoup, en nos jours, cette thématique. Notre culture libérale déteste cette idée. Et pourtant, si nous réfléchissons un peu, nous la vérifions : il suffit d’un seul pour que tout soit gâché. Il suffit d’un seul, dans un village, dans une famille, dans un couple, dans un pays, un seul qui transgresse les règles, un seul qui prend ce qui ne lui appartient pas, un seul qui dit ce qui n’est pas vrai, un seul qui choisit toujours son intérêt à lui sans se soucier du droit des autres, pour que tout devienne compliqué et que s’ouvre un chemin de division, d’opposition, de conflits, un chemin qui conduit tout droit à la mort, symbolique ou réelle, de quelques-uns et de tous

Or, si nous réfléchissons avec lucidité, ce « un seul », nous savons bien qu’il est chacun de nous aussi. Aucun de nous, en effet, s’il est honnête, ne peut dire : jamais je n’ai été celui-là par qui le péché, c’est-à-dire non pas seulement la faute morale, non pas tant la transgression, mais le manque d’amour et même le refus d’aimer, est entré dans le monde. Tous, nous pouvons identifier un moment au moins où nous avons peut-être même fait tout ce qui était bien, tout ce qui était légal, où nous avons donné tout ce qui était dû, mais pour faire du mal, pour blesser, pour priver un autre, pour humilier quelqu’un, pour nous établir au-dessus de lui.

En tout cas, saint Amand et saint Junien, eux, avaient compris cela et c’est pourquoi ils sont devenus ermites. Ils voulaient travailler sur eux-mêmes pour basculer du côté de l’autre « un seul homme » dont parle l’apôtre, celui dont il est vrai de dire : « Combien plus la grâce de Dieu s’est-elle répandue en abondance pour la multitude, cette grâce qui est donnée en un seul homme, Jésus-Christ ». Amand et Junien, chacun à sa manière, en s’entraidant l’un l’autre, ont consacré leurs vies à ne pas céder à l’attraction du premier « un seul homme », celui par qui le péché est entré dans le monde et par le péché est venue la mort, et se laisser habiter par l’autre « un seul », l’unique par qui la grâce, c’est-à-dire la bonté et la lumière et la force de Dieu surabonde pour tous.  Ils ne s’étaient pas retirés dans la forêt pour échapper à un monde mauvais et se complaire dans un groupe de purs, mais parce qu’ils étaient conscients de leur complicité possible avec le péché, parce qu’ils craignaient « celui qui peut faire périr dans la géhenne l’âme aussi bien que le corps » et qu’ils voulaient se laisser travailler de l’intérieur par la promesse du Dieu créateur, telle que le prophète Jérémie par exemple nous l’a fait entendre à l’instant : « Chantez le Seigneur, louez le Seigneur : il a délivré le malheureux de la main des méchants. »

 Amand et Junien n’ont pas cherché à posséder des biens, leur empreinte carbone a été plus que modérée même s’ils s’en sont peu souciés, et cependant leur mémoire s’est poursuivie jusqu’à vous, parce que, en eux, la grâce de Dieu a resplendi, transfigurant leur humanité, faisant d’eux des porteurs, non de mort, mais de vie. Dans leur pauvreté, dans leur dépouillement, dans leur retrait de la vie sociale ordinaire, ils sont devenus des gages d’espérance pour beaucoup d’autres. Leur exemple a permis que nos ancêtres, peu à peu, construisent une société fondée sur les droits réciproques des uns et des autres mais aussi sur la liberté de chacun ou de chacune de faire un bien plus grand que ce qui est dû, fondée sur l’abandon de la vengeance privée au profit d’une justice commune mais aussi sur la réhabilitation des coupables, fondée sur le respect de la dignité de chacune et de chacun mais aussi sur le devoir de protéger davantage les plus faibles.

Votre région a été une région de luttes sociales. Elles étaient nécessaires. Les sociétés humaines ne se transforment pas d’elles-mêmes. Trop facilement, les uns et les autres résistent à céder les avantages qu’ils ont acquis, les privilèges qu’ils ont pu s’attribuer. L’idée de la justice évolue aussi à travers le temps, les exigences de chacune et de chacun se font plus grandes. Saint Amand et saint Junien vous ont peut-être encouragés dans vos combats. Ils vous ont donné d’espérer qu’ils n’étaient pas vains. Puissent-ils continuer à vous inspirer. Notre époque, frères et sœurs, est traversée de peurs : peur de l’avenir climatique et écologique, peur des migrations, peur de la guerre dont nous faisons l’expérience qu’elle peut toujours réapparaître, quelles que soient nos organisations sophistiquées. Elle est marquée aussi par la revendication croissante des droits, l’attente par chacun que tous les autres le reconnaissent dans sa singularité et que les collectivités s’organisent pour rendre possibles les singularités les plus excentriques. Ces phénomènes tiennent assurément à une évolution des sociétés d’abondance que nous avons créées, ils viennent aussi de la sécularisation des esprits et des cœurs. Beaucoup de nos contemporains, peut-être plusieurs parmi nous, ont du mal à entendre le secret que nous méditons ce matin : « Soyez sans crainte : vous valez plus qu’une multitude de moineaux ». La sécularisation nous empêche de l’entendre dit par quelqu’un, par Celui-là qui l’a prononcée pour nous. Alors, on cherche avec anxiété de quoi vérifier son existence, de quoi renforcer son sentiment d’être reconnu par les autres, alors on revendique, parfois avec colère, des droits nouveaux ; alors on regarde la maladie et la mort avec angoisse. Saint Amand et saint Junien nous rappellent qu’une autre vision de la vie est possible, qu’une autre conception des rapports humains est possible, qu’une autre représentation de la justice est possible, fondée non sur la crainte, mais sur l’écoute de ce double secret : « Tu vaux plus qu’une multitude de moineaux » ; « Chantez le Seigneur, louez le Seigneur : il a délivré le malheureux de la main des méchants. »

Frères et sœurs, prions pour que saint Amand et saint Junien nous inspirent encore. Que nous sachions comme eux écouter le grand secret que Jésus nous dit à l’oreille, afin que nous puissions le proclamer sur les toits, le grand secret qu’Amand et Junien ont entendu murmurer par les arbres de la forêt de Codomoliac, que le soleil et la lune, la douceur ou la splendeur de la création nous répètent à l’intime de notre corps et de notre être, le grand secret que le moindre être vivant nous rappelle, dans l’émouvante beauté du plus petit oiseau ou du moindre animal : « Soyez sans crainte : vous valez mieux qu’une multitude de moineaux » ; « Chantez le Seigneur, louez le Seigneur : il a délivré le malheureux de la main des méchants ». Puissions-nous comme eux y recueillir de quoi apaiser le petit enfant inquiet qui habite chacun ou chacune de nous et y puiser de quoi nous engager dans la vie sociale non pour y faire entrer le péché mais pour y servir la grâce qui surabonde,

                                                                                                                                   Amen


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