Homélie pour la solennité du Saint Sacrement - L'Eglise Catholique à Reims et dans les Ardennes

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Publié le 15 juin 2020

Homélie pour la solennité du Saint Sacrement

Homélie pour la solennité du Saint-Sacrement du Corps et du Sang du Seigneur, année A, le dimanche 14 juin 2020, en la chapelle de la Maison Saint-Sixte.

« L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de tout ce qui vient de la bouche du Seigneur ». Les chrétiens connaissent bien cette phrase, ils la citent souvent, avec à propos ou pas. Nous la connaissons surtout dans la bouche de Jésus, au moment de la première tentation au désert, alors qu’il a faim, après quarante jours de jeûne. Aujourd’hui, il nous est donné d’entendre cette parole à son moment d’origine : le peuple d’Israël, après quarante ans d’errance, s’apprête à quitte le désert et à entrer dans la terre promise. Moïse, une dernière fois, s’adresse au peuple. Il s’apprête à mourir. Israël va quitter le monde de la pénurie où il n’a pu survivre que grâce à la manne, donnée chaque matin par Dieu, et va entrer dans une terre d’abondance. D’où le défi. Le peuple va-t-il se souvenir, le peuple va-t-il oublier ? Que va-t-il retenir de son expérience au désert, une fois que la vie lui sera plus facile, qu’il pourra se nourrir du travail de ses mains et non plus dépendre d’un étrange don de Dieu, disponible chaque matin ? Saura-t-il encore, combien de temps saura-t-il encore que « l’homme ne vit pas seulement de pain, mais de tout ce qui vient de la bouche du Seigneur » ?

Cette interrogation résonne en ce jour avec une intensité particulière. Nous avons passé de longues semaines privés de célébrations avec assemblée, vous, frères et sœurs, par conséquent privés de la communion sacramentelle, nous tous, prêtres et fidèles laïcs privés les uns des autres et de ce que notre rassemblement chaque dimanche rapproche du Seigneur pour chacun. Désormais, nous avons retrouvé, presque retrouvé, la liberté d’aller dans nos églises. Nous souviendrons-nous de ce que nous avons appris pendant les semaines du confinement strict ? Nous souviendrons-nous que nous avons eu faim de l’Eucharistie, que la communion nous a manqué, comme le bon pain nous manque viscéralement lorsqu’on en est privé ? Nous souviendrons-nous aussi que nous avons découvert davantage la manne de la Parole de Dieu et de la communion spirituelle, c’est-à-dire d’un don qui exige de nous une attention de tout l’être pour qu’il soit vraiment reçu ?

Dans le Deutéronome, il est frappant de constater que le Dieu vivant ne veut pas laisser son peuple dans la disette, même si, dans la pénurie, il tient le peuple plus serré et lui évite plus facilement de se perdre. Après l’Ascension, nous le reconnaissons : le Dieu vivant ne nous laisse pas sans la présence et même la venue du Ressuscité qui nous unit à lui et nous donne les uns aux autres comme frères et sœurs.

La fête du Saint-Sacrement du Corps et du Sang du Seigneur a été instituée pour cela : pour nous rappeler, au long des années, au long des siècles, ce que l’Eucharistie a d’inouï. Il y a un don de Dieu qui jamais ne fait défaut dès lors qu’une messe est célébrée, un don dans lequel s’accomplissent les promesses de la vie terrestre. Jamais le pain ne remplit davantage sa fonction de pain que lorsqu’il nourrit pour la vie éternelle : « Si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement » ; jamais la vie n’est davantage vivante et vivifiante que lorsqu’elle est nourrie de ce pain-là : « Celui qui me mange, lui aussi vivra par moi » ; et cela parce que jamais l’approche de quelqu’un par un autre n’a autant porté de proximité, de présence, de don de soi, de disponibilité à autrui : « Le pain que je donnerai, c’est ma chair, donnée pour la vie du monde. »

Frères et sœurs, chaque fois que nous nous nourrissons, nous espérons la vie qui ne finira pas ; chaque fois que nous respirons, nous aspirons à la vie en plénitude ; chaque fois que nous nous approchons de quelqu’un d’autre, nous désirons nous apporter à lui ou à elle et chaque fois que nous laissons un autre s’approcher de nous, nous attendons qu’il s’apporte lui-même ou elle-même à nous. Dans l’Eucharistie, dans la répétition de l’Eucharistie, dans la pauvreté apparente de l’Eucharistie, ce dont nous rêvons ou plutôt ce qui nous paraît aller de soi mais qui toujours manque, toujours déçoit, beaucoup ou un peu, se réalise pour nous et pour tout autre qui s’en approche ou s’en laisse approcher. Cela suppose que nous réalisions que le Ressuscité nous donne ce qu’aucune concentration du génie humain ne peut nous procurer, malgré les apparences.

Nos vies sont rendues excitantes par nos projets, nos réalisations ou par le bruit qu’elles émettent, leur rythme trépidant, l’alternance constante des émotions ; ce que Dieu nous donne par le Seigneur Jésus, est comme un pain sans azyme, sans goût, sans vie, et pourtant, dans ce très peu de matière nous est donné la plénitude de la proximité, dans ce très peu de goût nous est assuré le maximum de don de soi. Rien ou très peu est changé dans notre vie, mais là il nous est donné l’assurance que les meilleures promesses sont tenues, qu’une vie pleine et plus que pleine nous est donnée et aussi que ceux et celles qui nous entourent sont des frères et des sœurs avec qui je peux former un seul Corps, une seule communion. La vie n’est pas rendue plus excitante, si nous prenons l’Eucharistie au sérieux, elle devient plus intéressante, plus profonde, plus intense, en fait.

Nous pouvons bâtir des familles, des sociétés, nous vouloir citoyens du monde ; Jésus seul, qui se donne ainsi en nourriture, peut nous rassembler tous en lui et transfigurer ce qui nous différencie les uns des autres le gage de la communion éternelle. Il nous faut travailler, il nous faut déployer nos compétences et nos talents, il nous faut nous construire une vie aussi confortable ou intéressante que possible, et pourtant l’essentiel nous est donné par un autre, l’essentiel nous est donné d’ailleurs, d’un ailleurs qui ne peut être désigné que comme un « d’en haut » : « Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel… Tel est le pain qui est descendu du ciel : il n’est pas comme celui que les pères ont mangé. Eux, ils sont morts ; celui qui mange ce pain vivra éternellement. » Certes, nous mourrons nous aussi, qui sommes rassemblés ce matin pour manger sacramentellement ou spirituellement ce pain-là, vous qui avez si souvent mangé ce pain en participant à la messe. Nous mourrons, mais ce sera pour vivre pleinement. Nous mourrons mais Celui que nous aurons reçu comme il s’est donné à nous, c’est-à-dire sans réserve et comme une source de vie, nous recevra en lui et nous y reçoit déjà, venant à nous pour nous adapter de l’intérieur à lui, venant à nous malgré l’insuffisance parfois de notre disponibilité pour nous unir à lui et à son Père et les uns aux autres, dans une profondeur que nous ne pouvons au mieux que pressentir ici-bas.

Rendons grâce ce matin pour le grand don du Saint-Sacrement. Apprenons à l’adorer puisqu’il est celui qui le donne, puisqu’en lui le Seigneur se donne. Ouvrons-nous aux dimensions de l’Eucharistie. Nous y vérifions que le Dieu vivant ne cesse de se souvenir de nous. Puissions-nous ne jamais oublier, dans aucun de nos actes, aucune de nos pensées, que « l’homme ne vit pas seulement de pain, mais de tout ce qui vient de la bouche de Dieu ». Que le Saint-Sacrement du Corps et du Sang du Seigneur nous soit au moins aussi indispensable que le pain,

                                                                                                                               Amen.

+ Eric de Moulins-Beaufort


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