Homélie de Mgr Dominique Lebrun pour la solennité du Corps et du Sang du Seigneur - L'Eglise Catholique à Reims et dans les Ardennes

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Homélie de Mgr Dominique Lebrun pour la solennité du Corps et du Sang du Seigneur

Homélie de Mgr Dominique Lebrun, Archevêque de Rouen pour la Solennité du Corps et du Sang du Seigneur,
Fêtes Jeanne d’Arc, en Cathédrale Notre-Dame de Reims, le 6 juin 2021
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« Je ne boirai plus du fruit de la vigne,
jusqu’au jour où je le boirai, nouveau, dans le royaume de Dieu » (Mc 14, 26).

Frères et sœurs, ici à Reims, les mots « vigne » et « royaume » résonnent d’une manière particulière ! Accueillons-les d’une manière biblique, liturgique et même, architecturale, en pensant au portail central de votre cathédrale qui met en scène le Royaume.

Disciples de Jésus, habitués de l’Eucharistie – si tant est que l’on puisse s’y habituer – nous croyons qu’il y a dans le Sacrement du Corps et du Sang du Seigneur un lien intime entre ce que nous vivons sur terre et notre avenir en Dieu, « le Royaume de Dieu » comme le nomme Jésus. Le trait d’union apparaît plus particulièrement dans le « le fruit de la vigne » que Jésus boit, qu’il donne à boire dès cette terre, et que Jésus espère boire, nouveau, dans le Royaume de Dieu.

Quelle est ce « fruit de la vigne » ? Et, puisque nous l’honorons aujourd’hui, demandons-nous comment Jeanne l’a-t-elle appréhendé ?

Le fruit de la vigne est « le sang de l’alliance versé pour la multitude » (Mc 14, 24). Telle est l’affirmation de Jésus, tel est ce que redit le prêtre à chaque célébration de l’Eucharistie, telle est notre foi. N’oublions pas qu’il est et demeure le vin, dans son apparence et sa consistance, « fruit de la vigne et du travail des hommes » comme nous aimons le présenter au Seigneur. Il est vin, avec toute la grâce et la pesanteur qu’il représente dans nos vies.

Cette grâce et cette pesanteur sont exacerbées pour l’armée du roi comme pour toutes les armées. Jeanne luttera contre les excès en tous genres de ses hommes, celui de l’ébriété et celui du sang versé par haine. La vie humaine dans ses heurs et malheurs sont au cœur de notre eucharistie, de notre foi.

Il n’y a pas de doute dans l’esprit de Jeanne et des chrétiens de son temps : le vin consacré est bien le Sang du Christ, prenant toute la force symbolique que nous lui connaissons depuis les sacrifices les plus anciens qu’évoquent le livre de l’Exode et la lettre aux hébreux (cf. Ex 24, 5 ; He 9, 12), et que le mot « Alliance » cristallise (Ex 24, 8 ; He 9, 15). Mais il y a une rupture, une double rupture avec le Christ : le sang n’est plus celui des autres, pas même celui d’un animal ; Et son sang réalise l’alliance définitive. C’est un véritable bouleversement : Le sang versé devient le sang offert et non plus le sang d’un bouc-émissaire ; le sang donné à boire devient le sang de la vie et non plus celui de la mort.

Permettez-moi un détour par Ste Catherine de Sienne qui meurt peu de temps avant la naissance de Jeanne. Elle unit le meilleur de la théologie médiévale à une authentique mystique. Elle voit dans le sang de Jésus l’incarnation même de l’amour qui habite le Fils de Dieu. Elle invite à s’enivrer de cet amour en le recueillant précieusement dans le calice de l’âme. Elle invite à y communier en s’unissant à l’offrande de l’autel. Elle invite à le contempler dans les plaies qui deviennent comme les lettrines enluminées du grand livre de vie qu’est la croix de son Sauveur. Le sang devient même, dans sa magnifique doctrine du pont qui relie les deux rives de la terre et du ciel, le liant qui unit les pierres, c’est-à-dire chacune de nos journées, et sur lesquelles nous marchons pour monter vers le paradis.

« Le fruit de la vigne » dont parle Jésus n’est alors plus seulement un peu de vin ni même son sang obtenu par magie. Il est l’amour, fruit de cette vigne qu’est le peuple de Dieu qui dépense ses journées et s’offre à accomplir la volonté du Père, à travers joies et peines. Il est l’amour qui continue de l’abreuver pour qu’à son tour il étanche la soif de justice et de paix de l’humanité. Le Fils de Dieu, fils de Marie, verse son sang humain, le sang de son peuple. Après avoir offert son sang en boisson à ses disciples, l’Evangéliste raconte qu’ils chantent les psaumes et se rendent au Mont des Oliviers (cf. Mc 14, 26). Avec les psaumes, c’est bien tout le peuple et toute l’histoire du peuple assoiffé et abreuvé qui sont présents. « Boire le fruit de la vigne », c’est pour Jésus rendre grâce pour l’œuvre de son Père, action de grâce qui est encore sacrifice d’action de grâce.

Jeanne, femme de guerre, est-elle touchée par une telle foi dans « le sang versé pour la multitude », incarnation de la mission et de l’amour infini de Jésus ? Deux indices le laissent penser. Le premier est dans l’infléchissement relevé par des historiens sur le sens qu’elle donne à l’expression « sang royal ». Dans l’une des lettres qu’elle adresse aux habitants de Reims, elle les rassure –je la cite- sur « la bonne querelle qu’elle soutient pour le sang royal » car les Anglais « ne réussissent pas à abuser le sang royal ». Déjà, en partant de Vaucouleurs elle déclare « qu’elle relèverait la France et le sang royal ». Philippe Contamine voit ici un déplacement où ce qui désignait habituellement la parenté du Roi signifie « le Roi lui-même et ses parents, envisagés dans un tout, et de façon presque mystique », dit-il[1].

Le sang du Christ auquel nous communion est le Christ lui-même et non pas une parenté. Nous aimons chanter « deviens ce que tu reçois ». Sommes-nous prêts à verser le sang, voulons-nous devenir le Christ versant son sang, une incarnation de son amour pour tous ? Cela appelle les chrétiens qui célèbrent l’Eucharistie à aimer donner leur vie, même quand celle-ci semble leur être violemment retirée. L’archevêque de Rouen n’est pas loin de penser que le principal fait d’armes de Jeanne d’Arc –le sommet de sa vie- est sa mort quelques instant après avoir communié et embrassé la croix.

Le deuxième indice est l’attitude de Jeanne vis-à-vis du sang versé. Devant des blessés, amis ou ennemis, Jeanne est prise de compassion. Le sang est signe du combat où la mort rode. Mais elle transcende volontiers pour ses propres blessures attestées en trois moments. Celles-ci deviennent à la fois l’occasion de témoigner de son engagement et, comme le relèvera le Pape Pie II, qu’elle n’est pas invulnérable, condition d’une offrande libre, comme celle du Christ. Quelle est notre attitude devant notre vulnérabilité ? Comment pouvons-nous unir en notre cœur la répulsion pour ce qui détruit la vie et le passage à une vie plus intérieure, plus forte car fondée sur le don de notre vulnérabilité ? Nous ne nous lasserons pas de participer aux progrès de la science qui guérit ou protège d’une épidémie et, en même temps, de considérer les infirmes, avant ou après leur naissance, ou bien les mourants, conscients ou pas, avec autant d’amour sinon plus.

Alors nous pouvons mieux entendre l’affirmation de Jésus : « je ne boirai plus du fruit de la vigne, jusqu’au jour où je le boirai, nouveau, dans le Royaume de Dieu ». Elle indique deux choses qui nous sont précieuses : Ce que Jésus a vécu dans son humanité –boire du fruit de la vigne c’est-à-dire rejoindre l’action de grâce du peuple de Dieu appelé à faire fructifier l’amour de son Père- est le bon chemin. La deuxième est qu’une nouvelle étape est devant nous qui est de l’ordre de l’Eucharistie, du don de l’amour. Et cette étape révélée est, peut-être, la plus grande joie de la messe.

Puisse le désir de Jeanne de communier à l’amour de Dieu tout entier présent dans le Corps et le Sang de Jésus habiter notre vie autant que nos célébrations, et renouveler notre espérance en l’étape ultime de nos vies.

Amen.

+ Dominique Lebrun
Archevêque de Rouen.


[1] Philippe Contamine, Olivier Bouzy, Xavier Hélary, Jeanne d’Arc, histoire et dictionnaire, Robert Laffont, Paris 2012, p. 977.


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