Homélie pour la solennité du Saint-Sacrement du Corps et du Sang du Seigneur, en la cathédrale Notre-Dame de Reims - L'Eglise Catholique à Reims et dans les Ardennes

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Publié le 21 juin 2022

Homélie pour la solennité du Saint-Sacrement du Corps et du Sang du Seigneur, en la cathédrale Notre-Dame de Reims

Homélie pour la solennité du Saint-Sacrement du Corps et du Sang du Seigneur, année C, le 19 juin 20222 en la cathédrale Notre-Dame de Reims, ordination presbytérale de Maxime Labesse

L’humanité a faim : faim de pain et peut-être de poisson à heures régulières, de viandes et de légumes, d’affection aussi, de reconnaissance et de bonheur encore ; faim non moins, d’une faim d’un autre ordre, faim de sens, de finalité et de joie. Deux faims ou une unique faim à deux faces, mieux encore : à deux niveaux de profondeur. Une faim ou une profondeur de notre faim qui vise le bonheur, lequel se construit, s’organise et dont on peut mesurer ce qui lui manque ; une autre faim ou une autre profondeur de notre faim qui vise la joie, laquelle est toujours une surprise, un ravissement, ce que l’on constate au-delà des circonstances concrètement réunies. 

Les Apôtres, « les Douze », nous dit saint Luc, perçoivent la faim des foules qui ont suivi Jésus jusque dans un endroit désert pour l’entendre parler du règne de Dieu et pour que soient guéris ceux qui en avaient besoin. Jésus, dans sa réponse et dans le geste qu’il va faire, ne distingue pas entre les deux faims. Il les honore comme une seule : « Donnez-leur vous-mêmes à manger… Faites les asseoir par groupes de cinquante environ ; Il prit les cinq pains et les deux poissons… et les donna à ses disciples pour qu’ils les distribuent à la foule. » Saint Luc, comme les autres évangélistes, nous suggère que le geste de Jésus ce jour-là, au bord du lac de Tibériade, se prolonge dans le geste de l’Eucharistie qu’il institua à la veille de sa Passion : il « prit les cinq pains et les deux poissons, et, levant les yeux au ciel, il prononça la bénédiction sur eux, les rompit et les donna à ses disciples ». Nous entendons cela en chaque Messe. Jésus est venu pour rassasier toute la faim des humains, mais non pas en organisant la production de pain et sa distribution dans la justice, en procurant ce que l’humanité seule ne peut pas se procurer : le geste qui seul met fin à la faim, non qu’il la supprime mais parce qu’il la transforme en joie, le geste que lui seul peut faire de manière efficace et inépuisable, le don de soi vécu jusqu’au bout, jusqu’au plus concret et au plus intime : « Ceci est mon corps, qui est pour vous. Faites cela en mémoire de moi » ; « Cette coupe est la nouvelle Alliance en mon sang. Chaque fois que vous en boirez, faites cela en mémoire de moi. » 

Dans le geste tellement simple des pains et des poissons présentés, bénis, rompus, distribués, il nous révèle que la faim la plus matérielle, la faim de calories et aussi d’affection, de reconnaissance et de bonheur, ne se suffit pas d’une production efficace et d’une distribution juste mais ne se rassasie que par un acte de don et il nous révèle encore que la faim la plus spirituelle, celle de sens, de finalité et de joie, ne se résout pas par des théories philosophiques ou des productions culturelles ou même religieuses, mais appelle les gestes humbles et concrets du don de soi sans attente de retour. Cet épisode du pain et des poissons distribués aux environs du lac de Tibériade nous le fait comprendre, frères et sœurs : Jésus restaure en ses disciples, en tous ses disciples, la capacité de se donner eux-mêmes de manière désintéressée dans les actes les plus quotidiens et les plus nécessaires de la vie terrestre et, pour cela, il confie à ses disciples et parmi eux à quelques-uns en particulier, le geste que lui seul peut poser, le geste si total, si entier, si définitif, par lequel lui, le Fils bien-aimé du Père, se fait la nourriture et la boisson de l’Alliance entre Dieu et les hommes. 

Finalement, frères et sœurs, le christianisme est chose simple. Nous croyons que nous avons besoin du geste de Jésus, de ses paroles, de ses idées, de ses enseignements, de ses commandements et des valeurs que nous pouvons en tirer sûrement, mais, pour nous catholiques, plus encore du geste concret de Jésus de Nazareth qui reçoit les pains et les poissons, les bénit, les rompt, les distribue, et surtout du geste par lequel, dans le pain rompu et la coupe qui circule, il se donne lui-même intégralement, en notre faveur à nous tous, par obéissance au Père. Nous entendons ce qu’il dit à ses disciples, à nous tous : « Donnez-leur vous-mêmes à manger » et nous comprenons que nous sommes tous appelés à nous donner nous-mêmes à travers les actes ordinaires de notre vie : le travail, l’engendrement et l’éducation des enfants, les engagements multiples, les responsabilités que nous acceptons – en tout cela, il ne suffit plus tout à fait que nous fassions ce que nous devons mais il convient que nous apprenions à donner un peu ou beaucoup de nous-mêmes et que nous le fassions joyeusement- et nous comprenons qu’il nous en rend capables, lui qui le fait pour nous et avec nous, par un geste qu’il confie à quelques-uns, les Douze et ceux qu’ils s’associent, un geste dramatique qui passe par son mort et sa résurrection, mais qu’il anticipe et concentre en un geste très simple, facile à reproduire, afin que nous puissions en être rénovés tout au long des temps. 

Frères et sœurs, en sortant de notre cathédrale, vous pourrez regarder au revers de la façade, dans la cathédrale donc, à droite du portail central, un bas-relief qui représente un chevalier en armure qui assiste à la messe et s’apprête à recevoir le Corps du Christ. En fait, il s’agit d’Abraham qui participe, nous l’avons entendu en première lecture dans le livre de la Genèse, à l’offrande que fait le mystérieux Melkisédek, roi de Salem, du pain et du vin. Nos ancêtres dans la foi y ont facilement reconnu une préfiguration de l’Eucharistie. Ils ont compris qu’Abraham déjà avait besoin de l’offrande que Jésus fait de lui-même pour que sa victoire sur ses ennemis ne soit pas simplement la victoire de la force sage sur la violence anarchique des brigands mais l’anticipation de la transformation de nos œuvres humaines par le don de soi consenti par amour pour que les autres vivent davantage. A nous, en cet après-midi, il est donné non pas seulement de contempler une préfiguration de l’acte de Jésus et de son efficacité mais de participer, tous ensemble, évêque, fidèles baptisés, prêtres et diacres, à la mise en œuvre de cet acte pour qu’il serve notre vie à tous. Notre frère Maxime, déjà mis à part dans le diaconat, va être ordonné prêtre pour que le geste de Jésus soit présent au milieu de nous. Il va être agrégé au presbyterium de notre Église, il va être adjoint à ceux qui, depuis des années, certains depuis plus de cinquante ans, œuvrent afin de vous aider tous à être renouvelés et rénovés par le geste unique de Jésus qui vous tend son corps et son sang dans le pain béni et rompu et dans la coupe bénie et offerte, afin que vous puissiez vivre, courageusement, fermement et joyeusement, au milieu de ce monde, en donnant vous-mêmes à manger à vos frères et sœurs, non pas seulement en les nourrissant autant que cela dépend de nous mais en leur partageant, en chaque geste, quelque chose de vous-mêmes afin qu’ils vivent davantage.

Cher Maxime, en acceptant de devenir prêtre, vous renoncez à nourrir les autres par les fruits de votre ingéniosité, de votre créativité, de votre ingéniosité. Vous consentez à les mettre tout entières au service du ou des gestes de Jésus, de ces quelques gestes que Jésus a confiés aux Douze afin qu’ils accompagnent l’histoire de l’humanité dans l’attente de l’aboutissement de l’histoire, dans la foi en ces gestes et en ce qu’ils peuvent transformer en l’humanité. Vous recevez la grâce d’être, devant les humains et au milieu d’eux, le signe que, en Jésus, le Fils bien-aimé du Père est allé jusqu’au don de lui-même pour tous et chacun des êtres humains, depuis sa gloire originelle jusqu’à l’extrême abaissement de la croix. Le célibat auquel vous vous êtes engagé en devenant diacre, l’obéissance que vous allez promettre, la pauvreté qui sera la forme concrète de votre vie, le manifesteront, étant louées parfois, étant incomprises souvent. Vous aurez parfois envie de dire quelque chose d’équivalent à : « Nous n’avons pas plus de cinq pains et deux poissons », et vous aurez à obéir au Seigneur qui vous dira « Faites-les asseoir » et qui vous donnera son peu de pain pour que vous le distribuiez. Vous aurez à aider les femmes et les hommes à qui vous serez envoyés à croire que ce peu de pain suffit pour qu’ils puissent engager leur vie dans le don d’eux-mêmes et tirer de chaque circonstance de leur vie de quoi se donner un peu davantage, un peu plus exactement, avec un peu plus de détachement de soi et d’émerveillement pour les autres. Vous aurez à les rassurer que leurs échecs ne pourront les empêcher totalement d’avancer sur les chemins du Seigneur, car il s’est livré jusqu’à la mort précisément pour dépasser nos refus et nos dérobades. Vous aurez à faire monter vers Dieu leurs besoins : « Renvoie cette foule », non que Dieu s’en désintéresse mais parce que Jésus veut entendre des humains qui intercèdent pour les autres. Vous allez être ordonné, cher Maxime, pour venir à la rencontre de la faim des humains avec le geste si simple et si intense de Jésus. Vous n’aurez pas à construire les conditions de leur bonheur, mais à leur indiquer le chemin de la joie. Car la joie naît du don de soi consenti librement, au-delà de la stricte justice, sans contrainte, dans la lumière de l’acte de Dieu pour nous en Jésus.

Vous devenez prêtre, cher Maxime, en un temps étonnant de l’histoire de l’humanité où celle-ci s’interroge comme jamais sur elle-même, en un moment où notre pays, les élections que nous vivons depuis deux mois le montrent s’il en était besoin, peine à savoir ce qu’il veut et comment il veut contribuer à la vie de l’humanité. Vous le devenez aussi dans un temps étrange de la vie de l’Église, où les fautes de ses membres sont mises à nu, même et surtout celles qui étaient restées non vues et non dites, où le nombre des prêtres se fait très petit en notre pays, où les fidèles sont une exception dans la masse de la population et vous devenez prêtre, pourtant, pour distribuer au plus grand nombre le pain que tous peuvent partager et par lequel tous peuvent être rassasiés en abondance et même en surabondance. 

Alors même que l’Église se trouve humiliée, jugée, qu’elle a des raisons de douter d’elle-même, alors même que la consultation synodale fait ressortir que beaucoup qui veulent bien encore être dans l’Église souffrent aussi par elle et se plaisent à le dire, elle est, cette Église, le lieu de la joie. Nous l’avons goûtée, cette joie, en diocèse lors du pèlerinage de Saint-Walfroy, le 14 mai dernier ; nous l’avons goûtée dans la nuit de Pâques et au matin de la Pentecôte en recevant nos sœurs et nos frères nouveaux baptisés et confirmés ; nous l’avons éprouvée en chacune des confirmations des adolescents de nos collèges et lycées ou de leurs professions de foi ; nous la recevons, cette joie, chaque dimanche au moins, lorsque, ensemble, nous voyons le geste de Jésus et entendons ses paroles : « Il prit du pain, puis, ayant rendu grâce, il le rompit, et dit : ‘’Ceci est mon corps qui est pour vous », « Cette coupe est la nouvelle alliance en mon sang » et que, d’une seule voix,  à la suite de l’Apôtre, nous « annonçons » sa mort, « nous proclamons » sa résurrection, « nous attendons sa venue dans la gloire ». La joie, frères et sœurs, se donne dans des moments fugitifs, comme tous les moments, elle ne s’emmagasine pas comme des sacs de blé ou des écus, elle se reçoit ; elle est difficile à décrire, elle demande surtout que nous en gardions mémoire. 

Oui, frères et sœurs, l’humanité, et nous souvent en elle, s’inquiète, elle s’angoisse même à bien des égards. Elle a faim et peur de manquer. Elle a faim de bonheur et peur aujourd’hui de manquer de pain demain et de confort matériel après-demain. Elle a faim aussi de joie. A nous, il est donné de célébrer dans le Saint-Sacrement du Corps et du Sang du Seigneur le geste très simple et si vrai par lequel il nous ouvre et ré-ouvre le chemin de la joie. Il nous rend capables de servir la vie de tous en nous associant au don qu’il fait de lui-même. 

Et en ce soir qui approche, nous recevons en Maxime Labesse quelqu’un par qui le geste du Seigneur et ses paroles bien concrètes seront célébrés au milieu de nous et pour nous et nous avons ainsi l’assurance que notre Église de Reims et des Ardennes continuera à « donner à manger » ce que le Seigneur a voulu faire en abondance et en surabondance pour nous et pour tant d’autres encore. Ce n’est que cela face à la faim des êtres humains mais c’est tout cela, pour savoir que nous sommes appelés à la joie qui ne finira pas,                                                                                                Amen. 


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