Homélie pour la sainte nuit de Noël 2022, le samedi 24 décembre - L'Eglise Catholique à Reims et dans les Ardennes

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Publié le 3 janvier 2023

Homélie pour la sainte nuit de Noël 2022, le samedi 24 décembre

Homélie pour la sainte nuit de Noël 2022, le samedi 24 décembre, en l’église de Gueux (Marne) et en la cathédrale Notre-Dame de Reims

La grande attitude à laquelle Noël nous invite est l’émerveillement. Mais, attention : ne confondons pas l’émerveillement avec la « magie » de Noël. Celle-ci vient du contraste entre la nuit et les lumières, le froid et le feu de la cheminée ou la chaleur d’une maison, entre la pluie qui tombe et une table garnie et affectueuse, entre l’enfant fragile et la profusion des cadeaux, toute « magie » sur laquelle joue le commerce à grands renforts de guirlandes électriques et de projecteurs de couleur et de musique un peu douçâtre. L’émerveillement de Noël, lui, nous le ressentons à cette seule annonce : « Oui, un enfant nous est né, un fils nous a été donné ! » Il se nourrit du paradoxe entre la naissance à l’écart, hors de « la salle commune », dans la pauvreté et la discrétion, et le chant de toute la « troupe céleste » ; entre la rusticité des bergers et la splendeur de l’ange et la portée du message qui leur est confié ; entre le caractère minuscule de cette naissance et l’accomplissement des prophéties longuement portées dans les Écritures d’Israël, entre la situation douloureuse des exilés d’Israël et la promesse de vie qui leur est donnée. L’émerveillement de Noël ne vient pas d’une parenthèse enchantée dans laquelle nous retournerions en enfance pour oublier les duretés du temps présent ; il procède bien au contraire de l’admiration devant Dieu qui vient à nous jusque dans les lieux douloureux de notre condition humaine.
Alors même que les motifs de peur ou d’inquiétude sont nombreux, alors même que nos frères et sœurs ukrainiens vont passer Noël pour beaucoup d’entre eux sans électricité, ayant perdu un père ou un frère ou un fils, dans l’angoisse de ce qui pourrait arriver en cette nuit pourtant sainte, alors même que les soldats russes vont éprouver des sentiments similaires, comment peut-on s’émerveiller, et s’émerveiller d’un enfant que l’on peut « trouver emmailloté et couché dans une mangeoire » ? Alors que le Burkina-Faso mais aussi le Mali ou le Niger souffrent depuis des années de la violence islamiste, alors que le Congo-Kinshasa, en sa partie Est subit le choc des convoitises de ses voisins, alors que la Chine connaît une vague de covid encore inconnue, tandis que le Liban se vide de ses habitants et surtout de sa jeunesse la mieux formée, tandis que l’Arménie est menacée chaque jour par son voisin trop puissant et bien soutenu, de quoi s’émerveiller, de qui s’émerveiller encore ? L’émerveillement de la foi, l’émerveillement qui nous réunit en cette nuit, frères et sœurs, perçoit, dans l’enfant « nouveau-né, emmailloté et couché dans une mangeoire », l’incroyable geste de Dieu, qui que nous désignions par ce nom, qui vient accomplir ses promesses, non en transformant le monde par un coup de baguette magique, mais en venant l’habiter avec nous et comme nous, pour le transformer de l’intérieur.


Écoutons l’apôtre Paul. De l’enfant qui polarise notre regard, il nous dit : « Il s’est donné pour nous afin de nous racheter de toutes nos fautes et de nous purifier pour faire de nous son peuple, un peuple ardent à faire le bien » Nous ne pouvons définir Dieu, nous ne pouvons le décrire ; nous, chrétiens, dans la lumière du Christ Jésus, nous osons dire que Dieu est précisément celui qui peut se donner, et se donner lui-même, et sans réserve, pour faire de nous, c’est-à-dire d’Israël et de toute l’humanité qui y consent, « un peuple ardent à faire le bien ». L’émerveillement de Noël peut naître de cela, frères et sœurs : de la perception de l’incroyable persévérance de Dieu. Chaque Noël nous en assure : Dieu ne renonce pas à faire de nous tous un « peuple ardent à faire le bien ». Or, il y aurait bien des raisons de douter. La guerre qui reprend inlassablement, en notre Europe même où nous pouvions rêver l’avoir éradiquée ou rendue impossible ; les épidémies reprennent qui font voir le meilleur de l’humanité mais aussi le pire ; les assassinats et l’usage de la torture ne cessent pas sous les idéologies les plus variées ; les situations dramatiques d’exil ou de migration se répètent comme des vagues que rien n’apaisera jamais ; des violences et agressions sexuelles ont été commises dans l’Église même de Dieu comme dans d’autres milieux sans doute mais dans cette Église même qui devrait être le lieu de la sainteté en ce monde et par des ministres eux-mêmes de l’œuvre de la grâce de Dieu et qui peut être le lieu d’abus de pouvoir et de violences de tous ordres… En deux mille ans d’histoire, que s’est-il passé et transformé ? Et pourtant, nous le célébrons, Dieu ne se résigne pas à la dureté du cœur des humains, il ne renonce pas devant les maladies parfois redoutables de l’âme humaine, il n’a pas honte devant le caractère velléitaire des meilleures résolutions humaines ni devant la capacité de l’esprit humain d’habiller de nobles propos les décisions les plus porteuses de mort. Lui, « notre grand Dieu et Sauveur, Jésus Christ », « il s’est donné pour nous afin de nous racheter de toutes nos fautes, et de nous purifier pour faire de nous son peuple, un peuple ardent à faire le bien. » A l’Enfant de la crèche, l’Enfant couché dans une mangeoire, il n’est pas nécessaire que nous apportions l’attendrissement de notre cœur sensible. Mieux vaut que nous approchions de lui ce que l’Apôtre appelle « nos fautes », « toutes nos fautes », les nôtres et celles de tous les humains, les nôtres et celles du présent et du passé et peut-être même du futur, car il vient, cet Enfant pour briser le joug qui pèse sur les humains, la barre qui nous meurtrit et nous incline vers le mal, pour brûler les bottes qui veulent nous asservir.
Nous sommes en un temps où nos sociétés occidentales prennent conscience des violences et des crimes et des prédations qu’elles ont commises au détriment, en particulier, d’autres peuples et non moins à l’égard de la planète et de ses richesses et non moins à l’égard des animaux et de tous les êtres qui nous entourent. Ce mouvement peut fatiguer ou exaspérer certains. On le disqualifie sous le mot de « repentance ». Il peut prendre des formes exacerbées de destruction de monuments et de réécriture de l’histoire. Il semble impossible de voir dans les temps anciens autre chose que les fautes que l’on semble se complaire à dénoncer, comme si aucun autre élan n’avait pu habiter les âmes que ceux de la destruction et de la mort. Nous pouvons cependant, devant l’Enfant « emmailloté et couché dans une mangeoire », nous réjouir d’appartenir à une telle époque. Car, après tout, cet Enfant-là est venu pour cela. Non pour nous humilier en nos fautes passées ou présentes, non pour nous enfermer dans une mauvaise conscience mortifère, mais pour nous sauver. Il est venu, commençant comme « un nouveau-né » impuissant et muet, pour nous donner l’espérance que nous pouvons, nous, humains, devenir, malgré tout, un « peuple ardent à faire le bien ».


Entendons bien cette expression de saint Paul. « Un peuple ardent à faire le bien » n’est pas un peuple qui obéit à des lois supposées toujours meilleures, toujours plus précises et exigeantes ni un peuple qui constitue un État bien organisé, capable d’organiser des recensements, de compter et d’enregistrer, fût-ce pour le bien de tous, fût-ce avec bienveillance. « Un peuple ardent à faire le bien » est un peuple qui fait le bien par amour, pour l’amour de Dieu et du prochain. « Un peuple ardent à faire le bien » est un peuple où chacun brûle et cherche de toutes ses forces intérieures comment se mettre au service de la vie de tous, malgré ses propres faiblesses et les forces obscures qui le travaillent elles aussi. Chaque année, frères et sœurs, nous fêtons la fête de Noël, la naissance du Seigneur Jésus à l’écart de Bethléem. Nous ne célébrons pas un anniversaire qui s’éloigne dans le temps. Nous célébrons la venue de Dieu en notre monde, en notre humanité, l’engagement qu’il a pris de travailler au cœur même, du sein même, de notre humanité, pour nous renouveler de l’intérieur, pour rendre autres, capables de porter et de servir la vie, capables d’honorer le Créateur par notre existence, et cela non en éradiquant les forces qui nous écartent du Dieu vivant mais en les reprenant patiemment, avec persévérance, depuis l’intime de chacun de nous. L’émerveillement de Noël vient aussi de cela : que Dieu mène son grand œuvre en s’adressant au plus secret de chacun de nous pour atteindre en chacun la totalité de l’humanité et la profondeur de l’humain.
Il y a deux grandes maladies de l’esprit : la nostalgie et le ressentiment. La nostalgie qui nous ramène imaginativement à un passé supposé idéal, le ressentiment qui est une colère dirigée contre tous les autres, ceux et celles qui nous ont précédés. Nous, chrétiens, sommes invités à nous dégager sans cesse et de l’une et de l’autre. Nous sommes appelés à cultiver en nous l’émerveillement, à repérer toute trace de la venue de l’Enfant que nous célébrons en cette nuit, à admirer tout effet, même minuscule, de sa venue. Nous sommes appelés, au milieu de nos frères et sœurs en humanité, à nous unir profondément à ceux et celles qui sont dans la souffrance, la peur, l’angoisse et à entonner pour eux le « chant toujours nouveau » de la gratitude et de l’espérance, le chant de ceux et de celles qui savent voir ce qui reste toujours discret mais qui change tout : l’approche du Dieu sauveur, sa participation à notre humanité, son action pour nous libérer et nous transformer. Sachons, par notre émerveillement devant le Dieu vivant et vrai, nous joindre à « la troupe céleste innombrable » : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux et paix sur la terre aux hommes qu’il aime » et attendre avec elle « que se réalise la bienheureuse espérance : la manifestation de notre grand Dieu et Sauveur, Jésus Christ », celle qui s’anticipe en chaque Eucharistie et nous permet de dire au Dieu vivant : « Notre Père »,

Amen.


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