Homélie pour la solennité de Tous les Saints, en la cathédrale Notre-Dame de Reims - L'Eglise Catholique à Reims et dans les Ardennes

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Publié le 7 novembre 2023

Homélie pour la solennité de Tous les Saints, en la cathédrale Notre-Dame de Reims

Homélie pour la solennité de Tous les Saints, le mercredi 1er novembre 2023, en la cathédrale Notre-Dame de Reims

Où est-il l’ange qui, selon l’Apocalypse, crie aux quatre autres : « Ne faites pas de mal à la terre, ni à la mer, ni aux arbres » ? A-t-il oublié ce qu’il a mission de crier ou bien ont-ils déjà été marqués du sceau au front, les serviteurs de Dieu ? Car elle souffre violence, la terre, cette terre qui est notre terre et celle de tant d’autres êtres avec nous, et elle souffre violence, la mer qui n’appartient pas qu’à nous, humains, et ils souffrent violence, les arbres. Elles souffrent violence, la terre et la mer, ils souffrent violence, les arbres, partout où les missiles pilonnent, partout où l’on creuse des tranchées, partout où l’on égorge, où le sang coule, où des corps morts pourrissent, où l’on retient des otages où des migrants se noient. Il n’y a pas besoin d’anges pour faire mal à la terre, à la mer et aux arbres. Les guerres entre les humains y suffisent, parfois enveloppées de grandes déclarations idéologiques ; les bouffées de violence qui saisissent des êtres humains y suffisent pour des motifs terroristes ou pour des raisons psychiatriques. Elles suffisent aussi, pour abîmer la terre, la mer et les arbres, les grandes prédations dont les humains sont capables pour satisfaire les besoins et, plus encore, leurs désirs qui n’ont pas de limites. Elles souffrent de violence, la terre et la mer, elles souffrent aussi d’être exploitées, vidées de leurs richesses de vie et polluées ; et ils souffrent violence les arbres, détruits, abîmés, rongés, ne parvenant plus à remplir leur rôle bénéfique pour renouveler l’air à respirer. Pas besoin d’anges. Juste besoin de nous, de nos passions, de nos pulsions, de notre propension irrésistible à faire passer la satisfaction de nos désirs que parfois nous prenons pour des besoins sur toute rationalité, sur toute pondération, sur toute attention aux besoins des autres êtres. Juste besoin de nous et de nos peurs, surtout celle de manquer.

Frères et sœurs, nous ne sommes pas rassemblés en cette fête de la Toussaint pour nous faire peur avec des morts-vivants ou des spectres en caoutchouc. Une soirée d’Halloween est déjà une grande concession. Nous ne sommes pas rassemblés en cette fête de tous les saints pour nous plonger dans l’angoisse devant les guerres qui éclatent ou qui ont éclaté en tant d’endroits alors même que l’immense risque de la transformation climatique est devant nous et qu’il devrait mobiliser l’union de toutes les forces et les énergies humaines. Les informations de chaque jour y suffisent et la pensée des douleurs accumulées en tant de lieux de notre planète. Nous sommes rassemblés en ce matin de la fête de tous les saints pour écouter une fois encore, inlassablement, Jésus, le Seigneur Jésus, qui monte sur la montagne et ouvre la bouche pour dire : « Heureux les pauvres de cœur ; heureux ceux qui pleurent ; heureux les doux ; heureux ceux qui ont faim et soif de la justice ; heureux les miséricordieux ; heureux les cœurs purs ; heureux les artisans de paix, heureux ceux qui sont persécutés pour la justice. » C’est cela, frères et sœurs, être chrétiens : accepter d’écouter ces paroles-là, tellement décalées, tellement hors de propos lorsque le monde semble à feu et à sang, lorsque les inquiétudes nous oppressent de tous côtés, lorsque la tranquillité et la sécurité paraissent si menacées. Non pas : heureux les forts ; heureux les barricadés ; heureux les méfiants ; heureux ceux qui s’arment ; heureux ceux qui entassent et empilent des réserves ; heureux ceux qui voient les dangers venir. Heureux les pauvres, ceux qui pleurent, les doux, les affamés et assoiffés de justice, les miséricordieux, les cœurs purs, les artisans de paix, les persécutés pour la justice. Nous sommes des chrétiens, des disciples de Jésus, non pas parce que ces paroles nous seraient limpides forcément tous les jours, mais parce que nous acceptons de les entendre de lui, chaque année, chaque jour, chaque moment de notre vie. Elles viennent contredire bien des mouvements spontanés de notre intelligence, de notre volonté, de notre mémoire ; elles viennent heurter bien des passions et des pulsions et des désirs en nous ; mais elles viennent aussi, ces paroles, rejoindre en nous, en une profondeur qui ne nous est pas toujours accessible dans le fracas des jours, une vérité, une attente, une intériorité dont nous sentons bien qu’elles nous font être beaucoup plus que nous ne le supposerions à la première écoute. Nous ne sommes pas rassemblés ce matin dans cette cathédrale ou dans toute église pour nous effrayer plus encore, mais pour espérer et fortifier notre espérance en contemplant la foule immense des saints.

Car, puisque nous sommes là, rassemblés, à écouter l’Évangile, il est encore occupé, le grand ange qui monte du côté où le soleil se lève, le grand ange qui monte à l’Orient, il est encore occupé à marquer le front des serviteurs de Dieu, les cent quarante-quatre mille de toutes les tribus des fils d’Israël. Jésus est sorti de Nazareth comme le Fils bien-aimé du Père est venu du sein de la Trinité sainte, en sortant sans le quitter, pour imprimer en nous ses paroles si douces et si fortes, si éclairantes et si paradoxales, pour les imprimer en nous et en beaucoup d’autres au plus profond, au plus intime de nos libertés, pour les imprimer de générations en générations, afin qu’au sein même de l’humanité agitée de guerres et de violences et de concupiscences destructrices, se lèvent sans cesse des pauvres de cœur qui ne soient pas des faibles d’esprit, mais des personnes disponibles pour servir l’œuvre de Dieu, des gens qui pleurent non pas seulement ni d’abord la perte de leurs possessions ou de leurs illusions mais le drame du péché dans leur cœur et celui des autres, des doux qui ne soient pas des craintifs, des affamés et assoiffés de justice qui ne le soient pas que pour eux au détriment de tous les autres, des miséricordieux, des cœurs purs, des artisans de paix qui le soient vraiment pour le bien de tous et pour la gloire de Dieu. En ce matin de la Toussaint 2023, nous sommes appelés à un acte de foi : oui, le Seigneur Jésus ne cesse pas de susciter les saints dont l’humanité a besoin pour ne pas glisser vers son anéantissement ; et un acte d’espérance et de charité : je suis prêt à me laisser marquer davantage par les paroles du Seigneur, en les laisser s’imprimer en moi comme un sceau sur mon front, pour que ces paroles et non pas d’autres marquent d’un fer brûlant mon intelligence, ma volonté, ma mémoire, et cela afin que mes gestes et mes paroles et mes pensées déjà participent à l’œuvre de Dieu pour tous les êtres.

Frères et sœurs, nous le savons. Les drames et les défis du temps présent demandent des solutions ou des réponses ou des actions d’ordre politique, économique, social et culturel. Ils appellent une organisation internationale plus forte, plus active, moins prisonnière des intérêts immédiats. Certains de ces drames et certains de ces défis trouveront une partie de leur résolution dans des avancées techniques et technologiques, c’est vraisemblable. Mais le drame humain, lui, appelle une conversion. Non pas une amélioration, mais une conversion, un retournement, c’est-à-dire un arrachement et un attachement nouveau, différent, vers lequel nous aurons à marcher, à progresser, avec patience et persévérance et aussi avec grand désir. Le grand drame humain demande des solutions de niveaux multiples, mais il appelle surtout une réponse spirituelle, une transformation spirituelle, que même les chrétiens que nous sommes doivent toujours reprendre, approfondir, rendre plus réelle. Nous le pouvons, nous, au nom de l’humanité entière et pour elle, car, saint Jean nous l’a dit dans sa lettre : « Dès maintenant, nous sommes enfants de Dieu », même si « ce que nous serons n’a pas encore été manifesté ». Nous avons à porter cette formidable espérance au milieu de notre monde et de notre univers agités et menacés. Nous sommes les garants que le grand ange trouve toujours des justes à marquer de son sceau, à reconnaitre comme siens. Avec lui, en lui, nous retenons les quatre autres qui pourraient ravager la terre, la mer et les arbres, pour ne laisser que les humains exercer leurs œuvres.

 Alors même que les humains s’emploient de tant de manières à faire du mal à la terre, la mer et aux arbres, ils existent, ceux et celles qui font du bien aux autres, qui écoutent et partagent et pardonnent, qui, au cœur même d’une pression d’apparence irrésistible, choisissent le bien d’autrui au risque du leur plutôt que leur survie au détriment certain de l’autre. Ils existent, nous le savons, nous, parce que l’Agneau sans tache a été immolé et que la puissance de son sang versé et de son Esprit envoyé sur l’humanité se déploient là-même où on ne les attend pas. Secrètement, peu visiblement, ils sont plus forts, plus agissants, que les forces de mort et de destruction. Frères et sœurs, en ces temps où tant de mal visible est fait à la terre, à la mer et aux arbres, ajoutons nos voix à la foule immense qui chante : « Le salut appartient à notre Dieu qui siège sur le trône et à l’Agneau. » Osons nous convertir toujours mieux et osons faire entendre avec persévérance les paroles qui changent les cœurs. Croyons ce que Jésus a l’audace de dire : « Heureux êtes-vous si l’on vous insulte, si l’on vous persécute et si l’on dit faussement toute sorte de mal contre vous, à cause de moi. Réjouissez-vous, soyez dans l’allégresse, car votre récompense est grande dans les cieux ! », non pas d’ailleurs, « sera grande » mais « est grande dans les cieux », laissons la parole de Jésus agir en nous et consentons à chercher les voies de la sainteté dans le Christ, lui, notre Seigneur.

                                                                                                                 Amen.


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