Homélie pour la messe du 8 octobre 2023, installation du P. Jean-Pierre Laurent - L'Eglise Catholique à Reims et dans les Ardennes

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Publié le 10 octobre 2023

Homélie pour la messe du 8 octobre 2023, installation du P. Jean-Pierre Laurent

Homélie pour la messe du 27ème dimanche du Temps ordinaire, année A, le 8 octobre 2023, en l’église Saint-Brice, à Aÿ, installation du P. Jean-Pierre Laurent, responsable de l’équipe pastorale de l’Espace missionnaire Montagne-Val-d’Or

Frères et sœurs, de la prophétie d’Isaïe comme de la parabole de Jésus ressort, à première audition, une impression de déception, de cruelle déception : la déception du maître devant sa vigne qui ne donne pas le bon jus attendu ; la déception du maître devant les vignerons qui refusent de partager le fruit de la vigne. Nous comprenons facilement ce dont il s’agit. Le Dieu d’Israël peut-il être fier de son peuple choisi ? Le Créateur peut-il être fier de l’humanité et de ce qu’elle fait produire au vaste cosmos ? Les âmes lucides n’ont pas attendu la crise climatique et le drame de la pollution généralisée de la planète, pollution qui envahit aussi l’espace ; elles n’ont pas attendu non plus les guerres présentes, pour sentir que Celui qui nous a placés dans sa création, dans l’œuvre de ses mains, ne pouvait qu’être déçu ou dépité par nos comportements collectifs.

Évoquer la vigne ici, après avoir marché entre Mareuil et Aÿ, en cet Espace missionnaire Montagne-Val-d’Or, tombe bien. L’image de la vigne chez Isaïe, celle de la vigne et des vignerons dans la bouche de Jésus, se ressemblent mais ne fonctionnent pas exactement de la même manière. Ce qui est commun est que la vigne symbolise le peuple de Dieu, c’est-à-dire l’humanité en tant qu’elle est appelée et travaillée par Dieu. La vigne, si j’ose me risquer devant une telle assemblée, à en décrypter l’image, présente au moins trois particularités : d’une part, elle pousse sur un sol pauvre et a la capacité d’aller chercher assez profond l’eau et les aliments dont elle a besoin et elle monte et grandit vers le soleil ; d’autre part, elle nécessite beaucoup de soins de la part de l’être humain ; enfin, son fruit n’est pas un aliment indispensable pour l’humanité mais permet de produire du vin qui sert à partager la joie. L’humanité est ainsi présentée comme voulue par Dieu non comme une esclave répondant à ses besoins mais en vue de la joie et de la communion, en vue des noces éternelles célébrées par le vin, comme capable de profondeur et appelée vers la lumière, enfin comme l’objet de soins nombreux et délicats de la part du Créateur.

Chez le prophète d’Israël, la vigne, le peuple choisi, ne donne pas de bon fruit, malgré tous les soins de son propriétaire. Le peuple choisi, malgré les soins répétés de Dieu et sa vive patience, ne produit que des grains amers. On comprend que le prophète appelle à la conversion, au changement de vie. Les soins de Dieu, les attentions de Dieu, appellent un autre comportement que celui qu’il faut constater. Qui vit dans l’alliance ? Qui produit des fruits dignes de l’alliance ? Dans l’évangile, le maître travaille grandement sa vigne ; il la rend apte à se développer et produire puis il la confie à des vignerons et ce sont ceux-ci qui sont mis en cause parce qu’ils s’accaparent les produits de la vigne, au lieu de donner sa part au Maître. Dans les serviteurs qui viennent de la part du maître recevoir le produit qui revient à celui-ci, nous reconnaissons facilement les prophètes successifs, qui appellent à la conversion, sans grand résultat, en étant rejetés et même mis à mort. L’attention se déplace de la vigne, du peuple, dont le fruit est sans doute bon, vers ceux qui ont été chargés de la garder et de l’entretenir, de la soigner, les vignerons. Ceux-là ont vraisemblablement bien travaillé mais ils prétendent garder les fruits de leur travail. Les vignerons sont les chefs du peuple d’Israël, ceux- ci étant les interlocuteurs à qui Jésus raconte cette parabole. En tout cas, l’image de la vigne invite à penser à la fécondité d’une vie, de nos vies. Vivre, c’est porter du fruit, un fruit abondant, qui peut être mangé tel quel ou qui peut être transformé encore pour donner du vin, un vin qui donne de la joie. Penser l’humanité comme la vigne du Créateur, c’est penser que Dieu nous a créés, nous humains, non pas comme des esclaves qui font ce qu’on leur dit, non pas comme des exécutants, mais pour que nous portions du fruit, un fruit qui est toujours une surprise, toujours au-delà des attentes, à moins qu’il ne soit en-deçà, en somme pour que nous contribuions à sa joie ou pour qu’entre lui et nous la joie puisse circuler.

Ne concluons surtout pas de la parabole de Jésus qu’un peuple nouveau est substitué à un autre, que l’Église prend la place du peuple d’Israël. La parabole met plutôt en cause les chefs du peuple, ceux qui prétendent l’être, les familles des Grands-Prêtres, qui sont des instruments d’accaparement. « Le royaume des cieux vous sera enlevé pour être donné à une nation qui lui fera produire ses fruits. » L’enjeu est donc de savoir à quels vignerons le maître peut confier sa vigne pour qu’elle produise le fruit attendu et pour que ce fruit lui soit remis, donc à qui, à quel genre d’hommes le peuple de Dieu peut être confié pour qu’il soit aidé à porter du fruit en abondance et que ce fruit revienne à Dieu ?

Vous voyez, frères et sœurs, que cette parabole, un peu austère, vient à point nommé en ce jour où j’installe au milieu de vous, pour que vous l’accueilliez comme votre pasteur au nom du Seigneur, le P. Jean-Pierre Laurent qui partagera sa charge avec le P. Arnaud Dhuic que vous connaissez déjà et y sera aidé par les PP. Claude Collignon et Michel Couvreur et par les diacres Jean-Marc Dubois, Jean-Marie Coquet, Philippe Fromentin et Patrice Pitois. La parabole peut faire un peu trembler : aucun envoyé du maître n’a été bien reçu par les vignerons à qui la vigne avait été confiée ; tous ont été molestés ou tués. Mais faisons attention à ce qui n’est pas qu’un détail : en saint Matthieu, Jésus interroge les chefs des prêtres et les saducéens : « Quand le maître de la vigne viendra, que fera-t-il à ces vignerons ? » et il reçoit pour réponse : « Ces misérables, il les fera périr misérablement. Il louera la vigne à d’autres vignerons qui lui en remettront le produit en temps voulu. » Mais qui nous assure que cette réponse est la bonne réponse au jugement de Jésus ? N’est-ce pas que notre cœur ou notre intelligence sont un peu abîmés par l’esprit des grands-prêtres et des saducéens ? Dans la parabole, en évoquant le fils, l’héritier, et son meurtre, Jésus annonce sa passion. Il est, lui, le Fils bien-aimé, l’envoyé ultime du Père, et les chefs s’apprêtent à le faire mettre à mort, comme s’ils espéraient s’approprier définitivement la vigne, le peuple, qui leur a été confié, ne plus avoir à se retourner vers Dieu en action de grâce. Quelle sera la vengeance du Maître de la vigne ? Jésus change de registre : il cite le psaume 117, grand psaume du Messie d’Israël, et il annonce sa résurrection et le don de l’Esprit-Saint : « La pierre qu’ont rejeté les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle : c’est là l’œuvre du Seigneur, la merveille devant nos yeux ! » Lui, Jésus, ultime geste de Dieu vers les hommes pécheurs, va être rejeté, mais ce rejet se retourne. Il permet à l’amour de Dieu pour nous de s’exprimer jusqu’au bout, d’aller jusqu’au bout de lui-même, de devenir radicalement un pardon, et alors il est transformé en source d’une vie nouvelle, en principe d’une vie renouvelée, la vie dans le Ressuscité qui apporte le pardon et livre son Esprit de sainteté.

Jésus ne vient pas retirer à Israël son élection, ses privilèges. Il vient les étendre à tous les humains. Son rejet n’aboutit pas à la malédiction d’Israël ; son rejet fait que le peuple de Dieu au lieu d’être remis à une famille ou à une caste chargée de le guider, est remis au geste de Jésus, au grand geste de son Eucharistie et de tous les sacrements, à ces gestes par lesquels sa mort et sa résurrection, son mystère pascal, nous sont appliqués à nous, les humains. Jésus ne substitue pas un peuple ethnique à un autre peuple ethnique. Il crée une réalité nouvelle, un autre type de peuple, un peuple uni non par l’origine, non par la culture, mais par la foi en Dieu qui envoie son Fils, le soumet au rejet par les humains, et le relève par la Résurrection, le rendant capable de diffuser en tout être humain qui s’y ouvre un peu son Esprit-Saint.

En vous confiant au P. Laurent pour qu’il soit votre pasteur, je n’établis pas sur vous un chef que vous devriez suivre parce que son intérêt et le vôtre coïnciderait, je vous donne un serviteur duquel vous pouvez recevoir les gestes de Jésus le Seigneur crucifié et ressuscité, afin que vos vies puisent en lui le principe de leur fécondité et produisent des fruits qui puissent réjouir le cœur de Dieu, qui puissent faire la joie du Créateur. Vous voyez, cher Père, l’œuvre délicate à laquelle vous êtes appelé avec l’aide de toute l’équipe pastorale : susciter toujours le peuple nouveau, le peuple d’un type nouveau, dont le lien n’est pas d’abord le village ou le métier ou l’appartenance nationale, cela d’autres le font et le font bien, mais la foi, l’espérance et la charité que seuls les gestes de Jésus suscitent en nous et établissent fermement comme des principes de vie et de fécondité pour la vie éternelle.

Alors, frères et sœurs, comprenons-le : nous sommes tous et chacun tentés d’être des vignerons pour nous-mêmes ; nous sommes tous et chacune et chacun tentés de nous attribuer tout le mérite des fruits que portent nos vies et, même, nous sommes tous et chacune et chacun tentés de mener nos vies pour notre jouissance et non pour la joie du Créateur, pour notre confort et non pour servir l’œuvre de Dieu, pour notre autosatisfaction et non pour être source de vie et de lumière et de réconfort et d’énergie pour les autres. Tous, et pas seulement les chefs que Dieu peut nous donner, nous risquons d’être de ces vignerons qui tuent les envoyés du maître de la vigne. Mais la présence parmi vous des prêtres et des diacres et des laïcs baptisés et confirmés formant une équipe pastorale l’indique : vous acceptez, dans la foi, d’être rassemblés et unis par le Seigneur Jésus, le Fils envoyé par le Père, mis à mort par les hommes pécheurs mais ressuscité par la puissance du Père et cela pour apporter pardon et vie renouvelée dans l’Esprit-Saint. Alors, frères et sœurs, entendez et mettez en pratique ce que saint Paul, l’apôtre, le serviteur de Jésus, la figure de ce peuple nouveau à qui la vigne du Seigneur est confiée : « Ne soyez inquiets de rien… Tout ce qui est vrai et noble, tout ce qui est juste et pur, tout ce qui est digne d’être aimé et honoré, tout ce qui s’appelle vertu et qui mérite des éloges, tout cela, prenez-le en compte ». Faites-cela, frères et sœurs, vivons ainsi et alors : « le Dieu de la paix sera avec vous »,

                                                                                                                            Amen.

                                                                                      

                                                                                                                            


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