Homélie pour la Vigile Pascale, Année A, le 11 avril 2020, en la cathédrale Notre-Dame de Reims, 26ème jour de confinement - L'Eglise Catholique à Reims et dans les Ardennes

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Homélie pour la Vigile Pascale, Année A, le 11 avril 2020, en la cathédrale Notre-Dame de Reims, 26ème jour de confinement

Personne n’a vu la Résurrection de Jésus et personne ne peut dire ce qu’elle est de manière adéquate. L’ange, l’ange magnifique, de saint Matthieu qui, comme l’éclair, d’un coup de pied bouscule la pierre et s’assied dessus, pétrifiant les gardes de terreur, cet ange n’est pas la Résurrection, il n’est pas le « Ressusciteur ». Il le dit lui-même : il est le messager, le porteur de la nouvelle. Il conclut en effet : « Voilà ce que j’avais à vous dire. »

Personne n’a vu la Résurrection ni ne peut la décrire, mais le Ressuscité vient à ses amis. Saint Matthieu y attache grande importance : à peine les femmes ont-elles reçu le message et se sont-elles mises en route en courant pour aller prévenir les disciples, Jésus vient à leur rencontre et il s’adresse à elles, très simplement : « Je vous salue ». Saint Matthieu a jugé important de raconter que l’ange avait l’aspect de l’éclair, son vêtement resplendissait comme celui du Transfiguré ; Jésus, lui, vient aux femmes, ses amies, sans qu’il y ait rien à décrire. Tout le mystère de la Résurrection, c’est-à-dire sa réalité, se joue dans la rencontre, pleine et intense, que le Ressuscité offre à celles à qui il vient, comme tout s’est joué dans la rencontre, tellement forte, tellement unique, du Fils obéissant jusqu’à la mort et du Père qui le serre en lui.

Le Ressuscité vient à ses amis dans une rencontre qui les transforme : « Soyez sans crainte », dit-il aux femmes. Ce ne sont pas de vains mots. Car le Ressuscité envoie les saintes femmes porter le message que l’ange leur a déjà donné : « Il vous précède en Galilée, là, vous le verrez », en y introduisant, lui, un mot qui change tout : « Allez annoncer à mes frères qu’ils doivent se rendre en Galilée » ! « À mes frères ! » : soyez sans crainte car vous avez à porter un message de paix, de réconciliation, de consolation. Le Ressuscité ne donne pas rendez-vous à ses disciples en Galilée pour leur faire des reproches, mais parce qu’il fait d’eux ses frères, par-delà leurs faiblesses et leurs manquements. Les hommes ne peuvent pas être à la hauteur de la Résurrection ; le Ressuscité, lui, vient à nous pour nous hisser à lui dans la paix et la joie. Nul n’a vu la Résurrection ni ne peut la décrire, mais le Ressuscité vient à nous pour faire de nous ses frères et ses sœurs.

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Frères, et vous frères et sœurs qui lirez cette homélie, plus que jamais nous manquent ce soir nos frères et sœurs catéchumènes. Car ils sont la grande attestation que le Seigneur ressuscité nous donne chaque année pour conforter notre foi afin que nous allions un peu plus loin dans la Galilée où il nous précède, puisque nous les voyons de nos yeux être plongés, dans le consentement entier de leur liberté, dans la mort et la résurrection de Jésus et devenir ainsi ses frères et ses sœurs, nos frères et nos sœurs que nous recevons à aimer et qui nous sont donnés pour enrichir le Corps du Christ.

Ils manquent, ce soir, dans les cathédrales et les églises, les plus de 4000 catéchumènes de France, et ils manquent dans beaucoup de pays, tenus comme nous au confinement. Ils manquent mais ils sont là, cependant. Nous les connaissons, nous les avons accompagnés, nous les avons appelés, ils aspirent au baptême et nous aspirons à les recevoir. Chacun, chacune, d’entre eux a une histoire singulière. Le chemin qui les conduit au baptême est en chacun différent. En chacune de leurs histoires, en chacun de leurs chemins, nous entendons l’écho de la grande histoire du salut que les 7 lectures de cette nuit ont évoquée : l’histoire du peuple d’Israël, ce morceau de l’humanité descendant d’Abraham en qui s’est concentrée au bénéfice de tous la relation entre le Dieu créateur et les êtres humains.

 Hier soir, nos frères et sœurs juifs ont célébré la Pâque ; ils ont rendu grâce pour le grand passage, celui d’il y a des milliers d’année, sous la conduite de Moïse, pour quitter l’Égypte et gagner la liberté d’être un peuple qui plaise à Dieu mais aussi celui de chaque année, de chaque moment, pour quitter l’esclavage, l’enfermement, la désespérance, et avancer dans l’espérance de déboucher dans la liberté, la dignité, la paix, la fraternité avec tous. Pour nous, cette histoire-là s’est concentrée au maximum dans celle de Jésus : lui a vécu déjà dans sa vie terrestre avec le cœur nouveau qui sanctifie le nom de Dieu ; lui a été le Sage par excellence, trouvant sa nourriture à faire la volonté de son Père ; lui déjà a, dans notre condition, a donné à boire à qui avait soif ; lui a été le Fils qui n’abandonne pas le Père et, jusqu’à l’extrême, l’Époux qui choisit son épouse même infidèle. Il est celui qui a pu affronter la mort et la franchir pour que même ses ennemis puissent vivre pour toujours ; il est le Fils, l’Unique bien-aimé, que le Père consent à livrer pour tous ses frères ; il est l’Adam premier et définitif pour qui tout a été fait et par qui et en qui toute l’œuvre créatrice est justifiée en sa bonté originelle. Nos frères et sœurs catéchumènes attendent d’être plongés dans l’histoire de Celui-là pour avoir part à sa vie en faveur de tous les autres.

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Chaque catéchumène témoigne à sa manière qu’en venant au Christ, il découvre pour sa vie, elle découvre pour sa vie, une cohérence nouvelle qui le réjouit ou qui la réjouit, et en chacun ou chacune d’eux éclate aussi que la venue du Ressuscité est une surprise, un inattendu, ce qui ne pouvait être attendu, qui était désiré pourtant et qui vient au moment opportun, lorsque chacun est arrivé au point utile de sa Galilée personnelle. Pour l’humanité entière, la Résurrection est une surprise, ce qui ne peut être prévu, ce qui ne peut être décrit d’avance. Seul le Ressuscité, en venant à la rencontre de l’humanité, produit et produira la cohérence globale de l’histoire. C’est que le Ressuscité vient toujours à nous pour nous rejoindre en nos souffrances, en nos échecs, là-même où nous nous décevons nous-mêmes et où nous craignons le jugement des autres.

En ce temps d’épidémie, nous pouvons le regarder un peu mieux. L’épidémie est un signal. Elle nous rappelle, s’il en était besoin, qu’il y a du mal dans le monde : le mal subi, le mal que nous commettons ou que commet tel ou tel être humain, les structures de péché où s’enkystent les décisions faussées qu’un groupe humain accumule au fil du temps. Ce soir, nous entendons l’ange nous dire en montrant le tombeau : « Il n’est pas ici, car il est ressuscité, comme il l’avait dit » et saint Paul encore proclamer pour nous : « Si donc, par le baptême, nous avons été mis au tombeau avec lui, c’est pour que nous menions une vie nouvelle, nous aussi ». Des tombeaux parsèment nos vies ; des tombeaux, surtout, parsèment l’histoire de l’humanité. Mais parce que, lui, est sorti de son tombeau, nous pouvons en lui recevoir la grâce de ne pas être enfermés dans les tombeaux terrestres et de vivre dans une nouveauté de vie, d’avancer avec un pas nouveau sur un chemin qui nous fait passer de la vie à la vie. L’épidémie est un signal que la course de l’humanité est mal orientée, mais l’annonce de la Résurrection surpasse tout signal : elle nous promet que l’histoire de l’humanité et la nôtre propre ne mènent pas au seul tombeau mais à la rencontre vivifiante, la rencontre qui peut tout changer, tout transfigurer, celle qui peut faire des ennemis ou des adversaires des frères et des sœurs pour l’éternité.

Frères, et vous tous, frères et sœurs, que ceux et celles d’entre nous qui vivent plutôt bien le confinement ne gâchent pas le temps qui leur est offert : qu’ils se préparent intérieurement, par la réflexion, la prière, l’attention à la Parole de Dieu qui retentit en ce monde et à l’action de Dieu discrète souvent et puissante dans les âmes, les libertés, à sortir du confinement en marcheurs d’une manière renouvelée de vivre : aller vers les autres et de laisser les autres venir à soi, non plus dans la crainte mais dans l’espérance qu’a ouverte, ce matin-là, celui qui est venu aux femmes pour les envoyer non pas vers ses « disciples » mais vers ses « frères »,                                                           

Amen.
Mgr Éric de Moulins-Beaufort


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