Homélie pour la solennité de tous les saints, le 1er novembre 2022, en la cathédrale Notre-Dame de Reims - L'Eglise Catholique à Reims et dans les Ardennes

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Publié le 7 novembre 2022

Homélie pour la solennité de tous les saints, le 1er novembre 2022, en la cathédrale Notre-Dame de Reims

La vie chrétienne n’est pas une vie minimale. Elle ne consiste pas à faire juste ce qui est nécessaire pour être sauvé, et moins encore juste ce qu’il faut pour être en règle. La vie chrétienne, la vie de tout chrétien, devrait être la recherche de la réponse la plus entière, la plus ajustée, la plus vivante, à l’amour inimaginable de Dieu révélé dans le Christ Jésus, venu en notre chair, mort pour nos péchés, ressuscité pour notre vie.

Nous avons entendu en première lecture la vision grandiose de Jean, le voyant de l’Apocalypse : « Après cela, j’ai vu : et voici une foule immense, que nul ne pouvait dénombrer ». « Ceux-là, lui est-il dit, viennent la grande épreuve ; ils ont lavé leurs robes, ils les ont blanchies par le sang de l’Agneau. » Ne cherchons pas la « grande épreuve » dans des martyres spectaculaires ou raffinés comme l’empire romain a su cependant en organiser. La « grande épreuve », pour chacun de nous, est la vie elle-même. Elle comporte son lot de joies et de peines, mais surtout son lot de moments où nous avons à choisir comment nous allons agir, où nous avons à nous déterminer entre les motivations et les motifs possibles de nos actes. Toute vie humaine compte donc des moments dont nous sommes heureux et qui nous rassurent au long des années sur nous-mêmes, et des moments dont nous sommes moins fiers, quelques-uns dont nous sommes peut-être honteux, à cause desquels nous nous interrogeons sur nous-mêmes, sans bien pouvoir trancher sur ce qui l’emporte en nous. Toute vie humaine connaît des moments où nous nous sommes laissés entraîner par notre réaction spontanée, quitte à découvrir en nous une colère ou une peur ou une volonté d’humilier tel autre ou une concupiscence auxquelles nous nous sommes révélés incapables de résister, ou bien au contraire des moments où nous découvrons que nous avons donné beaucoup de nous-mêmes, où nous avons choisi le bien de tel autre plus que notre satisfaction, où nous avons privilégié la vérité sur notre intérêt, et ces moments font monter en nous de la joie, tandis que les premiers nous emplissent de honte. Toute vie humaine et, à fortiori, toute vie chrétienne, toute vie d’un chrétien ou d’une chrétienne, est un combat, non pas contre les autres mais contre des forces qui s’agitent en nous et qui nous déchirent et pour la charité, pour l’amour plus grand que nous nous découvrons appelés à vivre sans barguigner.

Voilà, frères et sœurs, les saints que nous célébrons aujourd’hui. Ils et elles n’ont pas été des êtres parfaits, si par parfaits, nous entendions dépourvus de passions et de pulsions, indemnes d’hésitations et de maladresses, préservés même de chutes et de fautes. Ils et elles ont plutôt été habités par un élan, une poussée vivante, qui est la poussée de l’Esprit-Saint, qui leur a fait gravir en eux-mêmes la « montagne du Seigneur » pour qu’ils atteignent, pour qu’ils tâchent d’atteindre, le « lieu saint » où ils et elles ont pu être le Temple du Dieu vivant, le point de jonction de ce qui montait d’eux et de ce que Dieu leur donnait et attendait d’eux.

A leur suite, avec eux, nous découvrons que nous pouvons agir en vrais fils et filles de Dieu. Certes, jamais, ici-bas, nous ne sommes transparents dans nos actes. Jamais nous ne savons exactement ce que nous mettons dans tel acte, dans telle parole, dans tel geste, d’amour vrai, de don désintéressé de nous-mêmes, et ce qui y reste de calcul, de repli sur nous-mêmes, de volonté mauvaise, mais pas davantage, dans des actes maladroits, trop rapidement décidés, trop charnels, nous ne pouvons dire nous-mêmes si un peu d’élan vrai n’y a pas exercé son influence tout de même. C’est pourquoi la « grande épreuve » est aussi le jugement, le jugement que Dieu le Père exerce par le Seigneur Jésus, le Fils bien-aimé qui a pris sur lui et a partagé la condition humaine, et qui seul peut être la mesure de notre vie, mieux encore, qui ne veut pas tant être la mesure de nos vies et de nos actes qu’être notre sauveur, le frère qui nous tend la main pour nous tirer vers lui, par delà tout ce qui nous distancierait de lui.

Écoutons l’Apocalypse, le livre du dévoilement : « Le salut appartient à notre Dieu qui siège sur le Trône et à l’Agneau » et encore : « Leurs robes, ils les ont blanchies par le sang de l’Agneau. » Les saints canonisés dont nous pouvons faire la liste, celles et ceux que l’Église nous donne en compagnons de route sûrs, ont eu des vertus héroïques, reconnaissables et reconnues comme telles. Pourtant aucun d’eux n’entre dans la gloire de Dieu au nom de ses vertus, mais toujours à cause du sang versé pour lui ou pour elle par l’Agneau immolé, par le Christ Jésus crucifié pour nous, livrant son corps et son sang dans son Eucharistie. Nul d’entre nous n’entre de plain-pied dans la gloire de Dieu, et aussi bien n’est-ce pas ce que Dieu attend. Toujours, dans nos actes, nous tâtonnons, toujours nous composons avec l’épaisseur de notre humanité et ses énergies pas toujours maîtrisables et avec l’humanité épaisse et les énergies imprévisibles de notre prochain, toujours nous composons avec la réalité qui est rarement transparente à l’amour avec sa complexité et ses contradictions. Personne ne devient saint autrement qu’en étant sauvé, rattrapé en quelque sorte, tiré là où il n’avait pas de droit à aller.

Et ce n’est pas là, frères et sœurs, une triste nouvelle, démoralisante. C’est une bonne nouvelle, qui doit nous remplir de force, d’élan, de désir de rejoindre le meilleur en chacun de nos actes, en toutes nos rencontres. Ce n’est pas un état qui puisse nous encourager à la médiocrité à laquelle il serait sage de se résigner puisqu’on ne peut en sortir vraiment. C’est au contraire un élan qui nous pousse vers l’avant, vers le meilleur, qui devrait nous faire désirer le meilleur et chercher comment l’atteindre, non pas en encombrant les autres mais en puisant en nous la ressource d’un amour plus grand. Oui, vraiment, nous baptisés, à tout le moins, même en ce monde compliqué, même chacun avec son être compliqué et fractionné, nous pouvons oser chercher à être des fils et des filles de Dieu, comme le dit saint Jean dans sa première lettre, parce que nous sommes assurés de l’être non par nous-mêmes mais par le don de l’Agneau. C’est une immense espérance, la seule espérance, « et quiconque met en lui une telle espérance, dit saint Jean, se rend pur comme lui-même est pur ». Pur, je le redis, non pas comme qui reste enfermé dans sa boîte, mais comme qui peut replonger toujours ses actes et le fond de sa liberté dans le don sans réserve que Jésus a fait de lui-même pour nous.

Frères et sœurs, la fête de la Toussaint nous entraîne dans ces perspectives, alors que nous sommes tous sous le coup de la découverte des méfaits commis par un évêque et dans l’inquiétude d’apprendre un jour que d’autres évêques se soient mal comportés, commettant des actes que la loi elle-même est capable de désigner comme des délits ou des crimes. Je vous parle, depuis cet ambon, alors que vous avez eu le sentiment que les évêques auraient voulu cacher le mal commis par l’un d’entre eux et ont supporté que des sacrements soient célébrés par quelqu’un qui les avait souillés. Il y a là une situation humiliante, douloureuse, sur laquelle nous, évêques, devrons faire la lumière lors de notre assemblée de Lourdes dans deux jours.

J’entends beaucoup de colère et beaucoup de désillusions. Depuis des années, nous découvrons avec effroi que des ministres de Christ Jésus, tout en prétendant porter sa vie, sa lumière, sa grâce, et l’espérance immense qu’il nous donne, tout en apparaissant comme les ministres de son sang qui fait vivre, se sont servis de tout cela pour satisfaire des passions destructrices. Nous, évêques, devons certainement travailler à préciser et renforcer les procédures qui écarteront ceux qui ont fait du mal gravement en abusant du nom du Christ de continuer à le faire et qui permettront d’apporter aux personnes qui ont été victimes la reconnaissance et le soutien qui leur sont dus. Nous devons le faire, non pas seuls, comme si nous pouvions être juges et parties, mais en acceptant des regards extérieurs sur nos fonctionnements et en affrontant la honte où nous placerait tel ou tel de nos frères.

Mais peut-être devons-nous tous comprendre encore ceci : ce n’est pas en vain qu’il est question du sang de l’Agneau. La sainteté ne consiste pas en une conformité morale, la sainteté vient du rude combat que chacun a à mener pour sortir de son péché, apprendre à le détester, choisir la charité en résistant jusqu’au plus intime de sa chair à l’attraction de la mort et de ses forces ; la sainteté n’est pas la perfection d’êtres déjà moralement équilibrés, une sorte de couronnement des vertus bien appareillées, elle est moins encore l’équilibre d’une vie qui composerait avec art des qualités humaines et une recherche spirituelle ; elle est une conversion, un retournement, qui suppose d’avoir reconnu en soi les abîmes possibles et de les avoir repoussés, avec la force du Christ, elle est la victoire obtenue après avoir tiré sa vie et tout son être à travers l’océan de l’existence, en reprenant toujours le cap que nous indique Jésus sur sa croix. Elle suppose un repentir plus profond que nous ne l’imaginons souvent et une espérance qui ne vient pas de la bonne conscience de soi mais de la découverte improbable de l’amour que Dieu maintient malgré tout.

C’est pourquoi, frères et sœurs, la charte de la sainteté n’est rien d’autre que les Béatitudes qui sont sorties un jour de la bouche de Jésus, ces quelques phrases si paisibles, si pleines de promesses, mais si paradoxales aussi et tout aussi bien douces que scandaleuses. Les saints et les saintes sont ceux et celles qui ont accepté que ces quelques paroles, huit en tout, s’inscrivent dans leur liberté profonde et deviennent la seule règle de leurs actes. Qu’ils intercèdent pour nous et qu’ils supplient pour l’Église en sa marche terrestre,

                                                                                 Amen.


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