Homélie pour la solennité de l’Ascension

Homélie pour la solennité de l’Ascension du Seigneur, année A, le jeudi 21 mai 2020, en la chapelle de la Maison diocésaine Saint-Sixte

« Dieu s’élève parmi les ovations/ le Seigneur, aux éclats du cor » : le psaume garde la mémoire d’une procession à l’intérieur du Temple de Jérusalem, peut-être de la procession inaugurale, lorsque l’Arche d’Alliance, portant la mystérieuse présence de Dieu, a été introduite à l’intérieur du Temple construit par Salomon, gravissant les degrés des escaliers jusqu’au Saint des Saints. La procession était comprise comme le chemin même de Dieu entrant dans sa ville, en prenant possession, s’installant au milieu d’elle comme la garantie d’une protection et d’une source de bénédiction. Nous éprouvons nous-mêmes cette émotion et cette joie lorsque nous prenons part à une procession, par exemple lors d’un pèlerinage à Lourdes. Le Seigneur Jésus entrant dans la gloire du Père en y introduisant son humanité et donc en nous y faisant place à nous aussi réalise au-delà de ce qui est imaginable la promesse de toute procession. Il s’élève parmi les ovations, lui, le Seigneur, aux éclats du cor, acclamé par les anges et les saints, lui qui, étant venu jusqu’à nous en s’abaissant, a mené le grand combat qui était le sien, et en est sorti vainqueur et se trouve exalté par le Père, « établi au-dessus de tout être céleste : Principauté, Souveraineté, Puissance et Domination ». Mais l’auteur du psaume et surtout ceux qui ont prié le psaume au long des siècles ont vite compris que la glorification de Dieu ne venait pas des chants et des acclamations d’un jour de fête, qu’elle ne lui était pas procurée par la seule exaltation d’une cérémonie fastueuse. Les ovations qui plaisent à Dieu, c’est notre conversion ; les éclats du cor qui l’encouragent à prendre place au milieu et au-dessus de nous, ce sont nos actes de foi, d’espérance et de charité, tout acte dans lequel, au lieu de nous laisser obnubiler par la mort et la peur de manquer, nous avons choisi de donner, de partager, de servir. L’Ascension de Jésus que nous célébrons en ce jour n’est donc pas seulement l’ultime étape de son parcours et son retour à la maison : elle se réalise, cette Ascension, chaque fois que l’un de nous progresse dans sa suite, chaque fois que l’un de nous ici-bas observe un peu plus, un peu mieux, « tout ce qu’il nous a commandé ».

En ce matin, la liturgie nous a fait entendre la finale de l’évangile selon saint Matthieu. Les onze se rendent en Galilée, selon la demande du Ressuscité. « Quand ils le virent, ils se prosternèrent, mais certains eurent des doutes. » Comment Jésus surmonte-t-il les doutes de ses disciples : en les envoyant en mission. Mais cet envoi, il l’encadre de deux promesses : « Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre », nous avons entendu saint Paul expliciter ce « tout pouvoir » dans sa lettre aux Éphésiens, et « Je suis avec tous les jours jusqu’à la fin du monde ». L’Ascension de Jésus ne marque pas son absence mais sa venue continuée, chaque fois reprise, sa présence en acte, sa venue-jusqu’à-nous qui se poursuit au long du temps, pour que nous puissions « observer ses commandements » et « de toutes les nations faire des disciples ». Les disciples sont ceux et celles qui se laissent enseigner, ceux qui se laissent former intérieurement par le maître, ceux qui acceptent d’apprendre et de recevoir ensemble l’enseignement. « Faites des disciples » indique donc un lent travail d’appropriation de ce que Jésus a apporté et montré, une recherche commune aussi à laquelle tous les disciples participent pour tâcher de mieux comprendre et de mieux mettre en œuvre ce que le Seigneur aimé a vécu lui-même. Les disciples ne sont pas des esclaves, ni des sujets, ni des adeptes seulement : ils s’efforcent d’entrer dans l’intelligence de ce que le Maître a enseigné et vécu et de le prolonger en le renouvelant dans leur propre vie. Dans l’évangile selon saint Matthieu, le contenu de la mission consiste à « apprendre aux nations à observer tout ce que je vous ai commandé ». Jésus envoie ses disciples dans le monde pour qu’ils y donnent, pour que nous y donnions, l’image d’une manière nouvelle de vivre, pour qu’au milieu de ce monde, encore marqué par la proximité de la mort et par le manque et par la méfiance mutuelle, nous fassions apparaître une vie différente, une vie nouvelle, une vie éclairée par ce que saint Paul s’efforce de décrire en des termes indépassables : « l’espérance que nous ouvre son appel, la gloire sans prix de l’héritage que nous partageons avec les fidèles, quelle puissance incomparable il déploie pour nous, les croyants. » Le monde pour nous et même l’univers ne sont pas vides, comme une immensité dans laquelle nous subsisterions comme une pauvre réalité, en tremblant, ou plutôt nous sommes dans le monde et dans l’univers pénétrés, habités par « l’énergie, la force, la vigueur que le Père a mise en œuvre dans le Christ quand il l’a ressuscité d’entre les morts et qu’il l’a fait asseoir à sa droite dans les cieux. » Cette énergie, cette force, cette vigueur ne fait pas de nous des surhommes, des hommes dotés de pouvoirs supérieurs à la normale ; elle fait de nous des femmes et des hommes nouveaux, habités par l’amour du Père pour le Fils et du Fils pour le Père. Elle nous rend capables de vivre ici-bas en prenant pour horizon la gloire du Christ et l’assurance que toute l’histoire des hommes, avec ses soubresauts parfois tellement destructeurs, fait monter le Christ au plus haut et nous associe à lui à jamais.

Alors, frères et sœurs, il peut nous paraître qu’il y a un contraste entre la vision sublime de saint Paul, faisant resplendir à nos yeux « l’accomplissement total du Christ » et l’envoi plus modeste de Jésus à ses onze disciples, leur demandant de faire des disciples en leur apprenant à observer les commandements. Mais il s’agit bien de la même réalité. Jésus n’est pas ressuscité pour revenir partager quelques moments avec ses disciples. Il l’a fait quarante jours pour les conforter dans la réalité de sa résurrection et les habituer encore au mode nouveau de sa présence. Mais il est ressuscité pour en faire des hommes nouveaux et afin qu’ils aillent partager avec l’humanité entière le don qui leur a été fait. Un des aspects de l’immense espérance que le Seigneur Jésus glorifié nous donne est que tout être humain peut apprendre à vivre comme il nous en a montré l’exemple. Tous les humains, de toutes les nations, peuvent devenir disciples de sorte qu’ensemble nous nous aidions à mieux observer « tout ce qu’il nous a commandé » et que nous découvrions mieux comment il est « avec nous tous les jours jusqu’à la fin du monde. » La fête de l’Ascension est donc la fête de l’envoi en mission, parce que partout nous pouvons découvrir des frères et des sœurs capables de se laisser dilater intérieurement par la puissance du Christ et de traduire en actes leur espérance nouvelle. Parce qu’il est monté dans la gloire du Dieu vivant avec notre humanité entière, tout acte de foi, d’espérance et de charité édifie l’avenir de l’humanité pour toujours, même si cet acte paraît bien minuscule face à la masse des besoins et des attentes des hommes ; parce qu’il est avec nous pour toujours jusqu’à la fin des temps, d’une présence tellement discrète et tellement évidente parfois, nous pouvons puiser en lui la force, l’énergie, la vigueur nécessaire pour choisir le Royaume qui vient plutôt que les assurances provisoires de ce monde.

« Car Dieu est le roi de la terre : que vos musiques l’annoncent ! » oui, que l’annonce la musique de notre vie à chacun, que l’annoncent nos multiples manières de vivre notre foi et notre joie de découvrir la symphonie que nous faisons monter ensemble à la gloire de Dieu et de notre Seigneur Jésus, le Christ, qu’il nous a donné,                                                                                                                              Amen.