Homélie pour la Sainte Trinité - L'Eglise Catholique à Reims et dans les Ardennes

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Publié le 31 mai 2021

Homélie pour la Sainte Trinité

Homélie pour la solennité de la Sainte Trinité, année B, le samedi 29 mai 2021 en l’abbatiale Notre-Dame de Mouzon et le dimanche 30 mai 2021 en l’église Saint-Théodulphe de Villers-Franqueux, bénédiction des vitraux.

« Est-il arrivé quelque chose d’aussi grand, a-t-on jamais connu rien de pareil ? » Moïse, selon le Deutéronome pose la question au peuple d’Israël. Il fait référence à l’action de Dieu, tirant la descendance d’Abraham d’Égypte où elle était menacée de mort et la conduisant à travers le désert et des péripéties multipliées pendant quarante années, avant de le faire entrer dans la terre promise et de le laisser s’y installer à sa guise. Si nous écoutons attentivement ce que dit Moïse à son peuple, nous comprendrons ceci : Moïse insiste sur la « main forte » et le « bras étendu », sur les « exploits terrifiants » accomplis par le Seigneur en faveur d’Israël ce qu’il l’étonne, ce qui le remplit d’étonnement, c’est que le Dieu créateur lui-même, Dieu du ciel et de la terre, le Dieu de la totalité, se soit occupé de si près de ce petit peuple, de ce ramassis d’esclaves qu’ils avaient fini par être en Égypte. Qu’en est-il pour nous ? Nous, frères et sœurs, de quoi de grand, de quoi d’étonnant, sommes-nous les bénéficiaires et les témoins ?

Nous recevons cette question en ce dimanche de la sainte Trinité, alors que nous avons entendu proclamer la finale de l’évangile selon saint Matthieu : « Allez ! De toutes les nations faites des disciples : baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit. »  « De toutes les nations, faites des disciples ». Les disciples sont ceux et celles qui se mettent à l’école d’un maître, mais, dans les évangiles, plus précisément, les disciples sont ceux qui ont suivi Jésus, répondant à son appel, qui ont marché, déjeuné, parlé avec lui, dans la familiarité d’une vie commune. Les disciples sont avant tout ceux qui ont partagé une certaine intimité avec Jésus. « De toutes les nations faites des disciples » : avant d’être un appel au prosélytisme, plus qu’un appel au recrutement, il s’agit d’un encouragement à partager l’expérience d’être proches de Jésus, de vivre dans sa présence, de se laisser toucher et transformer et former par l’intimité avec lui. Le grand, l’étonnant, dont nous sommes les bénéficiaires et les témoins, n’est donc pas une action de Dieu repérable dans l’histoire, qui marquerait de manière évidente son intervention et clouerait le bec à toute objection. Le grand, l’étonnant dont nous vivons, est bien plutôt la proximité du Dieu vivant, la familiarité où nous sommes avec lui, la simplicité avec laquelle il se tient près de nous et nous permet de venir à lui, de lui parler et de l’écouter.

Réalisons-nous cela, frères et sœurs, nous chrétiens qui nous voulons « pratiquants » ou qui nous laissons définir comme tels ? Chaque fois que nous disons « Notre Père », notre prière atteint directement le cœur même de Dieu, le plus haut, le plus vivant, le plus inaccessible en lui, et pour cela, notez-le, nul besoin d’intermédiaire, nul besoin d’un évêque ou d’un prêtre. Parler du mystère de la sainte Trinité, selon le titre de la fête de ce jour, peut nous paraître chercher à parler de réalités lointaines, compliquées, déroutantes pour notre esprit. En réalité, nous confessons seulement que Dieu, le Dieu vivant, nous ouvre son intimité la plus haute, s’ouvre en quelque sorte intérieurement pour que nous puissions contempler l’échange éternel qu’il est et nous en nourrir, y refaire nos forces. Chaque fois que nous nous rassemblons pour célébrer l’Eucharistie, – pour le coup, il faut un prêtre-, nous prions pour que le pain et le vin que nous avons apportés deviennent le Corps et le Sang du Christ et ils le deviennent. Parce que nous le demandons, l’Esprit-Saint descend sur les offrandes et les transforme en celui qui se fait pour nous la nourriture de la vie éternelle. Nous prions pour que l’eau devienne l’eau qui a jailli du Cœur du Christ transpercé, afin que celui qui y sera plongé soit transformé en fille ou en fils de Dieu, et c’est bien cela qui se produit. Lorsque nous choisissons un passage de l’Écriture sainte et que nous le méditons, en y appliquant notre intelligence et notre cœur, le Dieu vivant, le Dieu Trinité vient lui-même habiter en nous, y faire sa demeure, si nous n’y mettons pas d’obstacle en restant liés intérieurement par ces péchés que l’on nomme « mortels ». Nous, chrétiens, baptisés et confirmés, vivons dans l’intimité du Dieu vivant, dans la familiarité du Dieu Trinité, dans la communion avec le centre vivant de la vie éternelle de Dieu. « Est-il arrivé quelque chose d’aussi grand, a-t-on jamais connu rien de pareil ? »

Le Deutéronome se présente comme une série de discours que Moïse aurait prononcés juste avant de mourir, alors que le peuple est arrivé au bout de son périple et s’apprête à entrer dans la terre promise. Pourquoi rappelle-t-il alors la sortie d’Égypte et l’action de Dieu qui l’a rendue possible comme elle a rendu possible la traversée du désert ? Parce que le peuple, laissé en apparence à lui-même, risque de prendre peur, de douter de sa capacité à entrer dans la terre promise. Face à la première résistance, à la première difficulté, il pourrait bien ce peuple se mettre à nouveau à regretter l’Égypte et ses oignons. Et nous, frères et sœurs, ne sommes-nous pas trop souvent encombrés par la peur ?  La peur de gêner par un témoignage trop explicite ; la peur de déranger par une manière trop claire de vivre en chrétiens ; la peur d’être moqués ou incompris par une mise en œuvre trop littérale du commandement de l’amour. Entendons l’Apôtre : « Vous n’avez pas reçu un esprit qui fait de vous des esclaves et vous ramène à la peur. » A vrai dire, saint Paul a plutôt en vue la peur que nous pourrions avoir de Dieu, comme si Dieu nous imposait des épreuves presque impossibles pour nous tester et nous faire tomber, comme si Dieu organisait la vie comme un concours où son but serait d’éliminer un maximum de candidats. Mais non ! « Vous avez reçu un Esprit qui fait de vous des fils (et des filles) ; et c’est en lui que nous crions ‘’Abba !’’, c’est-à-dire : Père ! ».

Lorsque saint Matthieu nous montre Jésus après sa Résurrection rejoignant ses disciples sur la montagne en Galilée, s’approchant d’eux en leur disant : « Allez ! De toutes les nations faites des disciples : baptisez-les au nom du Père, et du Fils, e du Saint-Esprit, apprenez-leur à observer tout ce que je vous ai commandé », nous pouvons être saisis d’effroi devant l’immensité de la tâche et l’impossibilité de la mener à bien, et les apôtres ont peut-être eu cette réaction : « Quelques-uns, nous a dit saint Matthieu, eurent des doutes ». Mais en réalité, Jésus commence par nous rassurer : « Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre » et il finit aussi en nous consolant et nous affermissant : « Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde. » Que nous demande-t-il vraiment ? « Apprenez-leur à observer tout ce que je vous ai commandé. » De quoi s’agit-il ? Que nous a-t-il commandé ? Vous le savez bien : « d’aimer Dieu et d’aimer notre prochain ». Rien de complexe, rien de tarabiscoté, rien d’incompréhensible. Une exigence immense bien sûr, mais qui ne comprend que c’est un progrès immense pour l’humanité ? Qui ne comprend que c’est un mieux, un « encore mieux » que rien ne peut dépasser ?

Une question nous arrête : avons-nous besoin de Dieu pour aimer ? Avons-nous besoin du Christ Jésus, de sa parole, de sa présence, de ses sacrements, de son Église ? D’autres, qui ne le connaissent pas ou ne veulent plus le connaître, n’aiment-ils pas et parfois mieux que nous ? Tant mieux, frères et sœurs, si des hommes et des femmes aiment en vérité. Nous y reconnaissons l’œuvre du Dieu vivant qui agit pour cela précisément. Nous, nous savons que Dieu étend la main pour nous rendre capables d’aimer, et qu’il l’a fait jusqu’à mourir sur la croix. Nous, nous savons que « tout pouvoir a été donné au ciel et sur la terre » à celui qui a aimé jusqu’à l’extrême et que celui-là est vivant, « avec nous tous les jours jusqu’à la fin du monde. » Nous, nous osons reconnaître notre difficulté à aimer en vérité, parce que nous savons que nos efforts en ce sens ne seront pas vains, parce que Dieu lui-même au plus intime de lui-même est amour, amour éternel du Père qui engendre le Fils en se donnant à lui sans réserve tandis que le Fils se reçoit dans l’action de grâce et que de ce mouvement jaillit l’Esprit, le tiers en qui l’amour se régénère sans cesse.

Frères et sœurs, nos mots font ce qu’ils peuvent pour évoquer la sainte Trinité. Ils y échouent forcément. Le principal est que nous, nous ne soyons pas des hommes et des femmes qui ont peur, mais des hommes et des femmes qui se tiennent dans la proximité du Dieu vivant, non pour dominer les autres, mais pour aimer et en donner humblement et fortement l’exemple autour de nous. Rien ne peut être plus inouï, rien ne peut être plus grand que cela : Dieu est amour, Dieu nous aime, Dieu nous donne d’aimer à notre tour en vérité,

                                                                                                            Amen.


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