Homélie pour le 11ème dimanche du Temps ordinaire, le 18 juin 2023, en la chapelle du monastère de Saint-Thierry - L'Eglise Catholique à Reims et dans les Ardennes

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Publié le 19 juin 2023

Homélie pour le 11ème dimanche du Temps ordinaire, le 18 juin 2023, en la chapelle du monastère de Saint-Thierry

Homélie pour le 11ème dimanche du Temps ordinaire, année A, le 18 juin 2023, en la chapelle du monastère de Saint-Thierry

Frères et sœurs, après le temps pascal, après les grandes fêtes qui ouvrent la reprise du temps ordinaire : fête de la sainte Trinité, fête du saint-sacrement du Corps et du Sang du Christ, fête du Cœur de Jésus et du cœur de Marie, nous reprenons la lecture presque continue de l’évangile selon saint Matthieu et il est heureux que nous entendions ce que nous venons d’entendre : le regard de Jésus sur les foules et l’envoi des Douze en mission.

Tout le mystère chrétien, toute la vie chrétienne, vient de cela : « Voyant les foules, Jésus fut saisi compassion envers elles ». La compassion de Jésus le saisit aux entrailles en voyant comme les humains sont la proie de la maladie, des infirmités, de la mort qui menace toujours, mais aussi de l’incertitude du lendemain (que seront les récoltes ? y aura-t-il la paix ou les puissants s’affronteront-ils ?) et donc de la crainte de manquer. Dans ce regard de Jésus, il n’y a pas de morale, seulement la réaction de quelqu’un qui voit l’humanité être empêchée de vivre pleinement et de quelqu’un qui est âgé d’une trentaine d’années, qui a donc eu le temps de connaître les humains, d’en partager les joies et les douleurs, les espoirs et les déceptions. Nous pouvons dire plus encore : la compassion de Jésus exprime celle de Dieu même. C’est la compassion du Dieu vivant d’Israël qui est descendu et a vu la misère de son peuple en Égypte et qui l’en a tiré, le portant « comme sur les ailes d’un aigle », avons-nous entendu Moïse raconter. En Jésus, la compassion du Dieu vivant, du Dieu créateur, devant ce que son peuple est devenu, prend forme en un cœur humain qui s’en laisse totalement habiter.

Saint Matthieu ajoute ce que nous connaissons bien : « Jésus fut saisi de compassion, parce qu’elles étaient désemparées et abattues comme des brebis sans berger. » Il vaut la peine de nous arrêter un moment sur cette comparaison. Un peu facilement, trop vite, on en déduit, et peut-être l’Église en son histoire en a-t-elle déduit trop rapidement, que la solution était de fournir des pasteurs à ces brebis errantes. Pourtant, Jésus, en tout cas à ce moment-là du récit évangélique, n’envoie pas ses disciples pour prendre en main les foules, pour les encadrer, les guider, pas même pour les exhorter, pas même pour leur rappeler la loi de l’alliance. Lui-même ne parle pas de bergers mais d’ouvriers pour la moisson, ce qui n’est pas la même image. Il les envoie proclamer « que le royaume des Cieux est tout proche » et il leur donne comme mission : « Guérissez les malades, ressuscitez les morts, purifiez les lépreux, expulsez les démons. » Il ne les charge pas de commander les foules, il leur donne la capacité de faire goûter ce qu’ils annoncent : « Le royaume des Cieux est tout proche. » Non, le règne de la mort, de la maladie, du manque, de la peur, de la souffrance, n’est pas le dernier mot de la condition humaine. Oui, la condition humaine se trouve transformée parce que Dieu s’approche. En fait, Dieu ne cesse pas et n’a pas cessé d’être le berger de son peuple. Dieu ne cesse pas et n’a pas cessé de s’approcher du peuple choisi pour le conduire vers des sentiers de vie, mais la capacité à se laisser guider, la capacité à lui faire confiance, la capacité à se réjouir d’être conduits par un tel pasteur, cette capacité-là s’est amoindrie.

Sans doute, frères et sœurs, entendez-vous avec surprise les consignes de Jésus : « Ne prenez pas le chemin qui mène vers les nations païennes et n’entrez dans aucune ville des Samaritains. Allez plutôt vers les brebis perdues de la maison d’Israël. » Nous sommes habitués à penser que Jésus a élargi le champ de l’alliance à tous les peuples, nous nous émerveillons de le voir aller sans préjugé apparent vers les Samaritains ou les évoquer sans réserve. Pourquoi ici cette limitation à l’envoi des disciples ? Sans doute parce qu’il s’agit encore d’une première mission, d’une première phase dans l’envoi. Ce n’est pas seulement l’humanité entière qui est comme des brebis sans berger, mais le peuple élu, le peuple choisi, le peuple saint sanctifié par l’alliance avec Dieu et le don de la Loi, le peuple qui bénéficie dans le Temple de Jérusalem et la liturgie de chaque sabbat d’une présence toute particulière de Dieu : ce peuple-là lui-même ne comprend plus. Ce peuple n’est plus capable de vivre avec un autre horizon que la mort, le manque, la peur. Il ne voit plus l’horizon de Dieu, du pardon, de la réconciliation, de la présence, de la communion. Jésus envoie donc d’abord ses disciples vers ceux et celles qui ont été formés par des siècles de vie selon l’alliance, par des siècles d’apprentissage de la Loi de Dieu, par la prière des psaumes et la mémoire des hauts faits de Dieu.

Pour élargir à tous les humains, il faut attendre encore un pas de plus, le pas que Jésus va faire. Nous l’avons entendu décrit par saint Paul : « Alors que nous n’étions encore capables de rien, le Christ, au temps fixé par Dieu, est mort pour les impies que nous étions. » Et il ajoute, nous l’avons entendu : « La preuve que Dieu nous aime, c’est que le Christ est mort pour nous, alors que nous étions encore pécheurs. » Dans un premier temps, les Douze sont envoyés au peuple d’Israël, pour réveiller en lui l’espérance que « le royaume des Cieux est tout proche ». Il les envoie vers ceux et celles qui sont préparés malgré tout pour les recevoir, qu’il s’agit de réveiller. Tout autre sera le moment d’aller vers ceux et celles qui ne connaissent pas le Dieu vivant, vers ceux et celles qui n’ont pas bénéficié encore de l’alliance, de ceux et celles qui n’ont pas été travaillés de l’intérieur par la Loi de Dieu depuis des siècles, la vivant ou ne la vivant pas, mais pouvant s’y référer et y être rappelés par les prophètes. Nous sommes nous, frères et sœurs, pour la plupart, issus de ces peuples païens, à qui, pourtant, le bénéfice de l’alliance avec Israël a été étendu, des peuples païens dont Paul et quelques autres ont compris que Jésus était venu pour leur partager à eux aussi les richesses d’Israël, la proximité de Dieu qui était le privilège d’Israël et qui le reste à bien des égards. Il a fallu pour cela que Jésus, non seulement soit saisi de compassion en voyant les foules, mais qu’il aille au bout de cette compassion, que lui-même entre dans la déréliction qui peut être celle des humains dans certaines circonstances, que lui-même affronte l’approche de la mort et de l’échec et du rejet total et de l’abandon, pour recevoir ensuite avec nous et pour nous la tendresse du Père, le royaume enfin ouvert et partagé. Le résultat, nous l’avons entendu, est que, dans un premier temps, Jésus nous établit dans la justice, c’est-à-dire l’amitié de Dieu et le fait d’être frères et sœurs de Jésus, et qu’il nous rend capables de vivre avec l’horizon nouveau de la vie et de la communion.

Ainsi pouvons-nous entendre cette page d’évangile pour nous aujourd’hui, frères et sœurs. A bien des égards l’humanité peut être vue comme désemparée et abattue. Ne doutons pas de la compassion de Dieu. Nous sommes envoyés à cette humanité pour la rassurer, la fortifier, lui donner des raisons d’espérer. Non pas pour la commander forcément, non pas pour l’encadrer nécessairement, mais pour lui faire goûter que le « royaume des Cieux est tout proche », et cela en lui faisant découvrir que « la preuve que Dieu nous aime, c’est que le Christ est mort pour nous, alors que nous étions encore pécheurs. » Mais nous aussi, nous qui sommes le peuple de l’alliance par grâce, par extension du privilège d’Israël, nous qui avons reçu non seulement la Loi mais le don de l’Esprit, nous aussi nous avons des raisons d’être vus par Dieu en Jésus comme des foules désemparées et abattues, comme des brebis sans berger. La réponse de Jésus a la détresse des foules a été d’envoyer douze de ses disciples, quelques-uns dont saint Matthieu nous a soigneusement donné la liste, encore une fois non pour qu’ils se mettent à la tête des foules mais pour qu’ils guérissent, ressuscitent, purifient, libèrent en expulsant les démons. Ceux-là, Jésus les avait choisis en raison de ce qu’ils avaient reçu, car finalement toutes ses consignes se récapitulent en celle-ci : « Vous avez reçu gratuitement : donnez gratuitement. » Les ministres ordonnés sont cela, frères et sœurs, les évêques, les prêtres et les diacres : des disciples de Jésus envoyés à tous les autres pour partager la proximité de Dieu en Jésus qu’il leur a été donné d’expérimenter. La présence de Judas dans la liste nous prévient dès le départ que ceux que Jésus envoie ne seront pas tous à la hauteur. Et pourtant, Dieu qui est le vrai berger de son peuple, le seul qui puisse être le berger de l’humanité, ne veut pas agir autrement ou ne peut pas agir autrement qu’en confiant ses dons à une personne humaine, à charge pour celle-ci non de se les approprier mais de les partager : « Vous avez reçu gratuitement : donnez gratuitement. »

Frères et sœurs, tous nous sommes les foules aimées de Dieu, suscitant la compassion de Jésus. Tous ensemble, nous sommes aussi le peuple aimé qui a bénéficié du don inouï que Dieu nous fait de lui-même en Jésus. Les évêques, les prêtres, les diacres, nous rappellent par leurs gestes que « le royaume des cieux est tout proche. » Vous, mes Sœurs, comme toutes les religieuses, vous rendez visible en ce monde la proximité du royaume. Tous ensemble, baptisés et confirmés, nous sommes envoyés aux foules qui nous entourent pour leur permettre de percevoir, même fugitivement, que nous formons une seule humanité, que Dieu est prêt à tout moment à combler de son amour, pour que tous et chacun deviennent des acteurs du salut de tous, des « ouvriers pour la moisson »,

                                                                                                                              Amen.


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